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ProductionCompte rendu

Un Boris de larmes et de sang à l’Opéra Bastille

par Stéphane Lelièvre 9 juin 2018
par Stéphane Lelièvre 9 juin 2018
© Agathe Poupeney
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C’était une soirée de « premières » à l’Opéra Bastille : première de cette nouvelle production très attendue, qui est la première mise en scène d’Ivo van Hove à l’Opéra de Paris, première en ces lieux de la version originale de 1869, premier Boris d’Ildar Abdrazakov. Et au final, une soirée d’exception.

Excellente idée que d’avoir choisi la version originale de Boris Godounov, jamais entendue à l’Opéra de Paris – et de fait rarement entendue tout court, tant les directeurs d’opéras ont pris l’habitude de programmer la version révisée de 1872, en un prologue et quatre actes. Bouleversant portrait psychologique bien plus que fresque historique, la version initiale de l’œuvre nous rend témoins de la lente déchéance du tsar. Enchaînés sans interruption comme ils l’ont été hier soir à la Bastille, les sept tableaux forment comme un étau se resserrant lentement et irréversiblement sur le tsar coupable, mais aussi un océan de douleur dans lequel Boris se débat en vain. Spectacle terrifiant auquel le public assiste, médusé, dans un silence quasi complet.

Ivo van Hove propose de l’œuvre une lecture saisissante. Dès les premières mesures apparaît en gros plan, sur le mur de fond de scène, le regard du tsar, infiniment triste et comme dévoré par la douleur et le regret. Une image dont le retour régulier rythme le spectacle, contribuant ainsi à faire de l’histoire de Boris une véritable tragédie du remords. Le plateau est divisé en deux parties : la partie supérieure est celle de la lumière (il s’agit d’un écran sur lequel seront projetés diverses images ou films au cours de la représentation) et la partie inférieure est celle du vide et de l’ombre : nul mur pour arrêter la vue, nulle couleur, nul éclat, même furtif, de lumière. 

Un escalier rouge relie ces deux espaces. Le rouge, la couleur de l’apparat (celle des tapis déployés sur les marches pendant le couronnement), deviendra de façon de plus en plus en plus nette au cours du spectacle celle du sang et de la culpabilité. Traditionnellement à l’Opéra, lorsqu’il y a un escalier, les têtes couronnées apparaissent à son sommet et, éventuellement, le descendent avec majesté. C’est ici très exactement l’inverse qui est montré : à maintes reprises, Boris semble tenter péniblement de s’extirper des profondeurs obscures (celles de son inconscient, ravagé par la culpabilité d’avoir assassiné le tsarévitch qui aurait dû régner à sa place) pour gagner la lumière en gravissant les marches qui se trouvent devant lui. En vain : la force du remords est telle que le tsar, nouveau Sisyphe, est perpétuellement renvoyé au monde des ténèbres, lequel semble avec le temps étendre de façon progressive et irréversible son emprise sur celui de la lumière. Jusqu’à la chute finale du tsar – au sens propre comme au sens figuré –, qui pour paraphraser Racine, rend enfin « au jour qu’il souillait toute sa clarté » et permet au monde de la lumière, jusque là cantonné dans des tons gris, jaunes, ocres, d’afficher un blanc aveuglant.

L’utilisation qu’Ivo van Hove fait de la vidéo est rarement illustrative, presque toujours dramatique. Qu’il s’agisse de renforcer le sentiment d’oppression éprouvé par le peuple (en filmant les figurants en plongée), de montrer l’hésitation de Boris à assumer le rôle de tsar (qu’il a pourtant souhaité) après le meurtre qu’il a commis (superbes images des pas à la fois hésitants et pesants du tsar montant lentement l’escalier – comme s’il montait à l’échafaud), ou de faire réapparaître le tsarévitch Dimitri assassiné, les projections accompagnent toujours la musique sans la contredire, et renforcent très efficacement le dramatisme des scènes. La mise en scène d’Ivo van Hove regorge d’idées pertinentes, dont la plus forte consiste précisément à rendre visible et présent le personnage du tsarévitch assassiné. Dès la première scène, le garçonnet apparaît, jouant au ballon, vêtu d’un sweat-shirt rouge. Au moment où il disparaît par un escalier s’enfonçant sous la scène, on comprend que son image ne cessera de hanter Boris. De fait, à la fin du cinquième tableau, en lieu et place des fameux automates sortant de l’horloge, c’est le fantôme du petit Dimitri qui apparaît, terrorisant le tsar et le forçant à reculer. Plus le souvenir du meurtre commis devient obsessionnel, plus l’image de Dimitri devient prégnante. Elle en vient même à se démultiplier, et ce sont des dizaines d’enfants vêtus de rouge qui, au tableau final, semblent poursuivre le tsar jusque dans sa mort. Dans tout autre contexte, les images finales de Boris plongeant son poignard dans le cœur de Dimitri puis essuyant son visage avec ses mains couvertes de sang paraîtraient excessives et de mauvais goût. Au terme de ce spectacle, elles sont l’insupportable mais inévitable acmé d’un cauchemar terrifiant. Lorsque Boris expire, une dernière image nous montre Grigori (le faux Dimitri) triomphant, venant de poignarder Fiodor, le fils de Boris : vision terriblement pessimiste de l’histoire qui semble appelée à répéter les mêmes forfaits, les mêmes injustices, sans aucune chance de progrès…

La mise en scène d’Ivo van Hove ne fait pas qu’aligner quelques procédés à la mode. Elle propose une lecture de l’œuvre, pensée, travaillée, cohérente, forte. En dépit de quelques huées quasi inévitables à l’Opéra les soirs de première, elle remporte plutôt l’adhésion des spectateurs qui ont à cœur de faire disparaître les sifflets sous les bravos !

Ivo van Hove a trouvé en Ildar Abdrazakov un interprète servant idéalement sa vision de l’œuvre. La basse russe manifeste une belle puissance et une vraie autorité lorsque nécessaire. La douceur de son timbre, sa technique raffinée (sans doute due à sa fréquentation assidue du répertoire italien, y compris du bel canto) lui autorisent un legato, des couleurs, des nuances constamment au service de l’émotion. Quelle douleur dans sa voix lorsqu’il s’exclame, au cinquième tableau : « Ô conscience implacable, comme tu me tourmentes ! » Quelle tendresse lorsqu’il console sa fille Xénia, quelle tristesse infinie dans ses adieux à Fiodor. L’acteur se montre investi et convaincant : les scènes où il écoute, hagard, tétanisé, les récits de Chouïsky ou de Pimène glacent le sang et bouleversent : bien qu’il s’agisse d’une prise de rôle, le chanteur semble déjà familier du personnage. 

Les autres interprètes font mieux que tenir leur rôle : d’un engagement total, ils contribuent pleinement à la réussite d’ensemble. Ont été particulièrement appréciés le Fiodor d’Evdokia Malevskaya (au timbre étonnamment juvénile), la Xénia de Ruzan Mantashyan, touchante lorsqu’elle pleure la mort de son fiancé, à la voix bien projetée – avec des aigus sûrs et fruités –, ou encore l’impressionnant Pimène d’Ain Anger (lui-même familier du rôle de Boris) voix d’airain aux graves profonds et bien assise, même si elle bouge parfois légèrement dans le registre aigu. L’Innocent de Vasily Efimov offre une étonnante alliance de force (la voix est bien plus incarnée que chez de nombreux autres titulaires du rôle) et de faiblesse, due à sa quasi nudité : on comprend que le tsar soit à ce point troublé par sa rencontre avec ce personnage qui, dans sa fragilité et sa pureté, ne peut que lui rappeler le tsarévitch tombé sous ses coups… A contrario, le Chouïsky de Maxim Paster possède une voix dont le tranchant et la relative acidité servent bien l’ambiguïté du personnage. Privé de l’acte polonais, Grigori a un rôle moins central que dans la version remaniée. Avec des accents rappelant parfois ceux de Gedda mais un timbre moins moelleux que celui du ténor suédois, avec également une vraie présence scénique, Maxim Paster s’acquitte fort bien de sa tâche en composant un moine défroqué arriviste, inquiétant, et pour finir… assassin.  Enfin, les rôles secondaires ont été distribués avec un soin tout particulier, de l’aubergiste idiomatique d’Elena Manistina à la belle Nourrice d’Alexandra Durseneva, au timbre chaud et velouté. Quant à Mikhail Timoshenko, il parvient, avec les quelques répliques confiées à Mitioukha, à esquisser un vrai personnage, grâce à son aisance scénique et sa voix franche, claire, sonore, lui permettant aisément de se distinguer des choristes et figurants qui l’entourent.

Grand succès pour les Chœurs, excellemment préparés et très impliqués (malgré un petit manque d’homogénéité chez les sopranos), pour l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, superbe, et pour Vladimir Jurowski, mettant au jour toute l’émotion que l’œuvre recèle, par des tempi judicieux, une science des contrastes et des couleurs, un sens du drame parfaitement adaptés à la lecture de l’œuvre proposée par Ivo van Hove.

Les artistes

Boris Godounov  Ildar Abdrazakov
Fiodor  Evdokia Malevskaya
Xenia  Ruzan Mantashyan
La nourrice  Alexandra Durseneva
Le prince Chouiski  Maxim Paster
Andrei Chtchelkalov  Boris Pinkhasovich
Pimène  Ain Anger
Grigori Otrepiev  Dmitry Golovnin
Varlaam  Evgeny Nikitin
Missaïl  Peter Bronder
L’aubergiste  Elena Manistina
L’innocent  Vasily Efimov
Mitioukha  Mikhail Timoshenko

Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, dir. Vladimir Jurowski

Mise en scène  Ivo van Hove

Le programme

Boris Godounov

Opéra en 7 scènes de Moussorgski, livret du compositeur (d’après Pouchkine), créé à Saint-Pétersbourg (Théâtre Mariinski) le 8 février 1874.

Représentation du 08 juin 2018

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MoussorgskiIldar AbdrazakovVladimir JurowskiIvo van Hove
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Stéphane Lelièvre

Stéphane Lelièvre est maître de conférences en littérature comparée, responsable de l’équipe « Littérature et Musique » du Centre de Recherche en Littérature Comparée de la Faculté des Lettres de Sorbonne-Université. Il a publié plusieurs ouvrages et articles dans des revues comparatistes ou musicologiques et collabore fréquemment avec divers opéras pour la rédaction de programmes de salle (Opéra national de Paris, Opéra-Comique, Opéra national du Rhin,...) Il est co-fondateur et rédacteur en chef de Première Loge.

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