Drame sacré en trois actes de Wolfgang Amadeus Mozart, livret d’Ignaz Anton von Weiser, créé à Salzbourg en 1767.
LES AUTEURS
Le compositeur
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Mozart est non seulement un compositeur majeur de l’histoire de la musique, mais aussi sans aucun doute l’un des génies les plus étonnants de l’histoire de l’art : pour sa précocité (virtuose du clavier et du piano, il entreprend dès 6 ans une tournée européenne ; il compose son premier ouvrage lyrique, Die Schuldigkeit des ersten Gebotes, à l’âge de 11 ans); la diversité extrême de son talent (il composa avec un talent égal dans absolument tous les genres musicaux : musique sacrée, musique de chambre, musique symphonique, opéra, mélodies, …) ;
et surtout, le ton très personnel de ses œuvres, qui se caractérisent tout à la fois par une apparente simplicité, une forme de limpidité ou d’harmonie sereine, mais aussi une profondeur de sentiment souvent exceptionnelle. Dans le genre lyrique, Mozart laisse quelques-uns des plus grands chefs-d’œuvre de l’opéra : Les Noces de Figaro (1786), Cosi fan tutte (1790), Don Giovanni (1788)… Son génie s’illustra aussi bien dans la comédie (La Finta Giardiniera, Les Noces de Figaro) que dans l’opéra pastoral (Ascanio in Alba), l’opera seria (Lucio Silla, Mithridate, Idoménée, La Clémence de Titus) ou le singspiel (Zaide, L’Enlèvement au sérail, La Flûte enchantée).
Le librettiste
Ignatz Anton von Weiser (1701-1785)
Ignatz Anton von Weiser fut à la fois maire de Salzbourg et auteur littéraire. Il eut en son temps une renommée certaine en tant que poète dialectal mais aussi librettiste : ami de la famille Mozart, il rédigea le livret de la première œuvre de commande de Wolfgang Amadeus Mozart, Die Schuldigkeit des ersten Gebots (Le Devoir du premier commandement). Il est également l’auteur de Der Wachend-träumende König Riepl (1749) et Die Geadelte Bauren oder Die ihr selbst unbekannte Alcinde (1750), sur une musique de Johann Ernst Eberlin, des cantates Christus begraben (1741) et Christus verurteilt (1743) mises en musique par Leopold Mozart, ou encore de trois interludes dramatiques en allemand sur les Captifs de Plaute (1745).
L'ŒUVRE
La création
Commandée par le Prince Archevêque de Salzbourg pour les célébrations de Pâques en 1767, l’œuvre comporte trois parties. Mozart ne composa que la première, les deux autres parties (signées Michael Haydn et Anton Cajetan Adlgasser) n’ont à ce jour pas été retrouvées. La création de la première partie eut lieu le au palais de l’Archevêché de Salzbourg. Maria Magdalena Lipp, créatrice du rôle de la Miséricorde, était l’épouse de Michael Haydn, compositeur de la seconde partie. La seconde partie de l’œuvre fut créée le 19 mars, et la troisième le 26 mars.
Le livret
L’« Esprit du christianisme », la « Miséricorde divine » et la « Justice divine » rivalisent d’habileté rhétorique et de persuasion pour que le Chrétien échappe à l’influence pernicieuse de l’« Esprit du monde » et renonce à sa tiédeur et à sa nonchalance qui l’empêchent d’adorer Dieu avec toute la force et l’enthousiasme requis.
Partition - analyse de l'oeuvre
Le premier devoir du chrétien : "Tu renonceras à toute tiédeur !"
Le Devoir du premier commandement est la première œuvre dramatique composée par Mozart. Une œuvre dramatique au statut bien particulier : sous-titrée « singspiel sacré » par le compositeur, elle participe du « drame scolaire » – dont les finalités étaient à la fois pédagogiques et morales et dont les réalisations scéniques étaient particulièrement soignées –, et des oratorios dans lesquels le protagoniste est confronté à plusieurs personnages allégoriques (Il trionfo del Tempo e del Disinganno de Händel en est sans doute l’un des exemples les plus célèbres). Il s’agit d’une œuvre en trois parties dont Mozart ne composa que la première : les deux autres volets (composés par Michael Haydn et Anton Cajetan Adlgasser) n’ont à ce jour pas été retrouvés.
Le livret (signé Ignaz von Weiser) met en scène la Justice, l’Esprit chrétien et la Miséricorde, lesquels vont faire assaut d’éloquence et de persuasion auprès du « Chrétien tiède » pour le convaincre de ne pas écouter les propos de l’Esprit du monde – qui lui conseille de profiter des diverses jouissances offertes par la vie – et de leur préférer l’amour fervent, absolu, inconditionnel de Dieu, en référence à l’Apocalypse de Jean, III 15 & 16 : « Je sais que tu n’es ni froid ni bouillant. Puisses-tu être froid ou bouillant ! Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n’es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche ». Comme il se doit, le Chrétien se rangera, in fine, aux préconisations de l’Esprit chrétien et de ses acolytes, signant par là même la défaite de l’Esprit du monde.
Le registre de la Trésorerie de Salzbourg, à la date du 18 mars 1767, porte la mention suivante : « Le 18 fut remis au petit Mozart une médaille d’or à 18 ducats… 60. – fl. pour la composition de la musique d’un oratorio ». Si, en son temps, l’œuvre apporta donc de toute évidence satisfaction au prince-archevêque Schrattenbach, aujourd’hui, on fait souvent appel pour la commenter à des données et critères extérieurs, ce « singspiel sacré » étant apprécié à l’aune des oratorios qui l’ont précédé, d’hypothétiques influences glanées lors de la tournée européenne effectuée par la famille Mozart de 1763 à 1766, ou d’un éventuel ascendant de Leopold Mozart (dont on reconnaît l’écriture manuscrite dans l’essentiel des récitatifs, sans qu’on puisse en conclure pour autant que Leopold en soit le véritable auteur…). Il convient pourtant d’observer Le Devoir du premier commandement en lui-même et pour lui-même, sans nécessairement regarder en amont, ni d’ailleurs en aval : on risquerait alors de relever les manques, les insuffisances de la partition par rapport aux œuvres à venir. Or plutôt que de décrire la route que le jeune Mozart devra encore parcourir avant d’offrir à la postérité les chefs-d’œuvre lyriques que l’on sait – sommets inégalés en termes de finesse psychologique, de sens dramatique, de raffinement orchestral –, émerveillons-nous plutôt, dans un premier temps, de ce qui est déjà là. Certes, l’œuvre reste tributaire d’un certain académisme ; la virtuosité vocale est quelque peu extérieure ; la musique ne permet pas de donner une couleur précise, une individualisation suffisamment marquée à chaque figure allégorique (sauf peut-être à l’Esprit du monde, certainement la plus réussie des cinq) ; la progression dramatique reste assez terne (pour peu qu’il y en ait une… mais n’est-ce pas le fait du livret, ou plus généralement du genre lui-même ?).
Ceci étant posé, on ne peut qu’être ébloui par le savoir-faire dans l’écriture orchestrale et la maîtrise de l’écriture vocale, proprement stupéfiants pour un garçonnet âgé d’à peine onze ans ! Certains procédés ne sont sans doute pas le fruit du hasard mais ont de toute évidence été pensés à des fins poétiques ou expressives (la transition entre l’air de la Miséricorde « Ein ergrimmter Löwe brüllet » et le récitatif qui lui succède ; l’air « Jener Donnerworte Kraft » auquel le trombone obligé confère un surcroît de hiératisme et de solennité). Et si l’œuvre ne permet pas au musicien de donner libre cours à ses qualités dramatiques, le sens des contrastes, celui des couleurs sont bien là (écoutez comme l’orchestre se fait incisif et menaçant lorsque le Chrétien évoque « la mort, l’enfer, le jugement » dans le récitatif accompagné « Wie, wer erwecket mich ? ») ; l’art de créer une ambiance également : ce même récitatif (que chante le ténor avant l’aria de l’Esprit du monde : « Hat der Schöpfer dieses Leben ») évoque, sur un plan dramatique, le réveil de Tamino après le départ des trois dames au tout début de La Flûte enchantée : même solitude angoissante, même incompréhension de la situation… Mais musicalement, comme pour le récitatif suivant (« Daß Träume Träume sind »), c’est le finale du premier acte de La Flûte (scène 15) qui vient à l’esprit, avec cette gravité dans l’expression qui traduit, dans les deux cas, une inquiétude du personnage, de même qu’une hésitation entre le Bien et le Mal. Évidemment, ce conflit intérieur, humain et philosophique, prendra dans l’avant-dernier opéra de Mozart des dimensions et une profondeur sans commune mesure avec celles de ce tout premier opus dramatique. Il n’importe : le fait que l’une des premières œuvres de Mozart entre en résonance avec ce (presque) dernier chef-d’œuvre suffit à l’imposer à notre attention : comment mesurer pleinement l’extraordinaire évolution du musicien dans le genre lyrique si l’on ne connaît pas les bases sur lesquelles son génie créateur s’est appuyé pour prendre son essor ?
Enfin, quoi qu’il en soit, le « Devoir du premier commandement », tel que formulé par la Justice ou l’Esprit chrétien (à savoir le refus de toute tiédeur), sonne étrangement, à l’orée de la carrière du compositeur, comme un catéchisme esthétique et artistique que Mozart ne tardera pas à faire sien : nulle tiédeur, nulle demi-mesure dans la galerie des personnages auxquels il s’apprête à donner vie dans ses opéras, mais une acuité dans le regard qu’il porte sur leur psyché, une finesse et une profondeur dans l’analyse de leurs passions qui resteront inégalées dans l’histoire du théâtre lyrique.
NOTRE SÉLECTION POUR VOIR ET ÉCOUTER L'ŒUVRE
CD
Bader / Augér, Laki, Geszty, Hollweg, H. Ahnsjö. Berliner Domkapelle. Koch Schwann, 1980.
Marriner / Marshall, Murray, Nielsen, Blochwitz, Baldin. Radio-Sinfonieorchester Stuttgart. Philips, 1988.
Delaforge / Blondeel, Charvet, Sargsyan, Mouaissia. Ensemble Il Caravaggio. Château de Versailles Spectacles, 2024.
1 commentaire
Merci d’avoir rappelé les versions de cette oeuvre peu enregistrée , je dois avouer que je n’ai que Marriner !