À l’Opéra Berlioz, l’incandescence straussienne des Quatre dernier Lieder brille avec la soprano Iwona Sobotka, remplaçant au pied levé Elza von den Heever, souffrante. Ces lieder précèdent la 5e Symphonie de Chostakovitch, furieusement interprétée par l’Orchestre national de Montpellier, sous la direction du chef Roderick Cox.
Grâce au courage du soprano Iwona Sobotka, remplaçant son homologue souffrante (Elza van den Heever, la Salome de l’Opéra Bastille), le concert montpelliérain a heureusement pu se dérouler en maintenant son programme. Arrivée pour la générale avec orchestre, l’artiste polonaise a assuré le cycle straussien des Vier letze Lieder op. 150 avec musicalité, intelligence et expressivité, quand l’orchestre demeurait sage par manque de modelé … et par prudence. L’expérience de la scène internationale de la soliste, de Poznan à Chicago, des rôles mozartiens jusqu’à Lulu de Berg, sans omettre son expérience du cycle straussien avec l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg (2020), ont triomphé de ces conditions. Aussi, l’ovation à la chanteuse a-t-elle récompensé non seulement son courage, mais aussi la fluidité des vocalises aiguës dans Frühling (Printemps), l’onctuosité du timbre, à l’égal du cor solo dans September, avant l’étirement des nuances vers la morbidezza dans Im Abendrot (Au couchant). Si ce dernier Lied aborde intimement l’interrogation Ist dies etwa der Tod ? (serait-ce donc la mort ?), cette ultime confession du poète von Eichendorff (et de Richard Strauss, en 1946) émeut tout auditeur auditrice.
La gravité de cette première partie de concert s’instaurait dès la pièce Epitaph for a Man Who Dreamed (1980) de l’américain Adolphus Hailstork, en hommage à la digne action décisive de Martin Luther King, assassiné en 1968. Depuis les profondeurs des cordes graves, le tombeau se dressait sobrement, monumental dans son auréole cuivrée.
En seconde partie, l’Orchestre national de Montpellier Occitanie a rompu les amarres pour donner vie à la Symphonie n° 5 op. 47 de Dimitri Chostakovitch, sous la direction incisive de Roderick Cox (lauréat du prix Georg Solti, 2018), à présent très engagé. Percevoir à quel point le compositeur russe est un génial symphoniste à Leningrad, en 1937 (un an après l’opéra Lady Macbeth de Mtsensk) est peu dire, tant les quatre mouvements sont sidérants de modernité. La puissante architecture sur l’ostinato implacable du Moderato n’éclipse pas les sarcasmes de l’Allegretto dansant. Et les soli chambristes d’un Largo angoissant en diable (excellents bois et harpe solistes de la phalange montpelliéraine) ne préfigurent en rien l’orchestration furieuse du final. Celle-ci s’inspire probablement du visionnaire Pas d’acier de Sergueï Prokofiev, tout en l’outrepassant. Chez Chostakovitch, la saturation sonore et la scansion rythmique trépidante sont également censées exalter les consignes du régime soviétique qui soumettent alors le compositeur : il s’agit d’exalter le machinisme, la conquête martiale, etc. En 2022, si cette apologie peut effrayer au vu de l’actualité tragique, sa vitalité surpasse néanmoins l’interprétation du totalitarisme russe. Elle déclenche également l’ovation du public au cœur de l’Opéra Berlioz.
Iwona Sobotka, soprano
Orchestre national de Montpellier Occitanie, dir. Roderick Cox
- Adolphus Hailstork, Epitaph for a Man Who Dreamed
- Richard Strauss, Quatre dernier Lieder op. 150
- Dimitri Chostakovitch, Symphonie n° 5 op. 47
Concert du vendredi 9 décembre 2022, Opéra Berlioz (Montpellier)