La Seine Musicale aime le Requiem de Mozart et l’accueille fréquemment, de la vision onirique de Bartabas dirigée par Marc Minkowski à celle, chorégraphiée sur la partition inachevée, de Laurence Equilbey. Ce dimanche, c’est le chef tchèque Vaclav Luks qui était l’officiant inspiré. En France, on le sait depuis une vingtaine d’années, son Collegium 1704 est un ensemble baroque qui compte en Europe. Il va d’ailleurs fêter l’an prochain ses trente-cinq années d’existence. Avec un engagement de tous les instants et une attention à chaque départ, chaque inflexion, Vaclav Luks a électrisé les deux œuvres au programme.
Son idée de faire débuter le concert par le Miserere en ut mineur de Zelenka fait mouche. Composé en 1738, dans le bouillonnement musical de la ville de Dresde, ce Miserere étonne par son écriture. La tension extrême qui habite le début de la partition est d’une force dramatique d’une rare modernité, menée avec une urgence dont le chef ne se départira pas durant toute la soirée. Il y a de la violence dans cet appel désespéré, avec ces cordes graves jouant col legno et ce chœur investi, attentif aux mots qu’il projette avec une force impressionnante. Cela fait des années que Vaclav Luks creuse les œuvres de Zelenka, compositeur avec lequel il a de multiples affinités – cela s’entend dans ses fugues brillantes menées avec fougue, comme dans le tendre Gloria chanté subtilement par le joli timbre d’une soprano soliste sortie du chœur. Les deux hautboïstes et le bassoniste ajoutaient au plaisir musical. Puis ce fut le temps pour l’orchestre de s’accorder – ce qui était nécessaire – et pour quelques autres instruments de le rejoindre, à l’étonnement de nombreux spectateurs qui s’interrogeaient sur ces étranges clarinettes recourbées, ces deux clarinettes de basset que Mozart réclame pour son Requiem.
Bénéficiant d’un orchestre excellent (mention spéciale pour les cuivres, les vents, les cordes graves, le timbalier) et d’un chœur où l’on souhaiterait un peu plus de puissance chez les différents pupitres, Vaclav Luks dirigeait un quatuor de solistes inégal. Le ténor Krystian Adam s’imposait avec vaillance et nuances. La basse Krešimir Stražanac nuançait aussi beaucoup avec une parfaite articulation du texte, cachant ainsi un certain manque d’ampleur dans la voix. Musical, le beau timbre d’alto de Margherita Sala, manquait toutefois de profondeur. Enfin la voix blanche de la soprano Veronika Rovná s’accordait peu avec les trois autres solistes. Mais la direction du chef inspirait à tous les musiciens une écoute mutuelle entre chacun des pupitres.
D’emblée, un climat s’installe, fait de recueillement et de plénitude. Le chef empoigne la partition, enflamme le Dies Irae, exalte la violence du Rex tremendae. Le Recordare est pris dans un tempo rapide, le Confutatis, voyant se succéder les limites de la brutalité et la recherche du diaphane, de l’aérien, malgré un certain manque de mystère. Mais le Lacrymosa fut de toute beauté, au son des clarinettes idoines, avant un Libera me où la mise en valeur des contrebasses donnait un relief saisissant. Un Hostias en demi-teinte, un Agnus dei à la tension palpable et ces derniers mots, admirablement fugués, du Cum sanctis tuis… C’est un vrai souffle qui portait cette interprétation de haut vol, creusant tous les aspects de ce fascinant Requiem.
Photo Marc Dumont
Veronika Rovná, soprano
Margherita Sala, alto
Krystian Adam, ténor
Krešimir Stražanac, basse
Collegium 1704, dir. Vaclav Luks
Zelenka, Miserere en ut mineur
Mozart, Requiem
Seine Musicale (Paris) concert du 17 novembre 2024.