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Œuvres

MACBETH – Verdi (1847) – dossier

par Stéphane Lelièvre 27 décembre 2024
par Stéphane Lelièvre 27 décembre 2024
John Martin, Macbeth (1820) - Scottish National Gallery
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Opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave et Andrea Maffei d’après William Shakespeare, créé au Teatro della Pergola à Florence, le 14 mars 1847.

LES AUTEURS

Le compositeur

Giuseppe VERDI (1813-1901)

Issu d’une famille très modeste, Verdi commence sa formation musicale auprès du chef de l’orchestre municipal de Busseto, petite ville située à quelques kilomètres de Parme et commune de rattachement des Roncole, le hameau où naquit le compositeur. Âgé de vingt ans, il dirige une exécution de La Création de Haydn et attire ainsi sur lui l’attention du public et de la critique. Il compose alors son premier opéra : Oberto, comte de S. Bonifacio, qui est représenté à la Scala en 1839. C’est une période très difficile pour le compositeur, qui voit disparaître successivement ses deux enfants et sa femme. 

En 1842, Nabuchodonosor triomphe à la Scala de Milan.  Commence alors une période que le musicien qualifia lui-même d’ « années de galère » au cours desquelles, tout en se débattant dans des préoccupations matérielles et commerciales, il s’efforce de se faire un nom en multipliant les créations : I Lombardi alla prima Crociata (1843), Ernani (1844),  Giovanna d’Arco (1845), Attila (1846). Puis vient la trilogie qui consacre sa gloire : Rigoletto (1851), Il trovatore et La traviata (1853). La renommée de Verdi devient vite internationale. Il compose plusieurs œuvres pour Paris, notamment Les Vêpres siciliennes (1855) et Don Carlos (1867). 
Comme Victor Hugo incarne le romantisme littéraire français, Verdi est l’incarnation du romantisme musical italien. Le parallèle entre les deux hommes est frappant : tous deux s’engagèrent politiquement (Verdi fut un ardent partisan de l’unité italienne ; Cavour l’appela à la Chambre des députés, après quoi il fut élu sénateur) ; tous deux continuèrent de créer jusqu’à un âge avancé, en renouvelant constamment leur langage artistique (Aida est créée en 1871, Otello en 1887, Falstaff en 1893). Tous deux enfin, après leur disparition, plongèrent leur pays dans un deuil national et se virent offrir de grandioses funérailles.

Les librettistes

Francesco Maria PIAVE (1810-1876)

D’origine vénitienne, Piave manifeste très tôt un intérêt marqué pour la littérature. Il devient dès 1831 membre de l’Accademia Tiberina (fondée à Rome le 9 avril 1813 par un groupe de 26 érudits et écrivains résidant à Rome, son but était de cultiver les sciences et les lettres latines et italiennes, et en particulier tout ce qui concernait Rome). Il est également secrétaire de rédaction chez un éditeur vénitien, puis acquiert la notoriété en tant que librettiste d’opéras, essentiellement pour Verdi pour lequel il écrivit 10 livrets : 

Ernani (1844), I due Foscari (1844), Macbeth (1847), Il corsaro (1848), Stiffelio (1850), Rigoletto (1851), La traviata (1853), Simon Boccanegra (1857), Aroldo (1857), La forza del destino (1862).

Andrea Maffei (1798-1885)

Poète et romancier, Andrea Maffei est  surtout passé à la postérité pour l’action essentielle qu’il joua dans la diffusion, en Italie, des chefs-d’oeuvre de la littérature européenne. Connaissant plusieurs langues étrangères, il entreprit la traduction des oeuvres de Shakespeare, Byron, Goethe, Schiller, Heine, Lamartine ou Hugo. Il fit paraître en  1878 une anthologie de Poètes anglais et français. Pour Verdi, il écrivit le livret des Masnadieri (1847) et participa à la rédaction de celui de Macbeth. 

Le salon de son épouse, la comtesse Clara Maffei, fut en son temps l’un des plus célèbres de Milan.  Les écrivains et les artistes du risorgimento s’y réunissaient. Parmi eux, Alessandro Manzoni ou Giuseppe Verdi – dont elle est la fidèle confidente et avec qui elle entretiendra longtemps une passionnante correspondance.

L’ŒUVRE

La création et la fortune de l'œuvre 

La création de Macbeth eut lieu le 14 mars 1847 au Teatro della Pergola de Florence (un opéra de 1500 places construit au XVIIe siècle, sis dans la rue du même nom ; il s’agit du premier théâtre italien comportant plusieurs étages de loges superposés).  Felice Varesi incarnait le rôle-titre, Marianna Barbieri-Nini celui de la Lady.

Felice Varesi en 1843
Marianna Barbieri-Nini en 1853

Felice Varesi (1813-1889) fut le créateur de plusieurs rôles verdiens importants : Don Carlo dans Ernani, le Doge dans I due Foscari,  le rôle-titre de Macbeth, celui de Rigoletto, enfin le rôle de Giorgio Germont dans La traviata.
Outre le personnage de Lady Macbeth, Marianna Barbieri-Nini créa également ceux de  Lucrezia Contarini dans I due Foscari et Gulnara dans Il corsaro. Elle fut aussi une interprète réputée d’Anna Bolena et Semiramide. 

Macbeth reçut un accueil favorable de la part du public : l’opéra connut plusieurs reprises rapides en Italie, signe d’un vrai succès scénique. L’accueil fut un peu plus nuancé du côté de la critique, parfois déstabilisée par le caractère sombre de l’œuvre, son absence de grand rôle amoureux et l’importance accordée aux chœurs et à l’atmosphère plutôt qu’à la virtuosité vocale traditionnelle. Malgré ces réserves, Macbeth fut rapidement reconnu comme une étape majeure dans l’évolution du style verdien, marquant un approfondissement psychologique des personnages, et une conception plus intensément dramatique du langage musical.
Parmi les reprises du XXe siècle qui contribuèrent à faire redécouvrir l’œuvre, citons deux productions scaligères : celle de 1952 dirigée par Victor de Sabata avec Maria Callas en Lady, et celle de 1975 (mise en scène de Strehler, direction musicale d’Abbado, avec Cappuccili et Verrett dans les rôles principaux). 

Le livret

Les sources

Le général Macbeth (1005-1057) est un personnage historique, dont le règne a été relaté par Raphael Holinshed dans ses Chroniques, parues en 1587. Shakespeare s’inspira de ce récit pour sa tragédie, probablement écrite entre 1599 et 1606 et publiée pour la première fois en 1623.

The Tragedie of Macbeth, dans le premier recueil publié des œuvres théâtrales de Shakespeare (1623)

L’intrigue

L’action se déroule dans l’Écosse médiévale et retrace de façon romancée la vie du général Macbeth qui régna de 1040 à 1057.

ACTE I
Dans un bois.
Des sorcières prédisent à Macbeth, seigneur de Glamis, qu’il deviendra bientôt seigneur de Cawdor, puis roi d’Écosse. Quant à Banco, le général qui accompagne Macbeth, il sera à la tête d’une lignée de rois sans jamais être roi lui-même. À peine les sorcières ont-elles achevé leurs prophéties qu’un messager apparaît : il annonce à Macbeth qu’il est fait sire de Cawdor. Macbeth s’empresse d’envoyer à sa femme,  Lady Macbeth, un message lui annonçant ces étonnantes nouvelles.

Dans le château de Macbeth.
Lady Macbeth lit le message de son époux. 

Entre Lady Macbeth, lisant une lettre.

LADY MACBETH.
« Elles sont venues à ma rencontre au jour du succès, et j’ai appris par la plus complète révélation qu’elles ont en elles une connaissance plus qu’humaine. Quand je brûlais du désir de les questionner plus à fond, elles sont devenues l’air même, dans lequel elles se sont évanouies. J’étais encore ravi par la surprise quand sont arrivés des messagers du roi qui m’ont proclamé thane de Cawdor, titre dont venaient de me saluer les sœurs fatidiques, en m’ajournant aux temps à venir par ces mots : Salut à toi, qui seras roi ! J’ai trouvé bon de te confier cela, compagne chérie de ma grandeur, afin que tu ne perdes pas ta part légitime de joie, dans l’ignorance de la grandeur qui t’est promise. Garde cela dans ton cœur, et adieu ! »

— Tu es Glamis et Cawdor, et tu seras — ce qu’on t’a promis… Mais je me défie de ta nature : — elle est trop pleine du lait de la tendresse humaine — pour que tu saisisses le plus court chemin. Tu veux bien être grand ; — tu as de l’ambition, mais pourvu — qu’elle soit sans malaise. Ce que tu veux hautement, — tu le veux saintement : tu ne voudrais pas tricher, — et tu voudrais bien mal gagner. Ton but, noble Glamis, — te crie : « Fais cela pour m’atteindre. » — Et cela, tu as plutôt peur de le faire — que désir de ne pas le faire. Accours ici, — que je verse mes esprits dans ton oreille, — et que ma langue valeureuse chasse — tout ce qui t’écarte du cercle d’or — dont le destin et une puissance surnaturelle semblent — avoir couronné.

Entre un serviteur.

Quelles nouvelles apportez-vous ?

LE SERVITEUR.
— Le roi arrive ici ce soir.

LADY MACBETH.
Tu es fou de dire cela. — Est-ce que ton maître n’est pas avec lui ? Si cela était, — il m’aurait avertie de faire des préparatifs.

LE SERVITEUR.
— La chose est certaine, ne vous en déplaise ; notre thane approche ; — il s’est fait devancer par un de mes camarades, — qui, presque mort d’essoufflement, a eu à peine la force — d’accomplir son message.

LADY MACBETH.
Qu’on prenne soin de lui : — il apporte une grande nouvelle.

Le serviteur sort.

LADY MACBETH, seule, continuant.
Le corbeau lui-même s’est enroué — à croasser l’entrée fatale de Duncan — sous mes créneaux. Venez, venez, esprits — qui assistez les pensées meurtrières ! Désexez-moi ici, — et, du crâne au talon, remplissez-moi toute — de la plus atroce cruauté. Épaississez mon sang, — fermez en moi tout accès, tout passage au remords ; — qu’aucun retour compatissant de la nature — n’ébranle ma volonté farouche et ne s’interpose — entre elle et l’exécution ! Venez à mes mamelles de femme, — et changez mon lait en fiel, vous, ministres du meurtre, — quel que soit le lieu où, invisibles substances, — vous aidiez à la violation de la nature. Viens, nuit épaisse, — et enveloppe-toi de la plus sombre fumée de l’enfer : — que mon couteau aigu ne voie pas la blessure qu’il va faire ; — et que le ciel ne puisse pas poindre à travers le linceul des ténèbres, — et me crier : Arrête ! arrête !

Shakespeare, Macbeth, scène V (traduction François-Victor Hugo)

Lady Macbeth se promet d’aider le destin et de seconder son mari, dont elle redoute la faiblesse, dans sa conquête du trône.  Le roi Duncan doit justement passer la nuit au château. Lady Macbeth pousse son mari à l’assassiner dans son sommeil. Macbeth s’exécute, mais est aussitôt envahi par un profond sentiment de remords et de culpabilité. Lady Macbeth se saisit du poignard avec lequel Duncan a été assassiné et le place dans la chambre du roi, espérant ainsi pouvoir faire accuser les gardes du meurtre.

Cour dans l’intérieur du château.
[…]

LADY MACBETH.
— Hélas ! j’ai peur qu’ils ne se soient éveillés — et que ce ne soit pas fait : la tentative, sans le succès, — nous perd. Écoutons. J’avais disposé leurs poignards : — il a dû forcément les trouver… S’il n’avait pas ressemblé — dans son sommeil à mon père, j’aurais fait la chose… Mon mari !

Entre Macbeth.

MACBETH.
— J’ai fait l’action… N’as-tu pas entendu un bruit ?

LADY MACBETH.
— J’ai entendu le hibou huer et le grillon crier. — N’avez-vous pas parlé ?

MACBETH.
Quand ?

LADY MACBETH.
À l’instant même.

MACBETH.
— Quand je descendais ?

LADY MACBETH.
Oui.

MACBETH.
Écoute ! — Qui couche dans la seconde chambre ?

LADY MACBETH.
Donalbain.

MACBETH, regardant ses mains.
— Voilà un triste spectacle.

LADY MACBETH.
— Niaise idée, de dire : triste spectacle !

MACBETH.
— Il y en a un qui a ri dans son sommeil et un qui a crié : Au meurtre ! — Si bien qu’ils se sont éveillés l’un l’autre. Je me suis arrêté en les écoutant ; — mais ils ont dit leurs prières, et se sont remis — à dormir.

LADY MACBETH.
Ils sont tous deux logés ensemble.

MACBETH.
— L’un a crié : Dieu nous bénisse ! et l’autre : Amen ! — comme s’ils m’avaient vu avec ces mains de bourreau. — Écoutant leur frayeur, je n’ai pu dire : Amen ! — quand ils ont dit : Dieu nous bénisse !

LADY MACBETH.
Ne vous préoccupez pas tant de cela.

MACBETH.
— Mais pourquoi n’ai-je pas pu prononcer Amen ? — J’avais le plus grand besoin de bénédiction, et le mot Amen — s’est arrêté dans ma gorge !

LADY MACBETH.
On ne doit pas penser à ces actions-là — de cette façon ; ce serait à nous rendre fous.

MACBETH.
— Il m’a semblé entendre une voix crier : « Ne dors plus ! — Macbeth a tué le sommeil ! » Le sommeil innocent, — le sommeil qui démêle l’écheveau embrouillé du souci, — le sommeil, mort de la vie de chaque jour, bain du labeur douloureux, — baume des âmes blessées, second service de la grande nature, — aliment suprême du banquet de la vie !

LADY MACBETH.
Que voulez-vous dire ?

MACBETH.
— Et cette voix criait toujours par toute la maison : Ne dors plus ! — Glamis a tué le sommeil ; et aussi Cawdor — ne dormira plus, Macbeth ne dormira plus !

LADY MACBETH.
— Qui donc criait ainsi ? Ah ! digne thane, — vous ébranlez votre noble énergie par ces réflexions — d’un cerveau malade. Allez chercher de l’eau, — et lavez votre main de cette tache accusatrice. — Pourquoi n’avez-vous pas laissé à leur place ces poignards ? — Il faut qu’ils restent là-haut : allez les reporter ; et barbouillez — de sang les chambellans endormis.

MACBETH.
Je n’irai plus ; — j’ai peur de penser à ce que j’ai fait. — Regarder cela encore ! je n’ose pas !

LADY MACBETH.
Faible de volonté ! — Donne-moi les poignards. Les dormants et les morts — ne sont que des images ; c’est l’œil de l’enfance — qui s’effraie d’un diable peint. S’il saigne, — je dorerai de son sang la figure de ses gens, — car il faut qu’ils semblent coupables.

Elle sort. On entend frapper derrière le théâtre.

MACBETH.
De quel côté frappe-t-on ? — Dans quel état suis-je donc, que le moindre bruit m’épouvante ?

Regardant ses mains.

— Quelles sont ces mains-là ? Ah ! elles m’arrachent les yeux ! — Tout l’océan du grand Neptune suffira-t-il à laver — ce sang de ma main ? Non, c’est plutôt ma main — qui donnerait son incarnat aux vagues innombrables, — en faisant de l’eau verte un flot rouge.

Rentre Lady Macbeth.

LADY MACBETH.
— Mes mains ont la couleur des vôtres ; mais j’aurais honte — d’avoir le cœur aussi blême.

On frappe.

J’entends frapper — à l’entrée du sud. Retirons-nous dans notre chambre. — Un peu d’eau va nous laver de cette action. — Comme c’est donc aisé ! Votre résolution — vous a laissé en route.

On frappe.

Écoutez ! on frappe encore. — Mettez votre robe de nuit, de peur qu’un accident ne nous appelle — et ne montre que nous avons veillé. Ne vous perdez pas — si misérablement dans vos pensées.

MACBETH.
— Connaître ce que j’ai fait ! Mieux vaudrait ne plus me connaître !

Shakespeare, Macbeth, scène VIII (traduction François-Victor Hugo)

Le noble écossais Macduff et le général Banco découvrent, horrifiés, le cadavre du roi. L’émoi gagne l’ensemble de la cour : tous invoquent la justice divine.

ACTE II
Le château de Macbeth.
Macbeth s’inquiète de la prédiction des sorcières, selon laquelle les fils de Banco règneront sur l’Écosse. Il décide alors de tuer Banco, tandis que Lady Macbeth exulte à l’idée de voir ses ambitions satisfaites.

Des tueurs à gage assassinent Banco, mais son fils parvient à s’échapper.
Une fête est organisée en l’honneur de Macbeth, nouveau roi d’Écosse, mais elle est interrompue par le roi lui-même, hanté par des visions d’horreur : le spectre de Banco lui apparaît sans cesse, venant lui rappeler son crime. La foule, interloquée, s’interroge ; Lady Macbeth tente vainement de rasséréner son mari ; Macduff comprend que le roi cache un secret effrayant et devine sa culpabilité.

ACTE III
Les ruines d’un château dévasté par la guerre.
Macbeth décide de consulter de nouveau les sorcières. Elles lui recommandent de se méfier de Macduff, lui expliquent qu’il ne doit rien redouter d’un être humain ayant été enfanté par une femme, et que rien ne pourra l’atteindre tant que la forêt de Birnam ne se mettra pas en marche.  Macbeth est alors rejoint par sa femme : le couple célèbre l’ « heure de mort et de vengeance » qui approche…

ACTE IV
Le bois de Birnam.
Des Écossais proscrits se lamentent sur l’oppression qu’ils subissent. Macduff, quant à lui, est désespéré : il a perdu sa femme et ses enfants, assassinés par les sbires de Macbeth.  Malcolm, le fils du roi Duncan assassiné, l’exhorte au courage. Il demande à ses hommes de reprendre le combat et de le suivre en direction du château de Macbeth. Afin de pas être repérés, les soldats se dissimulent derrière des branchages qu’ils arrachent aux arbres de la forêt.

Le château de Macbeth. 
La suivante et le médecin de Lady Macbeth, terrifiés, observent leur maîtresse en proie à une crise de somnambulisme : la Lady tente inlassablement d’effacer de ses mains les taches de sang qu’elle croit y voir. À bout de forces, elle expire. 

Dunsinane. Une salle dans le château. Entrent un médecin et une dame de service.
[…]

Entre Lady Macbeth, avec un flambeau.

LA DAME DE SERVICE.
Tenez, la voici qui vient ! Justement dans la même tenue ; et, sur ma vie, profondément endormie. Observez-la ; approchez.

LE MÉDECIN.
Comment s’est-elle procuré cette lumière ?

LA DAME DE SERVICE.
Ah ! elle l’avait près d’elle ; elle a de la lumière près d’elle continuellement, c’est son ordre…

LE MÉDECIN.
Vous voyez, ses yeux sont ouverts.

LA DAME DE SERVICE.
Oui, mais ils sont fermés à la sensation.

LE MÉDECIN.
Qu’est-ce qu’elle fait là ? Regardez comme elle se frotte les mains.

LA DAME DE SERVICE.
C’est un geste qui lui est habituel, d’avoir ainsi l’air de se laver les mains. Je l’ai vue continuer à faire cela pendant un quart d’heure.

LADY MACBETH.
Il y a toujours une tache.

LE DOCTEUR.
Écoutez ! elle parle : je vais noter tout ce qui lui échappera, pour fixer plus fermement mon souvenir.

LADY MACBETH.
Va-t’en, tache damnée ! va-t’en, dis-je… Une ! deux ! Alors il est temps de faire la chose !… L’enfer est sombre ! … Fi ! monseigneur, fi ! un soldat avoir peur !… À quoi bon redouter qu’on le sache, quand nul ne pourra demander de comptes à notre autorité ? Pourtant qui aurait cru que le vieux homme eût en lui tant de sang ?

LE MÉDECIN.
Remarquez-vous cela ?

LADY MACBETH.
Le thane de Fife avait une femme ; où est-elle à présent ? … Quoi ! ces mains-là ne seront donc jamais propres ? … Assez, monseigneur, assez ! Vous gâtez tout avec ces frémissements.

LE MÉDECIN.
Allez ! allez ! vous en savez plus que vous ne devriez !

LA DAME DE SERVICE.
Elle a parlé plus qu’elle n’aurait dû, je suis sûre de cela. Le ciel sait ce qu’elle sait !

LADY MACBETH.
Il y a toujours l’odeur du sang… Tous les parfums d’Arabie ne rendraient pas suave cette petite main ! Oh ! oh ! oh !

LE MÉDECIN.
Quel soupir ! Le cœur est douloureusement chargé.

LA DAME DE SERVICE.
Je ne voudrais pas avoir dans mon sein un cœur pareil, pour tous les honneurs rendus à sa personne.

LE MÉDECIN.
Bien, bien, bien.

LA DAME DE SERVICE.
Priez Dieu que tout soit bien, monsieur.

LE MÉDECIN.
Cette maladie échappe à mon art ; cependant j’ai connu des gens qui se sont promenés dans leur sommeil et qui sont morts saintement dans leur lit.

LADY MACBETH.
Lavez vos mains, mettez votre robe de nuit, ne soyez pas si pâle… Je vous le répète, Banquo est enterré, il ne peut pas sortir de sa tombe.

LE MÉDECIN.
Serait-il vrai ?

LADY MACBETH.
Au lit ! au lit ! on frappe à la porte. Venez, venez, venez, venez, donnez-moi votre main. Ce qui est fait ne peut être défait : au lit ! au lit ! au lit !

Sort lady Macbeth.

Shakespeare, Macbeth, scène XIX (traduction François-Victor Hugo)

On annonce à Macbeth que la forêt de Birnam avance vers le château.  Macbeth se prépare pour le combat. Confronté à Macduff, il lui annonce ne rien redouter d’un homme ayant été enfanté par une femme. Mais Macduff révèle alors avoir été arraché du ventre de sa mère avant le terme de sa grossesse.  Macduff tue Macbeth. Le peuple acclame Malcolm, proclamé nouveau roi d’Écosse.

La partition - les trois versions

Verdi éprouvait une fascination pour le théâtre de Shakespeare, qu’il considérait comme un auteur éminemment « romantique ». Il le mit en musique à trois reprises, avec Macbeth (1847), Otello (1887) et Falstaff (1894) – sans oublier un projet autour du Roi Lear, hélas jamais concrétisé. Le musicien italien connaissait très bien l’œuvre du dramaturge, au point de s’être offusqué quand un critique français prétendit le contraire : 

Peut-être n’ai-je pas rendu Macbeth comme il fallait, mais dire que je ne connais pas, que je ne comprends pas et que je ne sens pas Shakespeare – non, par Dieu, non ! Il est l’un de mes poètes favoris, que je découvris dès ma plus tendre enfance et que je lis et relis constamment ».
(Lettre à Escudier, 28 avril 1865).

Cet amour pour Shakespeare – mais aussi sans doute la conscience qu’il avait d’avoir composé, avec le Macbeth de 1847, un  opéra tout à fait digne d’intérêt – conduisit Verdi à proposer cette oeuvre en 1865 au Théâtre Lyrique de Paris. En relisant sa partition, il y trouva cependant plusieurs pages qui ne correspondaient plus  à ses idéaux artistiques :

J’ai relu Macbeth dans l’intention d’écrire la musique de ballet, mais hélas ! en parcourant la partition, je fus surpris d’y découvrir un certain nombre de choses qui n’auraient pas dû s’y trouver. En un mot, certains numéros sont soit faibles, soit dépourvus de caractère, ce qui est encore pire.

(Lettre à Escudier, 22 octobre 1864).

Il décide alors de modifier profondément sa partition,  et compose notamment de nouvelles pages – dont le ballet, indispensable pour les scènes lyriques parisiennes. Pour une analyse détaillée du Macbeth parisien, consultez ici le dossier que nous avons consacré à cette version de l’œuvre.

La nouvelle musique composée par Verdi pour Paris supplanta la version de l’œuvre originelle : les nouvelles pages (l’air de Lady Macbeth au II, le duo Macbeth/Lady Macbeth au III…) furent traduites en italien, et c’est depuis cette version « française traduite en italien » (créée à Milan en 1874) qui est le plus souvent jouée, sans le ballet, mais en rétablissant parfois l’air que chante Macbeth avant de mourir dans la version de 1847 : « Mal per me che m’affidai ne’ presagi dell’inferno!… »

Le tableau ci-dessous comporte les différences essentielles entre les trois versions de l’œuvre : 

Langues / Pages musicales

Version 1847 (Florence)

Version 1865 (Paris)

Version 1874 (Milan)

Langue du livret 

Italien

Français

Italien

Acte II
Air de Lady Macbeth

« Trionfai! Securi alfine »

« Douce lumière… »

« La luce langue »

Acte III
Ballet

Non

Oui

Acte III
Finale

Cabalette de Macbeth :
« Vada in fiamme, e in polve cada l’alta rocca di Macduffo »

Duo Macbeth/Lady Macbeth :
« Heure de mort et de vengeance »

Duo Macbeth/Lady Macbeth :
« Ora di morte e di vendetta »

Finale

Air de Macbeth :
« Mal per me che m’affidai ne’ presagi dell’inferno!… »

« Macbeth ! Où donc est-il ce lâche usurpateur ? »

« Macbeth, Macbeth ov’è ? Dovè l’usurpator ? »

Sources des enregistrements :

  • Acte II 
    – Air de Lady Macbeth version 1847 : Fiorenza Cossotto / Riccardo Muti (1976)
    – Air de Lady Macbeth version 1865 : Silvia Dalla Benetta / Roberto Abbado (Parme, 2020)
    – Air de Lady Macbeth version 1874 : Asmik Grigorian / Philippe Jordan (Salzbourg, 2023)
  • Acte III
    – Ballet de 1865 : Roberto Abbado (Parme, 2020)
    – Finale – Air de Macbeth 1847 : Sherrill Miles / Riccardo Muti (1976)
    – Finale – Duo Macbeth/Lady Macbeth 1865 : Silvia Dalla Benetta – Ludovic Tézier / Roberto Abbado (Parme, 2020)
    – Finale – Duo Macbeth/Lady Macbeth 1874 : Leonard Warren – Leonie Rysanek / Erich Leinsdorf (1959)
  • Acte IV
    – Finale, air de Macbeth 1847 : Sherrill Miles / Riccardo Muti (1976)
    – Finale, chœur 1865 : Roberto Abbado (Parme, 2020)
    – Finale, chœur 1874 : Teatro San Carlo (Naples, 2023)

NOTRE SÉLECTION POUR VOIR ET ÉCOUTER L'ŒUVRE

Les CD

Version de 1847

John Matheson / Peter Glossop, Rita Hunter, John Tomlinson, Kenneth Collins. BBC Concert Orchestra and BBC Singers. 2CD Opera Rara, 1978.

Fabio Biondi / Giovanni Meoni, Nadja Michael, Fabrizio Beggi, Giuseppe Valentino Buzza. Europa Galante. 2CD Glossa Music, 2018.

Version française de 1865

 Roberto Abbado / Ludovic Tézier, Silvia dalla Benetta, Riccardo Zanellato, Giorgio Berrugi. Filarmonica Arturo Toscanini, Choeur du Teatro Regio de Parme. 2CD Dynamic, live. Enregistré en septembre 2020.

Version de 1874

Victor de Sabata / Enzo Mascherini, Maria Callas, Gino Penno, Italo Tajo. Chœurs et orchestre de la Scala. 2CD EMI, live. Enregistré en décembre 1952.

 

Erich Leinsdorf / Leonard Warren, Leonie Rysanek, Jerome Hines, Carlo Bergonzi. Metropolitan Opera Chorus and Orchestra. 2CD RCA, 1959.

Riccardo Muti / Sherrill Milnes, Fiorenza Cossotto, Ruggero Raimondi, José Carreras. New Philharmonia Orchestra and Ambrosian Opera Chorus. 2CD EMI, 1976.

Claudio Abbado / Piero Cappuccilli, Shirley Verrett, Nicolai Ghiaurov, Plácido Domingo. Coro e Orchestra del Teatro alla Scala. 2CD DG, 1976.

Riccardo Chailly / Leo Nucci, Shirley Verrett, Samuel Ramey, Veriano Luchetti. Teatro Comunale di Bologna Orchestra and Chorus. 2CD Decca, 1986.

Giuseppe Sinopoli / Renato Bruson, Mara Zampieri, Robert Lloyd, Neil Shicoff. Orchester und Chor der Deutsche Oper Berlin. 2CD Philips, 1987.

Streaming

Claudio Abbado, Giorgio Strehler / Piero Cappuccilli, Shirley Verrett. Scala, 1976. Sous-titres en français (version restaurée d'excellente qualité)
Giuseppe Sinopoli, Luca Ronconi / Renato Bruson, Mara Zampieri. Deutsche Oper Berlin, 1987.
Franz Welser-Möst, David Pountney / Thomas Hampson, Paoletta Marrocu. Zurich, 2001. Sous-titres en anglais.
Bruno Campanella, Phyllida Lloyd / Carlos Álvarez, Maria Guleghina. Barcellona, 2004. Sous-titres en italien.
Fabio Luisi, Adrian Noble / Željko Lučić, Anna Netrebko. New York, 2014. Sous-titres en portugais.

DVD et Blu-ray

Claude d’Anna, Riccardo Chailly / Leo Nucci, Shirley Verrett, Samuel Ramey, Veriano Luchetti. Teatro Comunale di Bologna Orchestra and Chorus. 1 DVD DG, 1986.

Franz Welser-Möst, David Pountney / Thomas Hampson, Paoletta Marrocu, Roberto Scandiuzzi, Luis Lima. Chœurs et orchestre de l’Opéra de Zurich. 1 DVD TDK, 2001.

Bruno Bartoletti, Liliana Cavani / Leo Nucci, Sylvie Valayre, Roberto Iuliano, Enrico Iori. Chœurs et orchestre du Teatro Regio di Parma. 1 Blu-ray Art Haus Musik, 2006.

Teodor Currentzis, Dmitri Tcherniakov / Dimitris Tiliakos, Violeta Urmana, Ferruccio Furlanetto, Stefano Secco. Chœurs et orchestre de l’Opéra de Paris. 2 DVD Bel Air, 2009.
 
 

Antonio Pappano, Phyllida Lloyd / Simon Keenlyside, Liudmyla Monastyrska, Dimitri Pittas, Raymond Aceto. Chœurs et orchestre Royal Opera House. 1 Blu-ray Opus Arte, 2011.

Fabio Luisi, Adrian Noble / Željko Lučić, Anna Netrebko, René Pape, Joseph Calleja. 
Metropolitan Opera Orchestra and Chorus. 1 DVD DG, 2014.

Giampaolo Bisanti, Christof Loy / Ludovic Tézier Martina Serafin, Vitalij Kowaljow,  Saimir Pirgu. Chœurs et orchestre du Liceu de Barcelone. 1 Blu-ray, 2016.

James Conlon, Darko Tresnjak / Placido Domingo, Ekaterina Semenchuk, Ildebrando d’Arcangelo, Joshua Guerrero. Los Angeles Orchestra and Chorus. 1 DVD Sony, 2017.

Gabriele Ferro, Emma Dante / Roberto Frontali, Anna Pirozzi, Marko Mimica, Vicenzo Costanzo. Chœurs et orchestre du Teatro Massimo, Palerme. 1 DVD Naxos (2018)

Philippe Jordan, Krzysztof Warlikowski / Vladislav Sulimsky, Asmik Grigorian, Tareq Nazmi, Jonathan Tetelman. Wiener Philharmoniker, Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor. 1 DVD UNITEL, 2024

COMPTES RENDUS

    • Milan, décembre 1975
    • Parme, septembre 2020 (version française en concert)
    • Dijon, novembre 2021
    • Milan, décembre 2021
    • Nice, mai 2022
    • Marseille, octobre 2022
    • Salzbourg, août 2023
    • Parme, octobre 2024 (version française)
    • Salzbourg, août 202
    • Maggio Musicale Fiorentino, octobre 2025
    • Turin, mars 2026
  •  

 

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Stéphane Lelièvre

Stéphane Lelièvre est maître de conférences en littérature comparée, responsable de l’équipe « Littérature et Musique » du Centre de Recherche en Littérature Comparée de la Faculté des Lettres de Sorbonne-Université. Il a publié plusieurs ouvrages et articles dans des revues comparatistes ou musicologiques et collabore fréquemment avec divers opéras pour la rédaction de programmes de salle (Opéra national de Paris, Opéra-Comique, Opéra national du Rhin,...) Il est co-fondateur et rédacteur en chef de Première Loge.

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