Floria Tosca : Eleonora Buratto
Mario Cavaradossi : Jonathan Tetelman
Il Barone Scarpia : Ludovic Tézier
Cesare Angelotti : Giorgi Manoshvili
Il Sagrestano : Davide Giangregorio
Spoletta : Matteo Macchioni
Sciarrone : Nicolò Ceriani
Un carceriere : Costantino Finucci
Un pastore : Alice Fiorilli
Orchestra, Coro e Voci Bianche dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia di Roma, dir. Daniel Harding
Tosca
Melodramma en trois actes de Giacomo Puccini, livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, d’après Victorien Sardou, créé au Teatro Costanzi de Rome le 14 janvier 1900.
2 CD Deutsche Grammophon, 2025. Enregistrés en octobre 2024 à l’Auditorium Parco della Musica de Rome. Notice de présentation en anglais et en allemand. Durée totale : 115:09
Eleonora Buratto se saisit entièrement de Tosca et l’inscrit durablement à son répertoire
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Les enregistrements d’opéras en intégrale de studio, on le sait, ne sont plus légion, à l’exception du répertoire baroque (voyez à ce sujet l’édito Première Loge de septembre 2022). Saluons donc la publication de cette nouvelle Tosca qui inaugure la collaboration du chef britannique Daniel Harding avec l’Accademia di Santa Cecilia de Rome, quelque peu dans le sillage des glorieux témoignages discographiques laissés par son prédécesseur, Antonio Pappano, à la tête de l’institution pendant une vingtaine d’années. Choix courageux de la part du maestro dont le titre puccinien ne faisait guère partie de son répertoire jusqu’à l’exception des trois concerts d’octobre 2024, programmés dans le cadre du centenaire puccinien, ayant servi de base à ce repiquage. Signe que, s’il a été appelé afin d’insuffler un nouvel esprit dans la programmation de la maison, il sait aussi se plier à la tradition musicale du pays qui l’accueille. Et il le fait avec grande classe. Relevons la netteté des vents et des cordes dès les premières notes de l’ouvrage, puis le mariage de ces mêmes cordes et des cuivres, accompagnant à la fois la mort de Scarpia et la fuite de Tosca, et ce travail tout en dentelle qu’accomplissent encore les vents tant dans le prélude à l’acte III que dans l’introduction du dernier air de Cavaradossi. Un orchestre de l’Accademia di Santa Cecilia qui, à l’Auditorium Parco della Musica, était aussi à ses débuts dans l’exécution de l’œuvre sur le vif, malgré plusieurs enregistrements dans les années 1950-1960, désormais bien lointains.
Presque en prise de rôle elle aussi – avant les trois concerts romains, elle n’avait abordé le personnage que pour une seule série de représentations à Munich, en mai-juin 2024 ; elle l’a repris l’été dernier à Torre del Lago –, Eleonora Buratto se saisit entièrement de Tosca, apparemment bien décidée à l’inscrire durablement à son répertoire. Lumineuse dès son entrée dans la Basilique Sant’Andrea della Valle, elle donne vie sans réserve aucune à son héroïne, notamment par la maîtrise d’un phrasé d’exception, au service de son obsédante jalousie. Sans rechercher d’effet facile, sa prière de l’acte II est alors abordée piano, de manière très intimiste. Bouleversante dans les derniers accents de l’attente de la (fausse) exécution de son amant (largo con gravità), la cantatrice italienne façonne son angoisse grâce au parlando, atteignant une dimension déchirante devant la mort (agitato).
Elle retrouve en Ludovic Tézier son Scarpia de Munich à qui elle oppose d’emblée une Floria très atteinte sur le plan psychique, se réfugiant cependant dans l’éclat de son indignation. Au cours de leur affrontement de l’acte II, elle se distingue par l’éloquence de son accablement, s’efforçant de contrecarrer la menace élégante de son tortionnaire. Que pourrions-nous ajouter de plus à ce que nous avons déjà écrit au sujet du Scarpia de cet immense interprète il y a quatre ans à l’Opéra national de Paris et plus récemment aux Arènes de Vérone ? Si ce n’est qu’il est toujours si impressionnant dès son apparition, lorsqu’il exerce une pression psychologique écrasante sur le sacristain, s’insinuant astucieusement dans le mental de sa prochaine proie, aussi enjôleur qu’abject dans le Te Deum. Véritable dominant, il donne corps à une soif de conquête qui assume toute son ampleur dans l’introduction de l’acte II, puis dans le refus de pactiser avec sa victime (andante appassionato). Il était donc impératif que l’on puisse disposer d’un témoignage de cette incarnation incontournable, ce qui fait de cette livraison un atout majeur.
Bien qu’il incarne Mario depuis quelques années déjà, on est amené à se demander si cet enregistrement n’arrive pas un peu trop tôt dans la carrière de Jonathan Tetelman. S’il était plutôt convainquant dans les deux extraits de Tosca inclus dans son hommage au compositeur de 2023 (The Great Puccini), nous avons maintenant l’impression que le ténor américain a du mal à s’investir complètement dans un personnage qui reste toujours en suspens. L’air de l’acte I sonne à la fois appliqué et brouillon, tandis que, malgré la beauté du timbre et un grand lyrisme, celui de l’acte III (andante lento appassionato molto), très saccadé, n’exprime nullement les regrets d’un mourant. Poétique dans sa déclaration d’amour du premier duo avec sa bien-aimée (andante sostenuto), il manque quelque peu d’éclat dans son cri de victoire (allegro concitato) – auquel fait écho le cri tranchant de désespoir de sa partenaire –, avant de se contraindre dans les couleurs volontairement éteintes de sa résignation face à une issue à laquelle il ne semble pas croire véritablement (andante sostenuto).
Angelotti de bonne école, Giorgi Manoshvili mène la file des comprimari, tous méritants, du sacristain de tradition de Davide Giangregorio, quelque peu appuyé dans la caricature, au Spoletta de Matteo Macchioni et au Sciarrone du Nicolò Ceriani, du berger d’Alice Fiorilli au gardien de prison de Costantino Finucci. Pluridimensionnel, le chœur d’enfants de l’Académie se singularise par ses teintes enjouées, de même que le chœur à proprement parler atteint au grandiose dans le crescendo du finale I.
Un dernier mot concernant la pochette. Il est vrai que le Mausolée d’Hadrien est l’un des monuments les plus célèbres de la Ville éternelle, presque aussi populaire que le Colisée, son aîné de quelques décennies. Maintes fois utilisée, sa perspective au-delà du Tibre accroche sûrement l’œil du mélomane. Cependant, dans Tosca, ce n’est que l’épilogue qui se joue en son sein. Dès lors, pourquoi ne pas renouveler l’iconographie de l’œuvre, en ayant recours à l’un des autres lieux historiques qui y sont évoqués : une vue du Palais Farnèse ou un fragment des fresques des frères Carrache, voire un aperçu de la Basilique Sant’Andrea della Valle auraient été tout aussi instructifs pour l’acheteur…