Les Contes d’Hoffmann, Opéra de Lyon, mardi 16 décembre 2025
Après un Robinson Crusoé désopilant au Théâtre des Champs-Élysées, l’ultime opus d’Offenbach revient à l’opéra de Lyon, vingt ans après la mémorable production de Pelly et Minkowski (reprise en 2012). Venue de Sidney (2023) et co-produite par Londres et Venise (mais avec une distribution en grande partie renouvelée), la mise en scène de Damiano Michieletto exploite avec bonheur la carte du fantastique onirique, malgré un plateau inégal et une direction parfois poussive d’Emmanuel Villaume.
Tout en restant fidèle à l’esprit du texte (Hoffmann le fantastique était aussi compositeur), le metteur en scène italien, qui avait ébloui dans Il nome della rosa de Filidei à la Scala en avril et mai dernier, s’empare du livret de Jules Barbier pour y proposer une réflexion sur les trois âges de la vie du poète, interprétation que permet toute œuvre qui oscille entre rêve et cauchemar, entre réalité et fantaisie. Ainsi, tour à tour écolier, adulte et vieillissant, le poète allemand interroge ses fantômes du passé, inspirant à Michieletto un spectacle visuellement splendide, impressionnant même, secondé par les décors bariolés de Paolo Fantin et les lumières changeantes et très efficaces de Alessandro Carletti, jouant, par exemple, sur les effets de miroir et de trompe-l’œil. On se délecte à la vue des chiffres qui tombent des cintres pendant la chanson d’Olympia après une séance de cours de mathématiques, ou la chorégraphie des violoncelles, clin d’œil à l’instrument fétiche du compositeur. Tandis que la dimension cabaret est assurée par une cohorte de danseurs, de diablotins travestis, de danseuses en tutu, cornaqués par un géant sur échasses, les effets tonitruants et survitaminés contrastent avec la relative sobriété des premier et dernier acte faisant office de prologue et d’épilogue, même si elle donne le ton avec une Muse toute de vert vêtu, munie de son cabas vert pailleté.
Côté distribution, on peut regretter qu’un tel chef-d’œuvre ne soit pas confié à une majorité de francophones. Si dans le rôle-titre le péruvien Iván Ayón Rivas possède toutes les qualités requises, un ambitus d’une aisance époustouflante, sa diction moult fois laisse à désirer (« Tes yeux me brîlent » ; « je sourais », etc.), et sa présence solaire, voire pétaradante, peut surprendre pour camper un poète plutôt mélancolique. On regrette également que les trois femmes d’Hoffmann, pensées pour une seule et même interprète, ne soient pas incarnées par la même chanteuse, comme le rappelle Nicklausse dans le dernier acte (« Trois drames dans un drame / Olympia, Antonia, Giulietta, ne sont qu’une même femme ») et comme ce fut le cas – merveilleuse Mireille Delunsch – dans la production de Pelly. Si l’on perd en cohérence dramatique, on perd aussi en unité vocale tant les disparités sont criantes. L’Olympia d’Eva Langeland Gjerde (vue in loco dans Boris), membre du Lyon Opéra Studio, est techniquement sans faille, mais le timbre quelque peu acide manque de charisme et bouscule son élocution. Clémentine Margaine, bien que mezzo, convainc pleinement en Giulietta grimée en Marylin, et si Amina Edris avait incarné les trois rôles à l’opéra-comique en septembre dernier, ses aigus forcés feraient presque oublier sa belle diction dans le registre medium et le fait qu’Antonia, ici dans le rôle de danseuse, est en réalité une chanteuse dans le livret. On se consolera en revanche du choix de la version longue des interventions du docteur Miracle. Côté francophone, on louera la haute tenue et l’élégance de François Piolino, inénarrable Spalanzani, Vincent Ordonneau, dans le triple rôle de Andrès, Cochenille et Frantz (Pitichinaccio étant passé à la trappe), et surtout Vincent Le Texier, touchant Crespel, même quand sa voix, toujours noble, chevrotte un peu dans les aigus. L’ami d’Hoffmann, Nicklausse, n’est pas gâté par une Victoria Karkacheva transparente, sans réelle consistance. Si le baryton croate Marko Mimica a une prononciation irréprochable, on eût attendu plus de hargne et de conviction pour mettre ses moyens vocaux indéniables au service de la dimension diabolique de ses personnages. La soprano américaine Jenny Anne Flory convainc davantage que lors de sa prestation de la récente production de Boris, dans le double rôle de la Muse et de la Mère (cette dernière dans la coulisse). Le reste de la distribution est également issu du riche vivier du Lyon Opéra Studio. On relèvera le timbre lumineux et la belle présence du ténor estonien Filipp Varik dans le petit rôle de Nathanaël (déjà présent à Lyon dans Wozzeck, Peter Grimes et Boris), le baryton Alexander de Jong dans le double rôle de Hermann et Schlemil et enfin Hugo Santos, en meilleure forme que dans Boris, qui campe un Luther haut en couleur.
Les chœurs, toujours excellement dirigés par Benedict Kearns, ont su tirer profit de la brillante direction d’acteurs (et s’imposent notamment avec force dans l’acte vénitien).
À la tête des forces de l’Orchestre de l’opéra de Lyon, Emmanuel Villaume escamote le raffinement de la partition et y substitue une battue plus que poussive, instillant un autre regret : la direction tout aussi énergique mais plus équilibrée d’un Daniele Rustioni. Au final, une production mémorable gâtée par une pluie de bémols.
Hoffmann : Iván Ayón Rivas
Olympia : Eva Langeland Gjerde
Antonia : Amina Edris
Giulietta : Clémentine Margaine
Lindorf / Coppelius / Le docteur Miracle / Dapertutto : Marko Mimica
Nicklausse : Victoria Karkacheva
La Muse / La voix de la mère : Jenny Anne Flory
Andrès / Cochenille / Frantz / Pitichinaccio : Vincent Ordonneau
Crespel : Vincent Le Texier
Nathanaël : Filipp Varik
Spalanzani : François Piolino
Hermann / Schlemil : Alexander de Jong
Luther : Hugo Santos
La Harpe : Paul-Henry Vila
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Lyon, dir. Emmanuel Villaume
Chef des chœurs : Benedict Kearns
Chorégraphie : Chiara Vecchi
Mise en scène : Damiano Michieletto
Scénographie : Paolo Fantin
Costumes : Carla Teti
Lumières : Alessandro Carletti
Les contes d’Hoffmann
Opéra fantastique en cinq actes de Jacques Offenbach, livret de Jules Barbier, créé au théâtre de l’Opéra-Comique le 10 février 1881.
Opéra de Lyon, représentation du mardi 16 décembre 2025.

