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Fallait-il réveiller Frédégonde ?…

par Stéphane Lelièvre 11 juin 2022
par Stéphane Lelièvre 11 juin 2022

© Marie Pétry

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Version de concert de Frédégonde d'Ernest Guiraud, Paul Dukas et Camille Saint-Saëns à l'Opéra de Tours

Redécouverte d’une œuvre qui ne tient peut-être pas toutes ses promesses mais réserve de belles surprises et est défendue vaillamment par une équipe soudée et homogène. 

Un texte qui inverse les habituels schémas actantiels des livrets d’opéras

Die Rheinnixen, Hulda, Die Opernprobe, La Princesse jaune, Phryné, Belisario… Nous sommes habitués à la (re)découverte de titres oubliés, et c’est toujours avec curiosité et intérêt que nous assistons à leur renaissance, avec parfois à la clé le sentiment que la postérité s’est montrée bien injuste envers les compositeurs et certaines de leurs œuvres. Pourtant, cela n’a pas été complètement le cas hier soir à l’Opéra de Tours, à l’issue d’un concert redonnant sa chance à la rare Frédégonde, drame lyrique en 5 actes créé en 1895 à l’Académie nationale de musique de Paris, dont Ernest Guiraud composa les trois premiers actes (orchestrés par Dukas), les deux derniers ayant été composés par Saint-Saëns après la mort du compositeur.

Le livret, signé Louis Gallet, est inspiré d’un écrit d’Augustin Thierry (en ceci, le choix de l’opéra de Tours pour redonner vie à ces personnages du haut Moyen Âge est on ne peut plus judicieux, le célèbre historien français étant né à Blois, à quelque soixante kilomètres de là !) : il met en scène la cruelle Frédégonde, seconde épouse d’Hilpéric (roi de Neustrie), laquelle, telle Lady Macbeth, va manipuler son mari afin d’ôter tout pouvoir au prince Mérowig (le fils d’Hilpéric) et à sa femme Brunhilda, de sorte que ses propres enfants puissent régner. L’intérêt du livret réside moins dans l’intrigue, somme toute assez convenue, que dans le renversement des valeurs et de certains stéréotypes : les librettistes et les compositeurs du XIXe siècle n’ont de cesse, comme chacun sait, de dénoncer la place très injuste réservée aux femmes dans une société qui les méprise, ainsi que la violence perpétrée à leur égard par certains hommes, avec pour effet d’enfermer bien souvent les personnages féminins dans un statut de victimes pures et innocentes et de réduire les hommes à des personnages lâches et peu bêtes (incapables de comprendre et de sauver celles qu’ils aiment) ou égoïstes, brutaux, voire sadiques. Rien de tel ici : le livret de Gallet propose un portrait de vraie méchante, brutale, hypocrite, dénuée de morale et de scrupules, manipulant les hommes pour parvenir à ses fins, n’hésitant à provoquer la mort de personnes innocentes. Et, fait plutôt rare à l’opéra, c’est à un homme que va l’empathie du public : Mérowig, acculé au suicide par l’arrivisme détestable de sa belle-mère.

Ernest Guiraud vs Camille Saint-Saëns

Bref, les enjeux politiques, sentimentaux, familiaux à l’œuvre dans le livret ont a priori de quoi exciter l’imagination d’un compositeur d’opéra… Las, les trois premiers actes de Frédégonde, soit ceux composés par Guiraud, ne nous ont guère convaincu : la partition nous a paru uniformément bruyante, agressive, les décibels tenant lieu de tension dramatique (avec un finale du III particulièrement « fracassant » !). Dans cet océan sonore où tout ou presque est mis sur le même plan, très peu de scènes émergent (la scène de Mérowig au second acte ? Son duo avec Brunhilda ?), et les personnages donnent l’impression d’être constamment dressés sur leurs ergots, vociférant pour des enjeux qui finissent par peu nous importer. Notons cependant que la salle a accueilli cette première partie du spectacle avec un enthousiasme impressionnant, à tel point que le critique finit par se dire que c’est peut-être lui qui était mal disposé ce soir-là… Quoi qu’il en soit, il est bien difficile de juger une partition à partir d’une seule et unique impression, et il faudrait sans doute réécouter avec attention ces trois actes pour pouvoir affiner, confirmer ou infirmer notre jugement.

Après l’entracte, tout change. Quel bonheur de trouver un peu d’apaisement et de douceur, avec par exemple la scène d’Hilpéric (« Eh bien ! Qu’il y demeure ! »), empreinte d’émotion, ou l’intervention de Fortunatus au début du dernier acte. Saint-Saëns retrouve la variété de tons et d’atmosphères indispensable à toute action dramatique, et sans laquelle aucun relief particulier ne peut être donné à telle ou telle scène. L’orchestre reste tout aussi somptueux que celui de Dukas aux trois premiers actes, avec en plus un vrai sens mélodique qui fait selon nous défaut à Ernest Guiraud, et un soin apporté à la caractérisation des personnages qui nous permet enfin de nous attacher à leurs propos et à leur destin. La grande scène finale, où les protagonistes implorent leur grâce auprès de Frédégonde, n’atteint certes pas toute l’émotion, toute la grandeur que l’on est en droit d’attendre de cette situation hautement dramatique et pathétique. Mais la partition conserve constamment une belle dignité et fait entendre plusieurs pages que l’on a très envie de réécouter, notamment, outre la belle scène d’Hilpéric déjà citée, le duo dramatique entre celui-ci et Frédégonde qui clôt le quatrième acte.

Une très belle version de concert

L’œuvre, dirigée par le chef maison Laurent Campellone, est servie au mieux par un orchestre et des chœurs (ceux de l’Opéra de Tours ont été pour l’occasion renforcés par ceux du Capitole de Toulouse) survoltés, totalement impliqués dans la défense de cette œuvre inégale – même si tout le monde joue et chante peut-être un peu fort au regard de la dimension modeste du Grand Théâtre de Tours… La distribution fait preuve de la même vaillance, y compris dans les rôles secondaires : Yuri Kissin est un Landéric plein d’assurance. Jean-Fernad Setti, que nous avions applaudi dans un superbe Escamillo à Bordeaux en 2021 https://www.premiereloge-opera.com/article/compte-rendu/production/2021/06/01/a-bordeaux-deux-carmen-sinon-rien-critique-30-mai-2021-aude-extremo-adele-charvet-stanislas-de-barbeyrac-jeremie-schutz-chiara-skertah-jean-fernand-setti-olivia-doray-ambroisine-bre-romain-dayez/, commence timidement, avec une émission vocale qui n’a pas tout  à fait l’assurance que nous lui connaissons. Mais après l’entracte, la voix se stabilise et le chanteur fait montre de très belles qualités, de style et de diction notamment. La même progression s’observe dans la prestation de Kate Aldrich dont le chant gagne pareillement en assurance après l’entracte. La voix de la mezzo américaine a un peu perdu en velouté et certaines raucités apparaissent ici ou là, mais elles servent finalement la caractérisation de ce personnage dur et sournois. Le rôle de Fortunatus permet à Artavazd Sargsyan de faire entendre un très agréable timbre de ténor léger ainsi qu’un art du chant consommé, avec notamment de très beaux aigus en voix mixte ou en voix de tête, naturellement intégrés à la ligne de chant. Florian Laconi défend avec vaillance le rôle difficile de Mérowig, à l’écriture assez tendue, et parvient à une vraie émotion dans la scène finale de son suicide. Tassis Christoyannis est un superbe Hilpéric, parfaitement convaincant dans son portrait d’homme faible manipulé, émouvant dans sa grande scène du IV, avec comme toujours une diction quasi irréprochable. Brunnhila, enfin, est incarnée par Angélique Boudeville. Si la diction nous a peut-être paru un peu moins nette que d’habitude, la voix ample et le timbre fruité de la soprano conviennent bien au lyrisme du personnage, dont elle traduit très efficacement la grandeur et la féminité.

In fine, fallait-il réveiller Frédégonde ? À l’issue des trois premiers actes, je n’aurais peut-être pas été sûr de ma réponse… Mais à la fin du spectacle, la réponse est oui, assurément. Non seulement parce que toute redécouverte, même celle d’une œuvre inégale, contribue à l’enrichissement de notre mémoire culturelle collective, mais aussi parce que les deux derniers actes comportent de vraies beautés, méritant certainement d’être de nouveau proposées au public.

Les artistes

Frédégonde : Kate Aldrich
Brunhilda : Angélique Boudeville
Mérowig : Florian Laconi
Hilpéric : Tassis Christoyannis
Fortunatus : Artavazd Sargsyan
Prétextat : Jean-Fernand Setti
Landéric : Yuri Kissin

Chœur de l’Opéra de Tours (dir. David Jackson), Chœur de l’Opéra National du Capitole de Toulouse (dir. Gabriel Bourgoin), Maîtrise du Conservatoire à Rayonnement Régional de Tours (dir. Marie Saint-Martin), Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours, dir. Laurent Campellone

Le programme

Frédégonde

Drame lyrique en 5 actes de Camille Saint-Saëns & Ernest Guiraud avec la collaboration de Paul Dukas, livret de Louis Gallet, tiré des Récits des temps mérovingiens d’Augustin Thierry (1840), créé le 16 décembre 1895 à l’Académie nationale de musique de Paris.

Concert du 10 juin 2022, Opéra de Tours

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Tassis ChristoyannisAngélique BoudevilleFlorian LaconiLaurent CampelloneArtavazd SargsyanKate Aldrich
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Stéphane Lelièvre

Stéphane Lelièvre est maître de conférences en littérature comparée, responsable de l’équipe « Littérature et Musique » du Centre de Recherche en Littérature Comparée de la Faculté des Lettres de Sorbonne-Université. Il a publié plusieurs ouvrages et articles dans des revues comparatistes ou musicologiques et collabore fréquemment avec divers opéras pour la rédaction de programmes de salle (Opéra national de Paris, Opéra-Comique, Opéra national du Rhin,...) Il est co-fondateur et rédacteur en chef de Première Loge.

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