LES ITALIENS À PARIS (7) : Donizetti, Le Duc d’Albe (composé en 1839)
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Découvrez, dans cette nouvelle rubrique, un florilège d’opéras (du Siège de Corinthe à Don Carlos) composés par des musiciens italiens pour l’Opéra de Paris !
Le livret, signé Eugène Scribe et Charles Duveyrier, aurait dû initialement échoir à Halévy, pour un grand opéra français en cinq actes, comme il se doit. Suite au refus d’Halévy, Scribe propose son livret à Donizetti en 1839, alors qu’il tentait de conquérir la capitale française en travaillant également sur deux projets : Les Martyrs et La Fille du Régiment. La composition, bien avancée, s’interrompit cependant et le projet fut abandonné, suite aux intrigues menées par la mezzo Rosine Stolz, maîtresse du directeur de l’Opéra Léon Pillet, vexée que le rôle-titre soit confié à un homme et que le premier rôle féminin soit attribué à un soprano : il aurait donc nécessité de nombreux arrangements pour qu’elle puisse l’interpréter sans difficulté…
Nous évoquons ici les grandes étapes de la redécouverte de cette partition inachevée de Donizetti :
Ci-contre : le ténor Julián Gayarre, premier Marcello di Bruges (Henri) du Duc d’Albe.
Il est extrêmement proche de celui des Vêpres siciliennes de Verdi, l’action prenant place non pas dans la Sicile occupée par les Français (avec à leur tête Guy de Montfort), mais dans les Flandres du XVIe siècle, soumises au joug espagnol – et en particulier à la gouvernance de l’autoritaire duc d’Albe. Ce dernier apprend de sa maîtresse mourante qu’il a un fils, Henri, lequel soutient les insurgés flamands – parmi lesquels se trouve Hélène dont Henri est épris, et dont le duc d’Albe a fait assassiner le père. Les personnages sont ainsi déchirés entre leur amour, leurs liens familiaux et leurs convictions politiques, Hélène ne pouvant aimer le fils de l’oppresseur des Flandres et du bourreau de son père, le duc d’Albe ne pouvant se résoudre à faire arrêter et à condamner son propre fils, Henri étant constamment partagé entre son amour pour Hélène et les liens qui l’unissent à son père. À la fin de l’opéra, alors que le duc d’Albe s’apprête à retourner en Espagne, Hélène tente de le poignarder. Henri s’interpose et meurt de la main de sa bien-aimée… ne faisant ainsi, selon ses propres termes, que son devoir : il a protégé son père, tout en permettant à Hélène de venger le sien.
Les grandes beautés qu’elle recèle ne peuvent que faire regretter le fait que Donizetti n’ait jamais eu l’occasion d’achever et de faire représenter son œuvre. S’adaptant au goût et au style français, le musicien propose une orchestration plus riche et plus variée qu’à l’accoutumée, et apporte un soin particulier à l’enchaînement des numéros, les pezzi chiusi (airs, duos, ensembles) étant d’une facture plus libre et plus complexe que celle propre à l’esthétique belcantiste. Les ensembles notamment – et en particulier les finales d’actes – sont d’une grande puissance dramatique.
Découvrez ci-dessous quatre versions de l’air que Donizetti composa initialement pour Henri, le ténor du Duc d’Albe. La première est la version originale : « Sans être vu… Ange des cieux » (Le Duc d’Albe). La seconde est l’air de Fernand dans La Favorite (« La maîtresse du roi… Ange si pur »). La troisième est la traduction italienne de l’air français de La Favorite (« Favorita del re… Spirto gentil »). La quatrième, enfin, est l’air que composa Matteo Salvi pour la création du Duca d’Alba en 1882 (« Inosservato… Angelo casto et bel »).
Il existe deux versions françaises du Duc d’Albe : l’une, parue chez Dynamic, correspond à la version Salvi/Battistelli donnée à l’Opéra d’Anvers en 2012; l’autre, parue chez Opera Rara, s’en tient à la musique composée par Donizetti, et donc aux deux premiers actes de l’opéra.
Stéphane Lelièvre est maître de conférences en littérature comparée, responsable de l’équipe « Littérature et Musique » du Centre de Recherche en Littérature Comparée de la Faculté des Lettres de Sorbonne-Université. Il a publié plusieurs ouvrages et articles dans des revues comparatistes ou musicologiques et collabore fréquemment avec divers opéras pour la rédaction de programmes de salle (Opéra national de Paris, Opéra-Comique, Opéra national du Rhin,...) Il est co-fondateur et rédacteur en chef de Première Loge.