Die Walküre, Opéra National de Paris Bastille, mardi 11 novembre 2025
Suite du Ring conçu par Bieito pour l’Opéra de Paris : les chanteurs constituent l’atout décisif du spectacle, face à une proposition visuelle aux partis-pris plus clivants.
En choisissant de confier à Calixto Bieito la mise en scène de son nouveau Ring, l’Opéra de Paris n’a pas joué la facilité : c’est peu dire que le trublion catalan fait rarement consensus, malgré ses incontestables qualités d’originalité et d’audace. Lors du prologue dédié à L’Or du Rhin en début d’année, tout l’univers mythologique de Wagner a ainsi été balayé d’un revers de main pour mieux se concentrer sur la dénonciation de la violence des antagonismes sociaux, tout autant que des manipulations pour conquérir le pouvoir – ici transposées à travers l’usage perverti des nouvelles technologies. Ce premier volet controversé a ainsi pu surprendre par sa vision résolument pessimiste et anxiogène, annonciatrice d’un futur peu reluisant pour l’humanité.
En plongeant le spectateur face au défi d’un mythe revisité par des considérations très actuelles, Bieito fait feu de tout bois pour donner une expression visuelle sombre et dérangeante (magnifiée par des éclairages virtuoses), capable de susciter la réflexion sur les enjeux évoqués, toujours à l’œuvre en sous-texte des événements de La Walkyrie. Tout le flot chaotique de l’imagination délirante des images projetées sur l’immense décor métallique participe de cet état d’esprit, qui incite à mettre à distance les éléments les moins reluisants du Ring, tels que le patriarcat triomphant ou la misogynie infantilisante. La dénonciation omniprésente des méfaits de la guerre est aussi au cœur de cette réflexion, à mille lieues d’un livret plus enclin à saluer l’héroïsme des combattants.
L’autre atout du spectacle réside dans sa direction d’acteur, qui fourmille d’inventivité et de détails inattendus : d’emblée le personnage de Sieglinde apparaît comme une femme-enfant aux gestes hagards et craintifs, tandis que son mari brutal affiche une puissance viriliste ostentatoire. De même, Brünnhilde se montre tout aussi peu évoluée face à son père, promenant son cheval de bois lors de son entrée, en signe d’immaturité. Son affirmation face à Wotan n’en sera que plus incisive, tant l’ambiguïté de leur rapprochement physique fait froid dans le dos : si Wotan ne s’offusque pas d’une union incestueuse entre ses propres enfants, pourquoi refuserait-il de l’envisager pour lui-même et sa fille ? Seule la dernière partie du spectacle se montre un cran en dessous, tant les intentions scéniques deviennent plus nébuleuses, notamment avec l’intervention rocambolesque des Walkyries dans les airs, puis leur ramassage de cadavres épars.
Bieito ayant annoncé sa présence aux saluts pour le dernier volet du Ring, il faudra donc patienter un peu pour découvrir le jugement du public à l’égard de son travail. En attendant, le triomphe acquis pour les interprètes est audible, en premier lieu pour l’Orchestre de l’Opéra de Paris : Pablo Heras-Casado tisse des lignes claires et transparentes, tout en faisant étalage de couleurs aux vents d’un raffinement inouï. Sa volonté d’allègement des textures, comme ses tempi mesurés, permettent au plateau de ne jamais être couvert. Parmi les plus belles satisfactions de la soirée, Stanislas de Barbeyrac brille en Siegmund, autant par la variété de ses phrasés, d’une noblesse de ligne et d’un engagement sans faille, que par sa capacité à surmonter les légers détimbrages dans les passages en puissance, en première partie. Remplaçant de dernière minute de Iain Paterson (qui sera présent pour les prochaines représentations), Christopher Maltman donne lui aussi une leçon de technique vocale, qui sonne comme une évidence à chaque réplique. A l’instar de Tamara Wilson, son medium parait plus neutre, mais on ne peut qu’être séduit par son impact en pleine voix, à l’autorité naturelle. Tamara Wilson n’est pas en reste dans ce concert d’éloges, affrontant tous les changements de registre sans sourciller, sans se départir d’une vérité théâtrale saisissante. Très applaudie au moment des saluts, Elza van den Heever apporte une fois encore toute sa classe interprétative à ce plateau vocal rayonnant, complété par un solide Günther Groissböck, également à la hauteur de l’événement. On l’aura compris, les chanteurs constituent l’atout décisif du spectacle, face à une proposition visuelle aux partis-pris plus clivants.
Siegmund : Stanislas de Barbeyrac
Wotan : Christopher Maltman
Hunding : Günther Groissböck
Sieglinde : Elza van den Heever
Brünnhilde : Tamara Wilson
Fricka : Ève-Maud Hubeaux
Gerhilde : Louise Foor
Ortlinde : Laura Wilde
Waltraute : Marie-Andrée Bouchard-Lesieur
Schwertleite : Katharina Magiera
Helmwige : Jessica Faselt
Siegrune : Ida Aldrian
Grimgerde : Marvic Monreal
Rossweisse : Marie-Luise Dreßen
Orchestre de l’Opéra national de Paris, dir. Pablo Heras-Casado
Mise en scène : Calixto Bieito
Décors : Rebecca Ringst
Costumes : Ingo Krügler
Lumières : Michael Bauer
Vidéo : Sarah Derendinger
Dramaturgie : Bettina Auer
Die Walküre (La Walkyrie)
Opéra en 3 actes de Richard Wagner, créé au Théâtre national de la cour à Munich, le 26 juin 1870.
Paris, Opéra Bastille, représentation du mardi 11 novembre 2025


8 commentaires
100% d’accord.
Bravo pour cette critique qui me paraît réaliste . Les mots sont appropriés. Pour ma part j.ai assisté au même spectacle que vous , et le public enthousiaste de Bastille qui peut parfois être exigeant répond à certains de vos confrères moins objectifs.
Une scénographie déplorable… hideuse à souhait vous fait décrocher de cette soirée Wagnérienne assez vite… ! Heureusement on ferme les yeux et on écoute (ce qui est finalement l’essentiel à l’Opéra !) un plateau tirant magnifiquement son épingle de ce très mauvais jeu orchestré par ce piètre metteur en… quoi d’ailleurs… ?!!!
Costumes ordinaires, lumières inutiles et criardes, artifices stupides divers et avariés (cheval de sorcière entre les jambes de Brünehilde…)… et tout cela coûte beaucoup d’argent… !!! De qui se moque-t-on… ??!! Des spectateurs qui paient chères, très chères leurs places pour cet affligeant spectacle… !!! Vite Chéreau… reviens stp !!!!
Quin Jules, je suis tout à fait d’accord avec votre analyse. Je ne comprends pas comment l’Opéra Bastille a pu confier la mise en scène à cette personne.
Heureusement les interprètes et les musiciens ont maintenu un très bon niveau à la Walkyrie
Où sont passés les mythes scandinaves et germaniques ?
Merci Florent pour ce commentaire que je partage musicalement. Des voix superbes et un orchestre somptueusement engagé m’ont aidé à supporter ce décor et ces costumes hideux. Cette manie des transplantations dans des univers « autres » que ceux qu’évoquent les histoires racontées par les oeuvres, est lassante. Certes, la mode n’est plus aux décors chamarrés et surchargés. Cependant, il faut quand même faire un effort monumental pour imaginer Wotan et le Walhalla dans ce que nous présente cette « mise en scène », volontairement iconoclaste. Et encore des masques à gaz ! Déjà vus dans « Simeon Kotko » de Prokofiev, où au moins, ils avaient leur place. Face aux prix des places, c’est quand même dommage que de telles « mises en scènes » perdurent et parviennent surtout à dénaturer les ouvrages désignés. Quant à expliquer à de jeunes mélomanes ce que raconte « La Walkyrie » pour ensuite se retrouver devant… ça… bof !
Six harpes dans la fosse d’orchestre !
Alors voici mon conseil pour ceux qui ont, comme moi, des difficuktés avec les mises en scènes alternatives, béantes, calamiteuses et décalées : achetez des places de galerie ! Le son est excellent (vingt fois plus clair et complet qu’au parterre) , et quand on veut s’assurer que la mise en scène est toujours une mise en boîte (ou carrément en bière) du propos très schopenhauerien du Ring, il n’y a qu’à se contorsionner un peu. On se reconcentre aussitôt sur la musique et les voix, qui sont tout le drame wagnérien. Et la moindre phrase de clarinette basse, le moindre pianissimo de Brünnhilde, le moindre étirement des tubas vous comblent, les yeux fermés
Hier à Bastille, un immense frustration. La Tétralogie, c’est un parcours que l’on a peut-être l’occasion de ne vivre qu’une fois dans sa vie, par sa rareté et l’investissement autant émotionnel et financier que cela représente. Dès lors, je me sens en colère de voir dilapidé tant de qualité musicale, – chanteurs, orchestre, direction- par une énième mise en scène où la laideur côtoie le sordide. Metteurs en scène – et vous commanditaires directeurs d’opéra – pouvez-vous imaginer que lorsqu’on vient au spectacle, c’est aussi -surtout?- pour s’arracher aux horreurs du quotidien? C’est tristement devenu la marque de fabrique de Bastille, avec des mises en scènes « post apocalyptiques » ou guerrières mêlant béton, étagères de centre logistique Amazon ou Datacenter, cadavres et viols. Les Troyens, Lohengrin, Salomé, maintenant la Tétralogie, même plus l’excuse de l’originalité. Rendez-nous l’émotion, le rêve, l’oubli du quotidien, la beauté!