L’italiana in Algeri, Théâtre des Champs-Élysées, 18 juin 2025
Marie-Nicole Lemieux retrouve l’héroïne d’il y a onze ans et Levy Sekgapane son rôle fétiche
Après L’Enlèvement au Sérail il y a un an et demi environ, Julien Chauvin et Le Concert de la Loge nous invitent à l’écoute d’une nouvelle turquerie sur instruments anciens. Le chef et sa formation inscrivent ainsi une nouvelle œuvre à leur répertoire, également leur premier contact avec Rossini, du moins à l’opéra. Il faut admettre qu’ils s’en sortent avec les honneurs et nous pouvons espérer que cette expérience ne sera pas sans lendemain. La direction paraît plutôt sage au tout début, affectée d’un rendu quelque peu abrupt des cordes dans l’ouverture, où se distingue le malicieux a solo de la clarinette dialoguant adroitement avec la flûte traversière, nous entrainant vers ce crescendo vertigineux qui constitue la griffe de l’ouvrage et du compositeur.
Le hasard du calendrier fait que le concert de ce soir vient parfaire une sorte de mini-festival Rossini parisien, se situant au cœur des reprises du Barbiere di Siviglia à l’Opéra national de Paris et succédant à l’exécution de Semiramide la veille, à son tour issue des représentations de Rouen. Sans s’annoncer explicitement comme une mise en espace, plus qu’à un concert, c’est à une réalisation très animée que nous convient les artistes, intervenant tous très spontanément sans partition.
Avec le Barbiere, cette Italiana partage le ténor, cet autre Lindoro qu’incarne vaillamment Levy Sekgapane. Si nous avions trouvé que les dimensions du grand vaisseau de l’Opéra Bastille contraignaient la projection de sa voix, au Théâtre des Champs-Élysées le chanteur sud-africain est entièrement dans son élément, comme dans son personnage d’ailleurs, dont il connaît à la perfection tous les secrets. Dès sa cavatine, il se singularise par la netteté de sa diction, la tenue de la ligne, la variété des couleurs, notamment dans la seconde strophe qu’il assombrit à bon escient, et par la facilité des trilles menant vers un aigu tout aussi adroit. On se demande alors pourquoi il se sent obligé de savonner certaines syllabes, puisqu’il n’en a nullement besoin. Bien rythmé, son air de l’acte II atteint des effets enivrants dans le crescendo vers le haut du registre.
En l’Italienne du titre, sa bien-aimée, le public retrouve Marie-Nicole Lemieux qu’il avait entendue dans cette même salle il y a onze ans, presque jour pour jour. Entre temps l’héroïne a considérablement mûri et la contralto canadienne s’investit sans réserve dans un rôle qu’elle agrémente de trois robes successives, en fonction de l’évolution de la trame. Pieds nus, la sortita du débarquement se démarque par un grossissement de la voix très efficace en termes de drôlerie, ce que confirment l’habileté des onomatopées devant décrire les sentiments changeants des hommes, ainsi que des transitions savamment négociées et un grave prodigieux. Sensuelle dans la farce, la prière à Vénus atteint des sommets du chant syllabique, soutenu par la complicité des pertichini des trois amoureux. Très articulé dans son récitatif, le rondò de l’acte II se décoche comme un dard et donne toute sa rondeur à une exposition qui se veut héroïque dans la vocalise et virtuose dans les variations de l’allegro.
Mustafà légèrement engorgé dans l’introduction, Nahuel Di Pierro possède un très beau legato et son phrasé dans l’air de l’acte I fait des merveilles, sans compter à nouveau avec un art du sillabato à toute épreuve. Malgré des voyelles à la prononciation encore perfectible, Mikhail Timoshenko, en prise de rôle, campe un Taddeo à l’élocution souple, devisant adroitement avec le chœur dans son air de l’acte II. Par moments fâché avec la justesse, l’hymne aux femmes d’Italie d’Alejandro Baliñas Vieites, lui aussi à ses débuts dans Haly, a de l’allure.
Cependant, au-delà des prestations individuelles, c’est surtout le travail d’équipe qui impressionne tout particulièrement ce soir, se concrétisant dans une complicité sans borne dont se complaisent visiblement les interprètes. Ainsi la maîtrise du chant syllabique, fondamentale chez Rossini et davantage dans ce titre, s’impose-t-elle à maintes occasions, singulièrement dans le duo entre Mustafà et Lindoro, où l’opposition des deux timbres est un bonheur, puis dans tout le finale I, malgré un léger écart de justesse dû apparemment à un petit souci dans la direction, et dans le quatuor du finale II. Relevons encore l’entente totale entre Isabella et Taddeo lors de leur duo de l’acte I, notamment dans la strette, les roulades et les notes piquées de la protagoniste dans le duo avec Mustafà, au sein du finale I, les belles nuances dans le grave de ce dernier, le concertato effréné qui suit un moment de surprise étourdissant, dont ressortent, impressionnants, Isabella et Lindoro, pour une nouvelle avalanche d’onomatopées parfaitement accélérées. Ou, à l’acte II, la strette déchaînée du quintette, égayée par les accents de Lindoro et les aigus claironnants de l’Elvira de Julie Roset, puis le trio désopilant des « Pappataci », nourri également par un jeu d’acteurs consommé. Complète la Zulma espiègle d’Éléonore Pancrazi, en attendant sans doute un jour Isabella.
Une mention pour le Chœur Fiat Cantus, bien chantant, s’affichant sur le devant de la scène à l’amarrage, puis avant le départ. Très enjoué, il sait être à la fois martelant – quel bel effet sur « Mustafà » en annonçant la venue du fléau des femmes – et triomphant pour la cérémonie du Kaimakan, charriant tout dans l’allégresse.
Le public est aux anges. Rendez-vous dans quelques mois pour Il turco in Italia ?
Mustafà : Nahuel Di Pierro
Elvira : Julie Roset
Zulma : Éléonore Pancrazi
Haly : Alejandro Baliñas Vieites
Lindoro : Levy Sekgapane
Isabella : Marie-Nicole Lemieux
Taddeo : Mikhail Timoshenko
Le Concert de la Loge et Chœur Fiat Cantus, dir. Julien Chauvin et Thomas Tacquet
L’italiana in Algeri
Dramma giocoso en deux actes de Gioachino Rossini, livret d’Angelo Anelli, créé au Teatro San Benedetto de Venise le 22 mai 1813.
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, concert du mercredi 18 juin 2025.