Festival Verdi de Parme, La battaglia di Legnano, 4 octobre 2024

Le Festival Verdi de Parme redonne sa chance à La battaglia di Legnano, l’une des œuvres les moins souvent représentées du répertoire verdien, ici fort bien servie musicalement.
La battaglia di Legnano est sans doute l’un des opéras de jeunesse de Verdi les moins aimés et les moins souvent représentés – même au Festival Verdi de Parme, non avare de raretés. Les quelques tentatives pour redonner sa chance à cet opus verdien de 1849 (les représentations de Florence en 1959 avec Leyla Gencer ; celles de la Scala en 1961 avec Stella, Corelli, Bastianini ; la distribution prestigieuse – Carreras, Ricciarelli, Manuguerra – réunie par Philips pour l’enregistrement de 1977) sont à vrai dire restées lettre morte… La faute en incombe sans doute avant tout au livret, présentant des personnages auxquels il est bien difficile de s’attacher, empêtrés qu’ils sont dans des situations archétypales et rebattues (la femme injustement soupçonnée, l’amitié trahie,…) et mus par des ressorts qui ne parlent plus guère au public d’aujourd’hui. Si les déclarations d’amour enflammées envers Dieu et sa patrie, ou la volonté mainte fois proclamée de vouloir mourir pour sauver son pays trouvaient évidemment un écho puissant chez les Italiens de 1849, elles ont sans doute un retentissement bien moindre aujourd’hui, et leur récurrence extrême tout au long de l’opéra suscite assez vite une certaine lassitude. Quant à la musique, elle fait alterner certaines pages plutôt frustes avec d’autres plus recherchées qui, certes, intéressent dans leur recherche de nouvelles formules, mais sans vraiment toucher – ou rarement, dépourvues qu’elles sont du lyrisme sincère qui sera la patte de Verdi ne serait-ce que deux ans plus tard, avec Rigoletto.
Pour susciter de nouveau l’intérêt du public d’aujourd’hui, il faudrait un spectacle proposant des images entrant en résonance avec sa sensibilité et ses préoccupations actuelles, ou, peut-être, une direction d’acteurs qui soulignerait la violence des relations entre les personnages tout en essayant de leur conférer une certaine crédibilité… Valentina Carrasco n’y parvient pas totalement : la direction d’acteurs reste assez conventionnelle, et la tentative d’actualiser le propos et de lui donner une nouvelle force ne convainc pas vraiment. La lecture de Valentina Carrasco prend appui sur la représentation picturale d’une bataille (certains détails du tableau sont projetés à plusieurs reprises au cours du spectacle), dont la metteuse en scène retient avant tout l’élément équin, les nombreux chevaux présents sur scène symbolisant tantôt la bravoure, tantôt la majesté, tantôt la violence ou l’horreur de la guerre – notamment avec une carcasse de cheval décapité, abandonnée à l’avant-scène. Mais cette omniprésence des chevaux devient vite purement illustrative, et le mélanges d’habits médiévaux, du XIXe siècle ou plus contemporains, ou encore quelques beaux tableaux (l’apparition de Barbarossa) ne suffisent guère à soutenir l’intérêt…
Musicalement, la moisson est dans l’ensemble très satisfaisante. Le chef Diego Ceretta, à la tête d’un orchestre et de chœurs (ceux du Teatro di Bologna) fort consciencieux, parvient à donner une certaine unité à cette partition hybride, et en souligne les beautés éparses (les deux premiers airs du ténor et du baryton qui, curieusement, échappent au schéma attendu cavatine/cabalette ; la belle prière qui ouvre le dernier acte,…) en évitant de surexposer certaines facilités d’écriture. Quant à la distribution réunie par le Teatro Regio, elle est à la hauteur des exigences de la partition, avec des comprimari engagés (efficaces interventions d’Arlene Miatto Albeldas en Imelda et d’Alessio Verna en Marcovaldo). Riccardo Fassi est un Barbarossa de belle prestance vocale et scénique. Vladimir Stoyanov, familier du festival, campe un Rolando convaincant, plus peut-être dans les pages cantabile où la douceur de la voix et de la ligne vocale séduisent pleinement que dans les passages plus véhéments qui demandent ici ou là une plus grande arrogance dans l’accent. Le choix de Marina Rebeka pour interpréter Lida se révèle judicieux : entre une Leyla Gencer un peu surdimensionnée pour le rôle et une Katia Ricciarelli dont le chant suave peine à rendre compte des éclats vocaux exigés par le rôle, la soprano lettone offre un bon compromis, avec une technique aguerrie (la cabalette de l’acte I est bien maîtrisée, jusque dans ses variations), un beau panel de nuances et une puissance vocale suffisante pour les pages les plus véhémentes. Elle remporte un beau succès personnel. Mais la belle surprise de la soirée provient d’Antonio Poli dans le rôle long et exigeant d’Arrigo. Le timbre est beau, la technique sûre, l’émotion constante… Voilà un ténor dont la carrière mériterait vraiment de prendre son envol, et dont les qualités valent très largement celles de certains de ses confrères bien plus présents sur les scènes internationales. Laure Chauvris avait eu l’occasion de dire tout le bien qu’elle avait pensé de son Foresto (Attila) marseillais : espérons que la France aura vite l’occasion de réinviter ce très bel artiste.
À l’issue de cette représentation, notre impression sur La Battaglia di Legnano reste donc mitigée… Sachons gré cependant au Festival Verdi de nous avoir donné l’opportunité de la redécouvrir dans de bonnes conditions : de telles occasions sont on ne peut plus rares !
Federico Barbarossa : Riccardo Fassi
Lida : Marina Rebeka
Arrigo : Antonio Poli
Rolando : Vladimir Stoyanov
Marcovaldo : Alessio Verna
Il Podestà di Como / I Console di Milano : Emil Abdullaiev *
II Console : Bo Yang *
Imelda : Arlene Miatto Albeldas *
Uno Scudiero di Arrigo/ Un Araldo : Anzor Pilia *
*Allievi e già allievi dell’Accademia Verdiana
Orchestre et chœur du Teatro comunale di Bologna, dir. Diego Ceretta
Chef de chœur : Gea Garatti Ansini
Mise en scène : Valentina Carrasco
Décors : Margherita Palli
Costumes : Silvia Aymonino
Lumières : Marco Filibeck
La battaglia di legnano
Opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi, livret de Salvatore Cammarano, créé au Teatro Argentina de Rome le 27 janvier 1849.
Festival Verdi de Parme, représentation du vendredi 4 octobre 2024.