Jérémie Rhorer et Le Cercle de l’Harmonie ont gravi mardi dernier l’un des Everest de la musique sacrée : la Missa solemnis de Beethoven dont c’était, quasi jour pour jour, le bicentenaire de la création (la première audition de l’œuvre eut lieu le 18 avril 1824 à Saint-Pétersbourg). Jérémie Rhorer fait preuve, dans ses choix de répertoire, d’un éclectisme réjouissant (il y a quelques semaines, il remportait en tant que chef invité un magnifique succès au Teatro Real de Madrid dans le diptyque La Voix humaine/Erwartung, avec Ermomela Jaho et Malin Byström) ; mais on sait le chef et son orchestre particulièrement à leur aise dans les œuvres dont l’esthétique ressortit au postclassicisme ou au préromantisme. L’aisance dont ils ont fait preuve dans l’exécution de cette Missa solemnis, accueillie triomphalement par le public, vient le confirmer : les arêtes de l’architecture beethovénienne sont dessinées avec précision et clarté par le chef qui souligne également de façon particulièrement saisissante les nombreux contrastes qui émaillent la partition, sans jamais pour autant basculer dans un dramatisme hors propos ni retirer à l’œuvre son caractère sacré : aux dernières mesures du « Kyrie », empreintes de recueillement, s’oppose ainsi la flamboyance du « Gloria » dont les lignes ascendantes fusent et emplissent avec majesté la vaste salle de la Philharmonie. La fugue du « In gloria Dei Patris », prise à un tempo étourdissant, impressionnante de précision ; les arêtes franches et saillantes du « Credo » ; les traits durs et âpres du « Crucifixus » contrastent ainsi superbement avec la douce solennité du « Sanctus », le recueillement douloureux de « Et sepultus est » ou de l’ « Agnus Dei ».
Pour obtenir ces effets on ne peut plus prenants, le chef peut compter sur un orchestre dont les qualités ne sont plus à démontrer (extrême musicalité des cordes, douceur des bois, précision des cuivres) et un chœur (l’Audi Jugendchorakademie) d’une implication et d’une précision sans faille.
Le quatuor vocal réuni pour l’occasion est lui aussi sans reproches. Placés derrière l’orchestre, juste devant l’Audi Jugendchorakademie, les chanteurs apparaissent non pas comme des solistes mais comme des instruments au service l’œuvre – et de la célébration de Dieu –, au même titre que les membres du chœur ou que les instruments de l’orchestre. Tareq Nazmi, dont la carrière semble prendre un bel essor, fait entendre un chant plein d’humanité et de gravité dans l’ « Agnus Dei ». La ligne de chant de Daniel Behle, suave et raffinée, est d’une élégance toute mozartienne. Varduhi Abrahamyan plie ses moyens importants et expressifs, habituellement plutôt mis au service de rôles dramatiques, au recueillement et à la dignité requis par l’œuvre ; Chen Reiss, que nous ne connaissions pas (et qui remplace Christiane Karg initialement prévue), est une jolie surprise : la voix semble dans un premier temps moins typiquement lyrique que celle d’autres titulaires de la partie soprano. Mais sa projection, très efficace, lui permet de surmonter sans problème la masse orchestrale et chorale, et le timbre possède par ailleurs des couleurs très joliment fruitées qui donnent envie de réentendre la chanteuse dans les rôles qu’elle défend habituellement (Adina, Gilda, Ännchen, Zdenka ou encore Sophie du Chevalier à la rose).
L’accueil du public, on l’a dit, a été des plus chaleureux pour l’ensemble des artistes : une grande et belle soirée beethovénienne !
Le Cercle de l’Harmonie, dir. Jérémie Rhorer
Audi Jugendchorakademie
Chen Reiss, soprano
Varduhi Abrahamyan, mezzo-soprano
Daniel Behle, ténor
Tareq Nazmi, basse
Ludwig van Beethoven
Missa solemnis
Philharmonie de Paris, concert du mardi 23 avril 2024.