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Don Carlos à Liège : une nouvelle prise de rôle pour Gregory Kunde !

par Stéphane Lelièvre 31 janvier 2020
par Stéphane Lelièvre 31 janvier 2020
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Crédit photos : © Opéra Royal de Wallonie-Liège

L’Opéra Royal de Wallonie a la réputation de présenter des spectacles aux mises en scène plutôt sages, à quelques exceptions près (le Faust signé Stefano Poda la saison passée en est une notable). Ce Don Carlos, mis en scène par Stefano Mazzonis di Pralafera, n’échappe pas à la règle : nous ne sommes ni sur la Lune, ni dans un camp de réfugiés, ni dans les bureaux administratifs d’une entreprise , mais bel et bien à Fontainebleau puis à la cour de Philippe II, en Espagne, en 1559 – ce dont témoignent les très beaux décors de Gary Mc Cann  (superbement éclairés par Franco Marri) et les costumes de Fernand Ruiz. Le spectacle se présente comme une simple mais belle mise en images de l’œuvre, sans relecture particulière – les détracteurs des spectacles dits « traditionnels » diraient « sans lecture » : les deux seuls aspects véritablement  originaux du spectacle résident d’une part dans l’omniprésence du Moine mystérieux, témoin impassible et (presque toujours) muet du drame qui se joue devant lui ; d’autre part dans la pantomime jouée pendant l’introduction de l’air de Philippe II : on y voit Eboli présenter à Philippe le coffret qu’elle vient de dérober à la Reine ; on y voit également une étreinte entre le Roi et la Princesse. Si cette pantomime clarifie l’action, elle nous semble cependant entrer en contradiction avec la musique, suggérant le vide et l’incommensurable solitude dans laquelle se trouve plongé le Roi…

La version retenue par l’Opéra Royal de Wallonie est celle de 1866 (celle des répétitions avant les coupures opérées par Verdi pour la première). Depuis les représentations proposées par le Châtelet en 1996 (qui ont fait l’objet d’un CD et d’un DVD) et celles de l’Opéra Bastille dans la mise en scène de Warlikowski (en 2017), cette version est maintenant bien connue, et l’on est surpris qu’elle soit dorénavant presque systématiquement retenue par les théâtres choisissant de monter cet opéra en français. Le vrai point fort de  cette version réside dans le chœur initial qui donne à voir l’extrême dénuement du peuple, ce qui justifiera et rendra encore plus poignant le sacrifice opéré par Elisabeth en acceptant d’épouser Philippe. Mais la version de la création, celle enregistrée par Abbado en 1985, est, musicalement et dramatiquement, supérieure sur bien des points, notamment dans la confrontation entre Carlos et Rodrigue avant le duo « Dieu, tu semas dans nos âmes » ou, surtout, le troisième et dernier duo entre Carlos et Elisabeth, qui atteint des sommets d’émotion qu’on ne retrouve que partiellement dans la version dite « des répétitions ».

Musicalement, le spectacle de Liège est une réussite : on a rarement entendu les chœurs et surtout l’orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie à ce point en forme, littéralement galvanisés par la direction de Paolo Arrivabeni, puissamment dramatique lorsqu’il le faut, mais également pleine de lyrisme et de cette tendresse désespérée qui est la marque première de l’œuvre.

Pourtant muets (heureusement !), Clara, Actimel, Lara et Léonard convainquent pleinement par un jeu de scène très étudié – l’un de ces quatre lévriers semblant s’être particulièrement attaché à la personne Yolanda Auyanet ! Vocalement, les choses sont un peu inégales. Les timbres sombres de Patrick Bolleire et de Roberto Scandiuzzi conviennent bien aux personnages du Moine et de l’Inquisiteur – l’usure des moyens du second ne desservant pas l’incarnation du vieillard presque centenaire. Dans les tout petits rôles de Thibaud, du Comte de Lerme et du Héraut, Caroline de Mahieu et Maxime Melnik créent la surprise par la fraîcheur de leur timbre et la qualité de leur diction. Le second, dont la voix se projette avec assurance et est capable de couronner la scène de la prison d’un aigu glorieux (« Vive le Roi ! »), parvient même à donner corps à un personnage qui n’est le plus souvent qu’un simple figurant.

Le français d’Ildebrando D’Arcangelo est toujours un peu cotonneux (sauf dans son air du IV, qui semble avoir fait l’objet d’un travail particulier), mais stylistiquement, le chanteur est plus à sa place que dans les Méphisto de Faust (sur cette même scène l’an dernier) ou de La Damnation (il y a quelques semaines à la Philharmonie, même s’il était, il est vrai, indisposé) ; son Philippe II cependant gagnerait à faire preuve de plus d’introspection et est surtout convaincant dans les moments où l’autorité, voire la brutalité du Roi se manifestent.

Les premières interventions de Kate Aldrich inquiètent un peu : le soutien vocal semble parfois défaillant, le timbre se déchire et fait entendre quelques accents rauques inhabituels chez cette chanteuse, la liaison des registres est un peu laborieuse… Heureusement, la voix se chauffe au fil de la représentation, les choses s’améliorent progressivement et la chanteuse finit par retrouver tous ses moyens, ce qui lui permet de délivrer un « Ô don fatal » fier  ombrageux, très apprécié du public.

Avant le spectacle, Stefano Mazzonis di Pralafera avait annoncé que Yolanda Auyanet était souffrante, laissant entendre qu’elle ne pourrait peut-être pas aller au bout de la représentation et qu’une doublure était prévue… On est d’autant plus surpris d’entendre, lors des premières interventions d’Elisabeth, une voix fraîche, souple, aux aigus assurés ! Et puis on comprend : c’est le registre grave qui est atteint, se réduisant parfois à un filet de voix difficilement audible et pas toujours juste. On souffre avec la chanteuse, car la tessiture d’Elisabeth est très centrale, rarement plus aiguë que celle d’Eboli, le médium et le grave étant fréquemment sollicités dans ce rôle. Mais Yolanda Auyanet fait front avec courage et une grande probité artistique. Elle parvient au terme de la représentation en évitant l’accident et fait entendre, lorsque les notes graves du rôles ne sont pas requises, une voix pleine de fraîcheur (dont la pulpe n’est pas sans rappeler le timbre fruité d’une Pilar Lorengar), capable de nombreuses  nuances (très beaux aigus piano filés dans l’air « Ô ma chère compagne » ou dans le duo final) et immédiatement porteuse d’émotion.

Lionel Lhote est, en tout point, un Posa exceptionnel. La voix, d’une grande douceur, sait se projeter avec autorité dans la confrontation avec Philippe. La technique, à ce point maîtrisée qu’elle en devient discrète, permet au chanteur les plus infimes nuances, les piani les plus suaves, un legato souverain, des tenues de souffle exceptionnelles (« Ah, je meurs l’âme joyeuse… »)… Si l’on ajoute à cela une prononciation exceptionnellement claire, on comprendra que l’on est ici en présence de l’un des meilleurs titulaires actuels du rôle. En début de saison, Lionel Lhote était déjà, à Versailles, un Fieramosca absolument épatant, preuve de l’adaptabilité et de la polyvalence de ce très grand artiste qu’on espère vraiment entendre plus souvent en France !

Mais c’est surtout le Carlos de Gregory Kunde qui était attendu… Après d’éclatants Otello et Calaf, le ténor américain serait-il capable de traduire vocalement la jeunesse mélancolique du héros de Schiller ? Le résultat, cette fois, n’est qu’à moitié convaincant… Curieusement, ce sont les passages habituellement considérés comme redoutables pour les ténors qui impressionnent le plus : le cri empli de noblesse « Je serai ton sauveur, noble peuple flamand », la violence désespérée de « Mes royaumes sont près de lui », l’invective « Ô roi de meurtre et d’épouvante », bref tous les passages forte sollicitant le registre aigu sont émis avec une facilité déconcertante. En revanche, les moments de lyrisme tendre, le chant spianato, les passages mezza voce sont négociés avec moins de facilité, le vibrato n’étant pas parfaitement contrôlé surtout en début de soirée (le contrôle de la voix s’améliorera sensiblement au fil de la soirée). Sans doute Gregory Kunde aurait-il été un Don Carlos idéal à l’époque où il réinventait l’interprétation d’Énée pour Gardiner (soit dans les années 2000). Aujourd’hui, la fréquentation assidue de rôles très lourds, inévitablement, a quelque peu altéré le moelleux de la pâte vocale, ce qui prive le personnage de la part de fragilité et de tendresse qui lui est inhérente. La performance n’en demeure pas moins étonnante, et l’on ne peut qu’être impressionné par cette nouvelle prise de rôle par un ténor à la longévité vocale stupéfiante (ses débuts professionnels remontent à 1978).

Applaudissements nourris pour tous les interprètes à l’issue du spectacle, de la part d’un public remarquablement attentif.

Les artistes

Don Carlos   Gregory Kunde
Rodrigue   Lionel Lhote
Philippe II   Ildebrando D’Arcangelo
Le Grand Inquisiteur   Roberto Scandiuzzi
Un Moine   Patrick Bolleire
LLerme / Un héraut   Maxime Melnik
Thibault   Caroline de Mahieu
Elisabeth de Valois   Yolanda Auyanet
Eboli   Kate Aldrich
Une Voix d’en haut   Louise Foor

Orchestre et Choeurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, direction Paolo Arrivabeni

Mise en scène Stefano Mazzonis di Pralafera

Le programme

Don Carlos

Opéra en 5 actes de Giuseppe Verdi, livret de  Joseph Méry et Camille du Locle (d’après la tragédie Don Carlos de Friedrich von Schiller), créé le 11 mars 1867 à l’Opéra de Paris.

Opéra Royal de Wallonie (liège), représentation du jeudi 30 janvier 2020

 

 

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Stéphane Lelièvre

Stéphane Lelièvre est maître de conférences en littérature comparée, responsable de l’équipe « Littérature et Musique » du Centre de Recherche en Littérature Comparée de la Faculté des Lettres de Sorbonne-Université. Il a publié plusieurs ouvrages et articles dans des revues comparatistes ou musicologiques et collabore fréquemment avec divers opéras pour la rédaction de programmes de salle (Opéra national de Paris, Opéra-Comique, Opéra national du Rhin,...) Il est co-fondateur et rédacteur en chef de Première Loge.

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