
Une mise en scène intéressante, une belle distribution, une direction orchestrale soignée : l’accueil du public a été chaleureux pour cette Giovanna d’Arco proposée par le Teatro Regio de Parme, confirmant l’intérêt présenté par cette partition qui compte parmi les moins connues de Verdi.
Giovanna d’Arco n’est pas l’un des opéras les plus connus de Verdi [voyez ici le dossier que Première Loge Opéra a consacré à l’œuvre], et pourtant il a été mis en scène à Parme dans trois éditions différentes au cours des vingt dernières années : en 2008, 2016 et 2025. Le 30 janvier dernier, le Teatro Regio était plein à craquer pour cette nouvelle production mis en scène par Emma Dante et dirigé par Michele Gamba… et l’accueil du public a été enthousiaste !
Selon le chef Michele Gamba, « nous sommes face à un opéra que l’on pourrait qualifier d’opéra de chambre », ce qui témoigne de « la finesse d’écriture du jeune Verdi ». La Filarmonica Arturo Toscanini, qu’il dirige, a mis en valeur aussi bien les moments musicaux martiaux d’afflux patriotique (« Or sia patria il mio solo pensiero » que chante Giovanna dans le finale du Prologue) que les moments plus intimistes teintés de délire mystique. Le chœur, homogène et puissant, admirablement dirigé par Martino Faggiani (qui en est d’ailleurs son chef depuis vingt-cinq ans), s’est montré parfaitement à la hauteur de la tâche ardue qui lui incombait.
Emma Dante a recréé le personnage de Giovanna selon son propre style – comme cela s’était d’ailleurs déjà produit pour Carmen, mise en scène en 2009 à la Scala, marquant les débuts dans la mise en scène d’opéra de l’actrice, dramaturge et metteure en scène de théâtre palermitaine. Dans le programme, elle écrit que Giovanna « peut être folle, peut être une sainte inspirée par le ciel, ou encore une sorcière succombant aux mauvais esprits… C’est certainement une femme exceptionnelle… qui défie courageusement les conventions sociales jusqu’à sacrifier sa vie ». Sur scène, cette interprétation a donné lieu à des solutions plutôt esthétisantes, parfois surchargées, mais qui, dans l’ensemble, ont actualisé le spectacle et l’ont rendu captivant. Giovanna est certes apparue comme une femme forte, luttant surtout contre les continuelles visions démoniaques (comme s’il s’agissait d’une tentation ininterrompue de saint Antoine), représentées par des mimes enveloppés dans de longues draperies rouge sang, qui rampaient à ses pieds en se tordant… Cependant, lorsqu’elle prend l’épée et revêt le cimier, elle fait preuve d’un charisme incontestable pour mener le roi et l’armée à la victoire. La scénographie (signée Carmine Maringola), le plus souvent minimaliste mais parfois débordante de fleurs, les costumes de Vanessa Sannino, parfois épurés, parfois d’une élégance toute royale, ont rehaussé les choix de la mise en scène – tout comme les éclairages de Luigi Biondi et la chorégraphie de Manuela Lo Sicco.
D’un très bon niveau, les trois chanteurs principaux ont été chaleureusement applaudis à la fin de chaque acte, mais aussi à scène ouverte à la fin de quelques arias passionnantes. Nino Machaidze (qui avait déjà incarné le rôle de Giovanna en 2020 au Teatro dell’Opera de Rome) a été une Giovanna tout à la fois « battante » et tourmentée, d’une présence scénique imposante et d’une voix forte et vibrante, qui s’est toutefois parfois étiolée dans certains aigus abordés avec trop d’élan. Sa cavatine de l’acte I, « Sempre all’alba ed alla sera », a été correcte mais plutôt anonyme, tandis que les duos avec Carlo « Vieni al tempio e ti consola » (II, 6) puis avec Giacomo « Amai, ma un solo istante » (III, 2) ont témoigné d’une belle expressivité. Luciano Ganci avait déjà interprété Carlo VII lors de l’édition 2016 à Parme et, sur scène, il a fait preuve d’une maîtrise particulière. Grâce à sa voix intense et souple, au timbre clair et à la diction précise, il a été acclamé dès la cavatine et la cabalette de l’acte I « Sotto una quercia parvemi…. / Pondo è letal, martiro ». Le baryton Ariunbaatar Ganbaatar (alias Giacomo), qui a fait si forte impression tout récemment en Germont à Paris, a conquis le public par sa belle voix corsée et aux couleurs brunes, assortie d’une technique rigoureuse et d’un phrasé correct. Originaire de Mongolie et âgé de 36 ans seulement, il a bien incarné le père bourru de Giovanna. Son chant a toujours été pleinement convaincant, même lorsque, pleurant son « crin già bianco » et « la bianca testa », il a suscité une certaine perplexité… en raison du contraste avec son épaisse chevelure noire et ses traits très juvéniles ! Le ténor Francesco Congiu (Delil) et la basse Krzysztof Baczyk (Talbot) sont apparus dignes dans leurs rôles respectifs, pourtant très circonscrits.
Les acclamations enthousiastes du public ont confirmé le jugement positif de Verdi sur Giovanna d’Arco. Bien que la version de Parme soit très actualisée et mette l’accent sur les horreurs de la guerre et l’audace de Giovanna, ceux qui connaissent les opéras de Verdi ont retrouvé de nombreuses idées développées dans ses futurs chefs-d’œuvre : la relation père-fille et l’idée d’un destin funeste qui s’annonce ; la forêt fatidique rappelle l’ « orrido campo » d’Un ballo in maschera, tout comme le chœur des mauvais esprits rappelle celui des sorcières de Macbeth. Espérons que la redécouverte d’un opéra considéré comme mineur incitera le public d’aujourd’hui à approfondir sa connaissance du compositeur et du personnage historique de Jeanne d’Arc, dont l’histoire est en effet cruciale dans la guerre de Cent Ans… et, à bien des égards, différente de la manière dont elle a été racontée dans les drames et les opéras !
Carlo VII : Luciano Ganci
Giovanna : Nino Machaidze
Giacomo : Ariunbaatar Ganbaatar
Delil : Francesco Congiu
Talbot : Krzysztof Baczyk
Orchestre Filarmonica Arturo Toscanini, dir. : Michele Gamba
Chœur Teatro Regio di Parma
Chef de chœur : Martino Faggiani
Mise en scène : Emma Dante
Décors : Carmine Maringola
Costumes : Vanessa Sannino
Lumières : Luigi Biondi
Chorégraphie : Manuela Lo Sicco
Giovanna d’Arco
Dramma lirico en trois actes de Giuseppe Verdi, livret de Temistocle Solera, d’après Die Jungfrau von Orléans de Friedrich Schiller, créé au Teatro alla Scala de Milan, le 15 février 1845.
Parme, Teatro Regio, jeudi 30 janvier 2025.