Pauline Texier (soprano)
Anaïs Yvoz (mezzo)
David Tricou (ténor)
Eric Huchet (ténor)
Jean-Gabriel Saint-Martin (baryton).
Orkester Nord, dir. Martin Wåhlberg
Egidio Duni et Anseaume, Le Peintre amoureux de son modèle, opéra-comique créé à la Foire Saint-Laurent en 1757 ; Les deux chasseurs et la laitière, opéra-comique créé à la Comédie Italienne en 1763.
Album 2 CD, Aparté (AP 314) octobre 2023.
Les deux œuvres enregistrées marquent le tournant que prend l’opéra-comique après la Querelle des Bouffons à Paris (1752). Il s’agit de composer une œuvre sur des musiques nouvelles – des ariettes, et non des vaudevilles – d’après une comédie en français mettant en scène des situations comiques du quotidien grâce à l’alternance du parlé et du chanté. Ici, Egidio Duni, compositeur italien natif de Matera (Basilicate) s’implante à Paris l’année-même du Peintre amoureux de son modèle (1757, foire Saint-Laurent) et poursuit sa collaboration avec le célèbre dramaturge Anseaume pour Les deux chasseurs et la laitière (1763, Comédie Italienne). De Rousseau à Diderot, les Encyclopédistes célèbrent son talent à l’aune des valeurs qu’ils prônent : simplicité, naturel.
Comme chez son contemporain F.-A. Philidor (Blaise le savetier), le Duni du Peintre amoureux de son modèle séduit par l’intelligence combinatoire des styles lyriques. En illustrant l’opposition entre un barbon (le peintre) et un jeune couple (le modèle pour sa Vénus, l’apprenti peintre), il joue sur toutes les cordes. La vigueur de l’opera buffa, tant vocale qu’instrumentale (« Un instant a fait naître ») est juxtaposée à l’élégance chorégraphique à la française (« De l’amour je bravais l’empire ») avec hautbois agreste. Au fil des deux actes, les récits humoristiques en vaudeville (mi chantés mi parlés) animent l’intrigue dont le jeune couple sort triomphant, aidé par une gouvernante avisée. Si le seul duo des jeunes amants est (trop) proche de la Serva padrona de Pergolese, le quatuor final expérimente joyeusement « le plaisir, l’allégresse » des couples unis selon leur désir. Une ardeur qui peut symboliquement être celle de la comédie à ariettes, tout aussi conquérante auprès des publics des scènes foraines.
Les deux chasseurs et la laitière marque l’étape suivante de l’opéra-comique, dont Duni et Anseaume s’emparent également. Désormais, le genre sort des théâtres forains et s’institutionalise à la Comédie Italienne lors de la fusion de la troupe des chanteurs et des comédiens italiens. Lorsque l’intrigue paysanne est ici farfelue à souhait – croisant deux fables de La Fontaine, dont La laitière et le pot de lait – l’écriture musicale suit les situations avec justesse. Qu’elles soient météorologiques (la tempête de l’ouverture), imitatives (« Le briquet frappe la pierre »), ou affichant le fiasco (trio « Je tombe ! »), l’invention en est attrayante.
Pour exhumer ce répertoire, la direction lumineuse de Martin Wåhlberg à la tête de l’Orkester Nord (Norvège) est un atout tant le phrasé du style galant s’écoule harmonieusement. Alors que les pupitres hautbois et flûte sont sollicités pour d’inventives ritournelles (dont la musette des Chasseurs), la diversité des instruments de la basse renouvelle l’écoute. Du côté des chanteurs, les prises de rôle sont de qualité. La soprano Pauline Texier (Laurette, Perette) excelle dans le registre mutin sans affèterie, maniant la flexibilité des ariettes sentimentales autant que l’entrain d’une gigue (« Voilà la petite laitière »). La mezzo Anaïs Yvoz incarne la gouvernante Jacinte avec détermination (« Si c’est une coquette ») grâce à une franche prosodie et un timbre charnu. Le timbre clair du ténor David Tricou sied à l’emploi de jeune ingénu (Zerbin) comme de paysan naïf (Colas). Quant à Eric Huchet (le peintre Albert) et au baryton Jean-Gabriel Saint-Martin (le chasseur Guillet), leur stabilité vocale et leur expressivité sont en adéquation avec chaque rôle. L’un s’enflamme dans son geste créatif de peintre amoureux (« Chère Laurette »), l’autre dans l’ariette primesautière du buveur ou celle du fumeur de pipe. Toutefois, la simplicité et le comique de situation, proches du Devin du village, sont loin de notre sensibilité actuelle. Les dialogues pêchent souvent par manque de rythme ou de spontanéité. Ils tirent cependant profit d’une discrète mise en espace : bruitage de mobilier, de flacons, de grognements d’ours (J.-M. Olivarès, ingénieur du son).
Aussi, tout en saluant ce premier enregistrement mondial du Peintre amoureux de son modèle, faisons-nous ce constat : rien ne vaut le spectacle vivant pour goûter pleinement ces œuvres qui ont conquis les publics européens au XVIIIe siècle.