La présentation de la saison 2023-2024 de l’Opéra de Marseille et du théâtre de l’Odéon, devant la presse généraliste locale et la presse spécialisée[1], par Maurice Xiberras, Michele Spotti – nouveau directeur musical – et Jean-Marc Coppola, adjoint en charge de la culture, aura permis de montrer, s’il en était besoin, que, tant du côté institutionnel que du côté artistique, l’illustre théâtre de la place Reyer comme l’Odéon d’en haut de la Canebière, tiennent le cap fixé par la municipalité : répondre à une mission de service public en faisant rayonner opéra et opérette auprès du plus grand nombre tout en ne sacrifiant pas le niveau d’exigence artistique attendu par le public des aficionados.
Même si la thèse, développée entre autres par Jean-Philippe Thiellay dans L’Opéra, s’il vous plaît [2] !, de l’impérieuse nécessité pour l’art lyrique de se réinventer pour ne pas mourir est désormais bien connue, il était bon d’entendre, lors de la conférence de presse du 4 mai, les arguments déployés tant par la direction artistique et musicale de l’Opéra et de l’Odéon que par le représentant du premier magistrat de la ville pour montrer que la conjonction des énergies – une notion employée par le maestro Spotti à propos de l’orchestre de l’Opéra – pouvait, à Marseille, faire de – petits ! – miracles dont le premier, et non le moindre, aura sans nul doute été, cette saison, de jouer à guichet fermé voire de refuser des spectateurs pour des spectacles tels que Carmen et Nabucco. De même, il convient de souligner que près de 12 000 personnes ont eu accès, en 2022, à des dispositifs de sensibilisation voire d’éducation musicale et orchestrale liés à l’Opéra de Marseille (partenariat avec l’Académie d’Aix-Marseille et Aix-Marseille Université, programmes pédagogiques en faveur des étudiants, des écoles, du Conservatoire, des « publics empêchés »…). À juste titre, Jean-Marc Coppola rappelle que la saison 2023-2024 verra, comme la précédente, la poursuite du déploiement, pour certaines soirées, du dispositif « gilets vibrants » destinés à une meilleure accessibilité des spectacles aux personnes sourdes ou malentendantes.
Si Maurice Xiberras se réjouit pleinement de la dimension éminemment positive du regard neuf de Michele Spotti en qualité de directeur musical – particulièrement remarqué lors des représentations de Guillaume Tell en 2021 – le jeune maestro milanais est à la fois bien conscient des réalités du terrain sur lequel il débarque – et à propos duquel M. Coppola l’assure publiquement du soutien indéfectible de la Ville – mais également décidé à dynamiser en énergie et en esprit organique l’orchestre de l’Opéra. L’un de ses objectifs est d’ailleurs clairement affiché : il faut créer un « son » pour cette phalange et en faire la marque de fabrique, au-delà des frontières, pour rendre la Ville encore plus orgueilleuse de sa formation ! En attendant, Michele Spotti aura très rapidement dû constituer une saison symphonique où l’on aura plaisir à entendre – la plupart du temps sous sa direction – outre Schubert (concert de lieder avec le baryton Markus Werba) et Tchaïkovski – entre autres – la musique symphonique de Prokofiev, Penderecki et Mahler.
Une fois que le recrutement d’un nouveau chef de chœur[3] aura abouti, l’Opéra de Marseille verra donc une partie essentielle de son effectif artistique en ordre de marche pour affronter les nombreux défis qui ne manqueront pas de se présenter.
Il revenait tout naturellement à Maurice Xiberras de présenter les spectacles de la future saison concoctée par ses soins. L’exigence artistique et l’originalité sont de nouveau au rendez-vous puisque après une ouverture en grande pompe au son de L’Africaine – ouvrage incontournable du patrimoine musical français qui, quoique donné dans une version de concert mémorable en juin 1992[4], n’a plus été représenté scéniquement à Marseille depuis 1964 ! – la programmation nous conduira du souffle de jeunesse verdien d’un Attila, en version concertante, qui promet beaucoup – Angela Meade y fera en effet ses débuts en Odabella tout comme Ildebrando d’Arcangelo en roi des Huns ! – à celui, plus mûr et pessimiste, d’Un Ballo in maschera dans lequel Enea Scala fera ses débuts en Riccardo tandis que la déjà remarquée Maria Torbidoni incarnera Amelia[5]. Si la Violetta de la soprano ibérique Ruth Iniesta constitue également un moment prometteur de la future saison surtout quand on retrouve à ses côtés, après son Nelusko de L’Africaine, l’excellent baryton Jérôme Bouteiller, la prise de rôle d’Anne-Catherine Gillet en Missia Palmieri de La Veuve joyeuse tout comme celle de Nicolas Courjal dans le magnifique Don Quichotte de Massenet – au sein d’un plateau entièrement composé d’interprètes français parmi lesquels on retrouvera le Sancho de Marc Barrard et la Dulcinée d’Héloïse Mas – devraient recueillir l’adhésion de nombreux amateurs ! Pour son premier opéra en tant que directeur musical, Michele Spotti a choisi de diriger Le Nozze di Figaro dans une production qui permettra de réentendre les voix de Patrizia Ciofi (La Comtesse) et de Mireille Delunsch (Marcelline) aux côtés de Jean-Sébastien Bou (Le Comte). Enfin, la musique contemporain ne sera pas absente de cette programmation puisqu’Autodafé, cantate de Maurice Ohana pour triple chœur, percussions, petit orchestre et électronique crée en 1971 au théâtre antique de Vaison-la-Romaine, sera donné en version concertante en coproduction avec Musicatreize : une occasion exceptionnelle de manifester à l’égard d’une œuvre aux inspirations diverses – allant du jazz à la musique séfarade et andalouse – tombée quasiment dans l’oubli, cette curiosité si indispensable, hier comme aujourd’hui, à l’égard d’un répertoire intermédiaire, lié au théâtre musical.
Côté opérette et comédie musicale, la programmation de Maurice Xiberras fait de nouveau le pari d’un répertoire totalement partie prenante d’un patrimoine musical qu’il faut défendre et dont le théâtre de l’Odéon est devenu désormais dans l’hexagone l’un des derniers remparts… si ce n’est le seul ! De fait, de l’exceptionnelle partition de Jerry Herman pour La Cage aux folles – l’un des plus grands succès de Broadway – jusqu’à l’insubmersible Méditerranée de Francis Lopez, le public pourra retrouver avec bonheur les mélodies inusables d’Un de la Canebière, de Quatre jours à Paris et de Chanson gitane et redécouvrir des chefs-d’œuvre du genre tels que La Grande-Duchesse de Gérolstein ou le rare Paganini de Lehár…crée tout de même pour Richard Tauber !
Une saison bien remplie – huit opéras et 7 opérettes – dont Première Loge aura donc plaisir à rendre compte !
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[1] Curieusement, il a été remarqué, pour la deuxième année consécutive, l’absence de présentation de la saison devant le public phocéen. Regrettable quand on connaît l’attachement des abonnés à ce moment de partage avec l’équipe artistique de « leur » opéra…municipal comme les édiles locaux se plaisent souvent à le répéter !
[2] Voir notre compte-rendu de l’ouvrage – paru en 20222 – dans Première Loge
[3] En remplacement d’Emmanuel Trenque, en partance pour le théâtre de La Monnaie de Bruxelles à la fin de cette saison.
[4] On y avait, en effet, entendu la Selika de l’immense Grace Bumbry !
[5] Voir à propos de cette jeune soprano italienne le compte-rendu enthousiaste de Stéphane Lelièvre pour Luisa Miller donné à l’Opéra d’Angers en mars dernier.