Le dernier week end du Festival d’Ambronay déploie une offre séduisante pour sa 43e édition. Comme les éditions antérieures, cette offre est portée par les jeunes ensembles européens sélectionnés par le programme EEEmerging.
Journal de bord 2 : 08 octobre 2022
En 1993, le festival donnait le la en fondant la première Académie d’Ambronay, une composante devenue essentielle pour tout festival, tant la formation, la production et la diffusion des orchestres de jeunes est importante. Ce week-end fait la promotion de deux sessions d’Académie, celle de 2021 dirigée par Geoffroy Jourdain, celle de 2022 dénommée « les Explorateurs », dirigée par Ophélie Gaillard. Face au public de leur concert, Isabelle Battioni, directrice du festival, se réjouit de leur fonction d’incubateur, au point que trois générations s’emboitent ici : Ophélie Gaillard, ex jeune académicienne, y est désormais cheffe des jeunes Explorateurs, tandis qu’elle est épaulée par le Butter Quartet, lui-même sélectionné par le programme EEEmerging. Une belle transmission en actes !
Le matin, deux ensembles du programme EEEmerging+ investissent la salle Monteverdi : le quatuor baroque Cohaere (Pologne), puis la Camerata Chromatica (France). L’un est constituée de quatre excellentes musiciennes polonaises, d’une connivence parfaite dans la Suite TWV 42 de G. P. Telemann, dont le mouvement de danse Polonaise est réjouissant. La personnalité de chaque musicienne est optimisée dans les pièces suivantes, dont la Symphonie de Pierre Gaultier de Marseille, aux Sarabandes d’une expressivité communicative. L’autre aborde une thématique originale : et si l’écriture chromatique (sons conjoints par demi-tons) présidait aux sources de toute expressivité vocale à la Renaissance ? La Camerata Chromatica lance ce singulier défi en enchaînant subtilement l’Hymne à Apollon (IIe siècle av. J.-C.) aux pièces renaissantes qui redécouvrent le pouvoir expressif du procédé grec (tétracorde) chez les madrigalistes. Les étirements (pièce de Nicola Vicentino), les silences éruptifs (Carlo Gesualdo) sont d’autant plus émouvants que le choix de l’ensemble est de confier les vers chantés à deux voix solistes seulement, tandis que 2 flûtes à bec (soprano, basse) et l’orgue portent les voix de dessous. Ce traitement valorise l’écriture florissante du chant madrigalesque (de qui sont les poèmes ?) tout en dotant les instruments « soufflant » d’une vocalité concrète. Le timbre clair du contre- ténor Nicolas Kuntzmann est d’une belle expressivité, usant même de la voix de poitrine pour le registre grave.
Issues de la sélection EEEmerging +, deux autres formations transportent les publics aux XVe et XVIe siècles, dans l’abbatiale. Elles portent une dimension spectaculaire qu’autorise la thématique de cette 43e édition « musiques en jeux ». Into the Winds (déjà remarqué en 2021) entremêle des textes de chroniqueur de la Guerre de Cent ans (ou du sacre de Charles VI) aux sonneries triomphantes. À la verdeur des anches – chalemie, bombarde – répond le jeu nuancé de la busine (trompette de plus de 2 m) sous les roulements de timbales médiévales, ou bien l’entrain du galoubet. Venu d’Allemagne, l’ensemble I Zefirelli mise davantage sur l’interactivité avec le public. Sans partition, les 5 talentueux musicien.nes restituent une sorte de fête renaissante à la taverne (au pub ?), au fil de danses folkloriques irlandaises (flûtiste virtuose de Luise Catenhusen) et anglaises. Leur juvénile ardeur est communicative, tandis que le tenorino du percussionniste (Jeroen Finke) fait mouche dans la chanson avec un humour qui enchante le public.
Le soir, le concert des Explorateurs débute sous des auspices citoyens et solidaires lorsque Ophélie Gaillard, leur cheffe au poste de violoncelle, le dédie aux populations de l’Iran. En outre, elle choisit de débuter la soirée avec un chant ukrainien arrangé pour leur formation. Cet orchestre des jeunes talents de l’Académie 2022 regroupe 13 nationalités en son sein et propose un programme dédié au classicisme européen. Après leur tournée estivale en Europe (8 concerts), autant dire que la performance est au rendez-vous, tant dans les symphonies de Mozart (KV. 129), de J. Haydn (La Passione, Hob 1-49) et de Boccherini (final de La casa del Diavolo) que dans le Concerto pour violoncelle de Luigi Boccherini (G. 483). La connivence entre l’ambassadrice internationale et les musiciens se perçoit dans les échanges concertants, notamment entre les chefs de pupitre des cordes, tenus par les quartettistes du Butter Quartet. Lorsque tout instrumentiste joue sur des copies d’instruments XVIIIe siècle (cordes en boyau, hautbois baroque, cor naturel, piano-forte), O. Gaillard dompte de son côté un violoncelle de Francesco Goffriller (1737). Une seule réserve : le choix systématique de tempi ultra véloces, pour chaque Allegro, banalise l’expression pour imposer une virtuosité trépidante. Le final de la symphonie de Boccherini, revisitant la Danse des furies d’Orphée (Gluck), se métamorphose en exercice de gammes plutôt qu’en vision démoniaque.
En sortant de l’abbatiale, le public peut échanger dans la cour tout en admirant l’illumination des façades monumentales de l’abbaye, réglée par un artiste vitrail de Chartres. Au festival d’Ambronay, l’émotion artistique irrigue tous les moments !
. Ensemble Cohaere (Pologne) : M. Gawlas, M. Korbel, M. Hartmann, N. Olczak
. La Camerata Chromatica (France) : G. Varbetian, N. Kuntzelmann, P. Chiama, V. Fellonneau, direction B. Delale.
. Into the Winds : A. Guibeaud, A. Reboisson, M. Moal, R. Lécorché, L. Sauron.
. I Zefirelli (Allemagne) : Luise Catenhusen, M. Carrasco Gil, J. Kuchenbuch, T. Tietze, J. Finke.
Œuvres de G. P. Telemann, Nicola Vicentino, Carlo Gesualdo, Mozart, Haydn, Boccherini.
Concerts du samedi 8 octobre 2022, Festival d’Ambronay.