Bien sûr, Gustav Mahler n’est pas mort dans les Dolomites à l’été 1910, et le roman qui vient de paraître aux éditions du Cherche-Midi précise bien qu’il est mort en mai 1911 à Vienne. Son auteur, Laurent Sagalovitsch montre néanmoins que tout s’est peut-être décidé neuf mois auparavant, le compositeur au cœur fragile ayant reçu au cours de son « dernier été » un choc qui contribua sans doute à affaiblir encore un peu plus sa santé.
En effet, comme le suggère d’emblée la couverture du livre, il y a dans ce récit trois personnages principaux : Mahler, évidemment, mais surtout aussi Alma, et un peu, inévitablement, Walter Gropius, alors encore jeune architecte. Mahler avait vingt ans de plus que son épouse, le couple avait été déchiré par la mort de leur fille aînée (« N’avait-il pas eu l’insolence quelques années auparavant de mettre en musique des textes tirés d’un recueil de poésie de Friedrich Rückert, les poèmes où ce dernier évoquait la mort de ses deux jeunes enfants victimes tout comme Putzi de la scarlatine ? Pourquoi avait-il voulu tenter le diable et se lancer dans la composition de ces lieder qui lui apparaissaient désormais comme autant de poignards plantés dans le cœur de sa propre fille, Alma lui en avait tellement voulu », p. 54). C’est pendant leur troisième été de villégiature à Toblach – aujourd’hui Dobbiaco en Italie, tout près de Cortina d’Ampezzo – qu’Alma, qui séjournait, elle, à Tobelbad pour prendre les eaux, rencontra Walter Gropius, qui avait son âge et auquel elle céda, puisqu’il lui manifestait tout l’intérêt et toute la passion physique que son mari ne lui offrait plus guère.
Le roman profite de divers retours en arrière pour évoquer la jeunesse de Gustav et d’Alma, originaires de milieux bien différents. Et si Alma se vit effectivement interdire de composer par celui qui devint son premier mari, elle n’a pas tout à fait le beau rôle pour autant. Elle est sans doute le personnage que la voix narrative accompagne de plus près (Mahler semble un peu moins présent, et Walter Gropius n’est ici qu’un fantoche), mais on découvre une femme calculatrice et profondément antisémite. Malgré l’incident survenu à l’été 1910, le couple Mahler tiendra bon tant bien que mal, Alma ayant notamment suggéré à son mari de consulter le docteur Freud.
Le roman se termine sur le décès du compositeur, ex-directeur de l’Opéra de Vienne, mais précisons qu’avant d’épouser Gropius en 1915, Alma fut d’abord la maîtresse du peintre Kokoschka, elle qui avait jadis eu une relation « privilégiée » avec Klimt. Laurent Sagalovitsch exprime à plusieurs reprises son admiration pour la musique de Mahler, qu’il montre dirigeant un orchestre ou composant cette dixième symphonie qu’il laissa inachevée (le roman est découpé en quatre parties qui reprennent celles de la sixième symphonie), mais on regrette l’expression « ce Lieder » (p. 227 et 228) qui fait un peu tache dans un ouvrage consacré à un compositeur auquel on doit plus d’un Lied inoubliable…
Laurent Sagalovitsch, Le Dernier Été de Gustav Mahler. Le Cherche-Midi, 240 pages, 21 euros. Paru le 28 mars 2024