Falstaff, Opéra Bastille, 10 septembre 2024
Une production visuellement plus proche de Verdi que de Shakespeare
Un hommage à Hugues Gall
Cette ouverture de saison 2024-2025 de l’Opéra national de Paris est à la fois italienne et française, dans la mesure où l’Opéra Bastille repropose deux piliers de son histoire, Falstaff et Madama Butterfly, dans les mises en scène respectivement de Dominique Pitoiset et de Robert Wilson ; un peu plus tard dans le mois de septembre, ce sera le tour du Faust imaginé par Tobias Kratzer et le Palais Garnier affichera la nouvelle réalisation de Barrie Kosky pour Les Brigands de Jacques Offenbach, à partir du 21.
Datant de décembre 1999, le premier titre est aussi l’occasion de rendre hommage à Hugues Gall, décédé en mai dernier. Directeur de la maison entre 1995 et 2004, il fut le commanditaire de cette production qui lui est maintenant dédiée pour toute la série de ces représentations, se prolongeant jusqu’à la fin du mois.
Vingt-cinq ans de bons et loyaux services, ce n’est pas rien et, comme le rappelle Dominique Pitoiset lui-même dans le programme de salle, lors d’un entretien accordé pour la reprise de 2017, nous assistons bien à une création du siècle dernier, répondant à une esthétique très éloignée de ce que l’on pourrait envisager actuellement. Ce spectacle ayant été programmé à maintes occasions, ne nous appesantissons pas sur un univers que connaît bien le public parisien, et plus largement tout amateur d’opéra itinérant, ayant pu faire étape dans la capitale au cours des trois dernières décennies. Rappelons seulement, toujours avec Dominique Pitoiset, qu’il s’agit d’« une production visuellement plus proche de Verdi que de Shakespeare », même si le metteur en scène n’oublie pas de convoquer ses propres réalisations shakespeariennes du théâtre de parole, de même que le Falstaff d’Orson Welles, remontant à 1965. Deux idées essentielles marquent sa conception : un décor de bâtiments industriels du tournant du XIXe siècle (Alexandre Beliaev), rappelant le film de Sergio Leone Once Upon a Time in America (Il était une fois en Amérique) de 1984 et l’identification de Ford en tant qu’homme politique en campagne électorale, ce qui se perçoit d’ailleurs surtout dans la dernière scène du parc de Windsor et plus particulièrement dans l’ultime fugue de l’épilogue. Les personnages y évoluent ainsi dans des beaux costumes Belle Époque (Elena Rivkina).
Ambrogio Maestri : un monstre sacré
Pilier de l’Opéra, disions-nous, mais aussi une distribution qui laisse la place aux jeunes, ou en tout cas à cinq chanteurs faisant leurs débuts in loco et à l’un des membres de la Troupe lyrique de l’institution. Le tout reposant sur ce monstre sacré qu’est désormais devenu Ambrogio Maestri. Endossant pour l’énième fois les habits du pancione, un héros qu’il incarne depuis bientôt un quart de siècle et que, depuis sa prise de rôle à la Scala en 2001, il a défendu sur les scènes les plus prestigieuses d’Europe et des Amériques, dont cette même salle en février-mars 2013, le baryton italien déploie toute sa verve pour rendre un personnage dont il connaît absolument toutes les facettes. Dès son monologue de l’acte I, il est évident qu’il sait conjuguer de manière magistrale élocution, volume et jeu d’acteur. C’est ainsi qu’il retrouve la Mrs. Quickly de Marie-Nicole Lemieux, déjà sa partenaire il y a un peu plus de dix ans. Si la voix sonne toujours un peu claire, aussi bien dans la scène de l’entremise auprès du chevalier que dans celle du récit rapporté aux commères, elle tisse visiblement une grande complicité avec son souffre-douleur et déploie tout son art de comédienne, afin de parfaire sa commère éhontée. De même, Ambrogio Maestri paraît tout aussi bien assorti avec l’Alice Ford d’Olivia Boen, débutant, si je ne m’abuse, à la fois dans le rôle et dans la maison. Sa belle ligne, couronnée d’un aigu à toute épreuve, se distingue dès le quatuor de l’acte I, et son accent percutant rayonne de tout son éclat lors du lancement du défi à l’acte II, tandis que son récit de l’acte III s’enrichit d’enivrantes variations de couleur, notamment en exploitant intelligemment les notes du bas du registre. Lui aussi à ses premiers pas à Paris et dans le titre, Andrii Kymach oppose au protagoniste un Ford de belle allure, au grave envoûtant, quoique pas toujours intelligible et à la projection parfois ardue. Par ailleurs, Ambrogio Maestri se singularise également par le chant syllabique bien rodé de son arietta de l’acte II, au comique désopilant, et dans une scène finale impressionnante de drame et de vérité.
Place aux jeunes
Débutant à leur tour dans l’établissement, et dans leur personnage pour la première, les jeunes amants ne sauraient être plus harmonieux dans leur couple. Federica Guida est une Nannetta au souffle sans fin, aimant tenir les notes bien longuement, ce qui se ressent dans ses deux entrevues avec son bien-aimé, puis dans la fugue finale, où elle se fait un plaisir de planer dans les plus hautes sphères. Nous avions été ému par la prestation d’un Iván Ayón-Rivas aux premières armes, dans un concert post-covid, à Brescia. L’épreuve des planches ne vient que confirmer nos premières impressions. Son Fenton s’illustre aussitôt par la sûreté du placement d’une voix déjà très mûre, par l’épaisseur de l’accent, par la stabilité de l’aigu et par le sens de la nuance, notamment dans la romanza de l’acte III.
Marie-Andrée Bouchard-Lesieur campe une Meg Page bien articulée et rejoint avec bonheur les trois autres femmes, tout particulièrement dans le sillabato bien huilé de la scène du jardin. Bardolfo à la diction perfectible, Nicholas Jones, issu de la troupe de l’Opéra, investit son personnage à 360°, grâce à des dons d’acteur peu communs. Gregory Bonfatti et Alessio Cacciamani sont respectivement un Dottor Cajus et Pistola de tradition et de bonne facture.
Toujours très idiomatiques, les Chœurs de l’Opéra national de Paris se déchaînent dans l’épilogue du chêne de Herne. Une mention pour les vents, limpides dans leur claironnement, de l’orchestre maison que dirige avec compétence Michael Schønwandt. Public reconnaissant au rideau final.
Sir John Falstaff : Ambrogio Maestri
Ford : Andrii Kymach
Fenton : Iván Ayón-Rivas
Dottor Cajus : Gregory Bonfatti
Bardolfo : Nicholas Jones
Pistola : Alessio Cacciamani
Mrs. Alice Ford : Olivia Boen
Nannetta : Federica Guida
Mrs. Quickly : Marie-Nicole Lemieux
Mrs. Meg Page : Marie-Andrée Bouchard-Lesieur
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris,
dir. Michael Schønwandt et Alessandro Di Stefano
Mise en scène : Dominique Pitoiset
Décors : Alexandre Beliaev
Costumes : Elena Rivkina
Lumières : Philippe Albaric
Falstaff
Commedia lirica en trois actes de Giuseppe Verdi, livret d’Arrigo Boito, créé au Teatro alla Scala de Milan le 9 février 1893.
Paris, Opéra Bastille, 10 septembre 2024
3 commentaires
Raffinata e dettagliata recensione, elegante anche nella critica! Grazie, Prof. Faverzani!
Plutôt d’accord, mais quid de l’Orchestre ? La partition de Falstaff permet des trios (trombones), de très nombreux passages « en dehors » (flûte, cor anglais). Faute d’autres grands rôles vocaux en dehors de Falstaff, l’orchestre est intensément présent dans cette oeuvre, avec de nombreux passages modernes délicats et parfaitement traversés (quasi polyrythmie entre un quatuor de femmes, quatuor d’hommes et contrechant instrumental par exemple). Michaël Schonwand, ex-chef titulaire de Montpellier, s’en sort admirablement.
Bonjour monsieur Lardic,
merci pour votre lecture. Bienvenue au club !!!
Bonne écoute