Une ode au chant français : Pene Pati éblouit dans un Bizet restitué dans son éclat originel
Le Festival d’Aix-en-Provence commémorait cette année le 150ᵉ anniversaire de la mort de Georges Bizet en accueillant pour la première fois dans son répertoire Les Pêcheurs de perles. Une entrée tardive pour cet opéra que Bizet, admirateur de Gounod, fit entendre pour la première fois un soir de septembre 1863 au Théâtre Lyrique.
Avant que la musique ne s’élève, Marc Minkowski prend la parole. Le chef dédie cette soirée à deux figures récemment disparues : Pierre Audi, ancien directeur du Festival, et Béatrice Uria-Monzon, mezzo-soprano, mémorable Carmen et « ardente défenseuse du chant et du répertoire français ». Le ton est donné : cette soirée sera avant tout un hommage au chant français.
Un Bizet aux lignes parfaites, restitué dans son éclat premier
Si l’argument des Pêcheurs reste conventionnel, Bizet y déploie ce qui fait sa grandeur : l’élégance des lignes mélodiques. Arabesque fleurie dans « Comme autrefois », nuée transparente dans « Je crois entendre encore », arcs tendus du duo « Oui, c’est elle, c’est la déesse »… La mélodie toujours maîtresse et dont l’orientalisme reste une pureté imaginaire, sublime la voix autant que la voix magnifie la mélodie !
C’est précisément cet éclat français que Marc Minkowski et Les Musiciens du Louvre s’attachent à ressusciter. À la tête de son orchestre qu’il connaît intimement, le chef propose une lecture musicologiquement informée : tempi vifs contrastant avec de larges ralentissements pour souligner les moments clés, presque aucune coupure, et un travail minutieux sur les sonorités marines et nocturnes (« flots furieux », « mer immobile et claire » que la harpe fait miroiter).
Le son est définitivement dans l’esthétique française, équilibré, jamais épais, avec des cordes élégantes et des vents délicatement mis en valeur. Minkowski retrouve ainsi le pur style français de l’époque, redonnant à l’œuvre sa fraîcheur originelle. Les évocations de l’orient sont esquissées sobrement et laissent place à l’imaginaire du public, ce qui relève du véritable luxe sans mise en scène.
Le Chœur de l’Opéra Grand Avignon assume avec énergie son rôle central, véritable personnage collectif de l’opéra. Mis à l’épreuve par les tempi vifs imposés par Marc Minkowski, il accuse quelques décalages dans « Sur la grève en feu », mais retrouve vite sa cohésion. La diction soignée et les nuances délicates dans les passages plus recueillis témoignent d’un travail rigoureux. Le maestro Minkowski, conscient de cet investissement, ira d’ailleurs les saluer personnellement à l’issue de la représentation.
Pene Pati, joyau d’un plateau vocal d’exception
Le Nadir de Pene Pati restera l’événement de cette soirée. Solaire, tendre, sensuel, le ténor samoan triomphe dans ce rôle qu’il aborde pour la première fois. Tout, chez Pene Pati, semble couler de source en cette soirée : une musicalité naturelle, lumineuse, jamais forcée !
Son « Je crois entendre encore », bijou ciselé comme une perle rare, provoque un tonnerre d’applaudissements prolongés. Introduit par un cor anglais et des violoncelles en sourdine, Pene Pati laisse couler une voix solaire et caressante, capable de piani d’une délicatesse infinie et d’aigus flamboyants. La longueur de souffle est assurée, le phrasé d’un raffinement extrême, et son sens de la mezza voce traduit l’érotisme contenu d’un jeune homme troublé par l’amour naissant.
Le ténor devient ici l’ambassadeur idéal du chant français : articulation parfaite, ligne élégante, technique souveraine qui lui permet toutes les nuances. Le public, conquis, ne voulait plus le laisser quitter la scène.
Pour sa prise de rôle, Elsa Benoit fait valoir un goût très sûr pour l’ornementation et une agilité héritée de sa familiarité avec le répertoire baroque. Un peu réservée dans la première partie, elle se libère progressivement, jusqu’à offrir, dans « Me voilà seule dans la nuit », un chant d’une intensité et d’une sensualité croissantes. On est finalement plus convaincu par la femme amoureuse, prête à succomber à Nadir, que par la prêtresse chaste censée résister à ses élans. Vocalement, elle brille par la souplesse de ses vocalises, la chaleur du timbre et un sens dramatique accru à mesure que l’action progresse. Cette première incursion dans le répertoire français augure sans nul doute de futures collaborations fructueuses à Aix.
Florian Sempey, habitué du rôle qu’il reprend dix ans après son enregistrement lillois, impose un Zurga à la fois fougueux et profondément humain. Sa voix puissante et nuancée lui permet d’exprimer tout à la fois la loyauté à son ami et à sa communauté, sa jalousie destructrice (« cette aveugle rage ») et un repentir émouvant dans l’acte final. Le duo « Au fond du temple saint », magnifiquement conduit, retrouve des passages souvent coupés après la création, notamment l’évocation de « l’amitié sainte », restituée ici dans toute sa noblesse et sa ferveur. Florian Sempey y déploie un sens du legato et de la ligne en parfaite osmose avec celui de Pene Pati.
Enfin, Edwin Crossley-Mercer campe un Nourabad solide et autoritaire, doté d’une diction travaillée et d’un timbre sombre qui contraste idéalement avec la lumière des voix principales. Sa présence vocale affirme l’aspect rituel et solennel du personnage.
En restituant Les Pêcheurs de perles dans son esthétique originelle, Marc Minkowski signe un vibrant hommage à Bizet et au répertoire français. Comme l’affirme Michel Lehmann, « Bizet ne compose pas la musique de Ceylan […], il s’exprime en musicien français » : cette citation résume l’esprit de la soirée.
Avec des instruments d’époque, une direction d’une rigueur exemplaire et un plateau vocal dominé par le Nadir incandescent de Pene Pati, le Grand Théâtre de Provence a offert une soirée extrêmement convaincante !
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Retrouvez Pene Pati en interview ici !
Leïla : Elsa Benoit
Nadir : Pene Pati
Zurga : Florian Sempey
Nourabad : Edwin Crossley-Mercer
Les Musiciens du Louvre, dir. Marc Minkowski
Chœur de l’Opéra Grand Avignon, dir. Alan Woodbridge
Les Pêcheurs de perles (version de concert)
Opéra en trois actes de Georges Bizet, livret d’Eugène Cormon et Michel Carré, créé le 30 septembre 1863 au Théâtre-Lyrique de Paris.
Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, concert du samedi 19 juillet 2025