Anne-Lise Polchlopek, mezzo-soprano
Pierre Laniau, guitare
Federico Tibone, piano
Gracias a la vida
Airs, mélodies, lieder et chansons de Leonard Bernstein, Richard Strauss, Eduard Toldrà, Cécile Chaminade, Noël Roux, Hubert Giraud, Manuel de Falla, Gabriel Fauré, Olivier Messiaen, Pauline Viardot, Gerónimo Giménez, Wolfgang Amadeus Mozart, Michel Polnareff, Jacques Brel, Gerard Jouannest, Maurice Ravel, Tomás Méndez, Francis Poulenc, Georges Bizet, Érik Satie, Xavier Montsalvatge et Violeta Parra
1CD Outhere music, 2025
Autrefois, le chanteur à accent était un emploi dans l’univers du music-hall, et désignait en généralement un interprète « bien de chez nous » qui feignait de s’exprimer avec l’accent d’une nationalité étrangère. Pour son premier récital au disque, la mezzo-soprano Anne-Lise Polchlopek (qu’on a pu entendre notamment dans le cadre de l’académie Orsay-Royaumont ou encore en récital salle Cortot) se livre avec brio à un exercice prouvant qu’elle est apte à franchir plus d’une frontière. Elle ouvre d’ailleurs son programme avec l’irrésistible air de la Vieille dans Candide de Leonard Bernstein : « I am easily assimilated », où cette native du fin fond de l’Europe de l’est explique qu’elle peut devenir à volonté espagnole ou représentante de n’importe quel pays. L’Espagne, justement, est très présente dans ce disque, mais il ne s’agit pas d’un vague intérêt de surface : Anne-Lise Polchlopek a étudié à Madrid et en a rapporté une maîtrise enviable de la langue castillane, qui lui permet de s’approprier réellement ces mélodies qu’il faut ressentir à fond pour bien les chanter. Avec une voix ô combien différente, la mezzo française sait ici faire sien tout un répertoire où excellait jadis Victoria de los Angeles : Chants populaires espagnols de Manuel de Falla ou Canciones negras de Montsalvatge, et jusqu’à la zarzuela, avec ce redoutable exemple de chant syllabique qu’est l’air de la tarentule, extrait de La Tempranica de Giménez.
Autre frontière qu’enjambe allègrement Anne-Lise Polchlopek, celle qui sépare le chant classique de la chanson populaire : passent ici les ombres de Jacques Brel, Michel Polnareff ou même Bourvil, avec des exemples qui montrent que ce qui relève de la « variété » n’a parfois rien à envier à l’univers de la mélodie de salon. Avec un naturel parfait, l’artiste passe sans heurt de ces chansons à des pages de Fauré, Poulenc, Satie ou Cécile Chaminade. L’opéra n’est pas loin non plus, sans vraiment s’éloigner de la chanson, avec la romance de Chérubin (retour en Espagne via la France, l’Autriche et l’Italie) et avec la habanera de Carmen, deux pages ou la guitare de Pierre Laniau vient s’ajouter ou se substituer au piano de Federico Tibone pour apporter une touche espagnole qui n’a rien de « carte postale ».
Ne s’interdisant aucun rapprochement, Anne-Lise Polchlopek inclut même une œuvre de jeunesse de Messiaen, ses Trois Mélodies de 1930, ou même cette berceuse hors-normes qu’est le Wiegenlied de Richard Strauss. De quoi nous donner l’impression que, vraiment, elle peut tout faire, ce qu’on s’empressera de vérifier dès cette saison (elle chante en ce moment le rôle-titre de La Belle Hélène à Toulon) ou dès la prochaine (elle participera à la création française de La Passagère de Weinberg à Toulouse).