En attendant la première nouvelle production de la saison (Salomé, à partir du 12 octobre), l’Opéra de Paris effectue sa rentrée avec trois reprises : Tosca dirigée par le nouveau directeur musical Gustavo Dudamel – et qui a vu triompher Saioa Hernández –, La Flûte enchantée vue par Robert Carsen, et dans quelques jours I Capuleti e i Montecchi, toujours dans une mise en scène de Carsen.
La Flûte enchantée compte au nombre des belles réussites de Carsen. Le metteur en scène canadien évite soigneusement de faire de l’œuvre le conte pour enfants qu’au demeurant elle n’est pas, mais choisit également de la priver de sa signification maçonnique (le décor ne comporte aucun des symboles francs-maçons si souvent sollicités par les metteurs en scène). L’esprit de l’œuvre est cependant respecté, dans la mesure où le couple Tamino /Pamina vit bien une forme d’initiation (il s’agit pour les personnages d’une prise de conscience de leur condition de mortels et d’une acceptation progressive de la mort) ; et surtout visuellement, le spectacle, après huit ans de bons et loyaux services et déjà 66 représentations, reste toujours aussi séduisant, avec qui plus est pour cette reprise une direction d’acteurs particulièrement efficace, les chanteurs se révélant tous être d’habiles comédiens aussi bien dans le jeu scénique que dans la déclamation – le texte allemand n’ayant pas fait l’objet des habituelles coupes claires qu’on lui fait subir…
À la tête d’un orchestre et d’un chœur en bonne forme, Antonello Manacorda – qui fait ses débuts à l’Opéra de Paris – convainc par une direction vive, dépourvue de temps morts, trouvant le juste (et difficile) équilibre entre légèreté et gravité. Tout au plus déplore-t-on ici ou là (le trio des dames, le « Könnte jeder brave Mann » de Pamina et Papageno) quelques menus décalages avec le plateau, qui seront sans doute corrigés lors des représentations ultérieures.
La distribution présente une belle homogénéité. Dès ses premières interventions, le Tamino de Mauro Peter crée la surprise : le timbre est chaud, velouté, ancré dans le grave mais sans aucune lourdeur, et le chanteur colore sa ligne de chant de fort belles nuances. Pour que notre bonheur soit complet, il faudrait que le timbre reste aussi dense sur toute la tessiture, mais il a une fâcheuse tendance à s’amenuir quelque peu dans le registre aigu, la projection vocale se faisant alors plus fragile. Un petit défaut sans doute corrigeable… Sa Pamina est une Pretty Yende fort convaincante, au timbre plus corsé que celui des sopranos habituellement distribués dans le rôle, mais capable de beaux allégements (« Tamino mein ! ») et délivrant un « Ach, ich fühl’s » empreint d’émotion. La Reine de la Nuit de Caroline Wettergreen nous a laissé absolument perplexe : la chanteuse est à peine audible dans son premier air, avec une puissance vocale qui pourrait tout juste être celle d’une Barberine, un soutien vocal fragile, des vocalises approximatives… Est-ce bien là la Reine de la Nuit qui s’est produite à la Staatsoper de Vienne, à la Staatsoper unter den Linden de Berlin, à Covent Garden ? Mais lorsqu’elle revient au second acte, la voix, curieusement, emplit tout le vaisseau de Bastille et les vocalises, il est vrai plus faciles que celles de « O zittre nicht », sont cette fois-ci bien en place… La chanteuse était-elle souffrante au début du spectacle ? Ou en proie au stress ?…
Nous avions beaucoup aimé l’Almaviva d’Huw Montague Rendall dans Les Noces de Figaro montées à Nancy en janvier 2020. Son Papageno confirme notre excellente impression d’alors. Beauté du timbre, maîtrise technique, aisance scénique : le baryton britannique est de toute évidence promis à un bel avenir, et nombreuses sont les portes des grandes salles qui lui sont déjà ouvertes ! Nous le retrouverons avec plaisir en Mercutio dans le Roméo et Juliette que proposera l’Opéra de Paris en juin prochain. Après plus de trente ans d’une glorieuse carrière, René Pape reste un Sarastro noble et digne, aux graves assurés et à la ligne de chant toujours malléable – en dépit d’un souffle qui se fait parfois un peu court et le pousse à presser légèrement le tempo de « O Isis und Osiris ».
De l’équipe de seconds rôles très solides, signalons l’excellence des trois Dames (Margarita Polonskaya, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Katharina Magiera) comme celle des trois garçons (solistes de la Maîtrise des Hauts-de-Seine). Après sa belle Suzanne des Petites Noces de Figaro montées au TCE en février 2020, c’est un plaisir de retrouver Tamara Bounazou sur la scène de l’Opéra de Paris dans le rôle de Papagena, dont elle propose une interprétation pleine d’espièglerie et de fraîcheur ! Et les belles interventions de Tobias Westman et Niall Anderson (premier et second prêtres, premier et second hommes d’armes) font honneur à l’Académie de l’Opéra de Paris.
Une reprise de très bonne tenue. Le public, en tout cas, est à la fête !
Tamino : Mauro Peter
Papageno : Huw Montague Rendall
Sarastro : René Pape
Monostatos : Michael Colvin
Der Sprecher : Martin Gantner
Erster Priester : Niall Anderson
Zweitter Priester : Tobias Westman
Drei Knaben : solistes de la Maîtrise des Hauts-de-Seine
Pamina : Pretty Yende
Königin der Nacht : Caroline Wettergreen
Erste Dame : Margarita Polonskaya
Zweite Dame : Marie-Andrée Bouchard-Lesieur
Dritte Dame : Katharina Magiera
Papagena : Tamara Bounazou
Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris, dir. Antonello Manacorda
Mise en scène : Robert Carsen
Décors : Michael Levine
Costumes : Petra Reinhardt
Die Zauberflöte
Singspiel en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart, livret d’Emanuel Schikaneder, créé à Vienne en 1791.
Opéra de Paris Bastille, représentation du samedi 17 septembre 2022.