Eva Zaïcik, mezzo-soprano
Orchestre National de Lille, dir. Pierre Dumoussaud
Rebelle – Hommage à Célestine Galli-Marié
Extraits de La Surprise de l’amour (Poise), Mignon (Thomas), Carmen (Bizet), Les Noces de Fernande (Deffès), Fantasio (Offenbach), Fior d’Aliza (Massé), Piccolino (Guiraud), Le Passant (Paladilhe), Don César de Bazan (Massenet), Les Porcherons (Grisar), Robinson Crusoé (Offenbach), José-Maria (Cohen)
1 CD Alpha, 2025
Un programme de raretés permettant de séduisantes découvertes, une interprétation de grande qualité : ne manquez pas cet hommage à Célestine Galli-Marié, créatrice du rôle-titre de Carmen !
Les 150 ans de la création de Carmen auront permis de remettre en lumière Célestine Galli-Marié, dont le grand public connaît essentiellement le fait qu’elle créa le rôle-titre du plus célèbre des opéras-comiques français, mais aussi le tableau peint par Henri Lucien Doucet en 1884, exposé à l’extrémité du fumoir du Palais Garnier. Outre Carmen, Célestine Galli-Marié créa quinze autres rôles en quinze ans, issus d’œuvres aujourd’hui le plus souvent bien oubliées… mais pas que : elle fut également la créatrice de Mignon, ou encore d’opéras-comiques récemment redécouverts (Fantasio) ou en passe de l’être (Robinson Crusoé).
Si les qualités vocales de la chanteuse sont presque toujours louées par la critique, les documents iconographiques qui nous sont parvenus (outre le tableau de Doucet, nous disposons d’une photographie de l’atelier Nadar) nous révèlent également, de Célestine Galli-Marié, un visage à la physionomie expressive, d’où se détache un regard à la fois profond et espiègle.
Et la chanteuse était aussi probablement une actrice habile : Paul Bernard, dans son compte rendu de la création de Carmen (Revue et Gazette musicale du 7 mars 1875) écrit qu’elle interpréta le rôle « en comédienne ». Sont-ce ces qualités et ces particularités qui décidèrent des rôles qui lui furent confiés ? Toujours est-il qu’elle interpréta nombre de personnages travestis et/ou plus ou moins « exotiques », ayant souvent des origines espagnoles, italiennes, gitanes, voire… latino-américaines (Vendredi). Les extraits enregistrés dans cet album en témoignent, dont les « habaneras », « sevillanas », « chansons bohémiennes » et autres « séguedilles » font entendre moult vocalises, ornements ou rythmes hispanisants.
On fait au fil du programme de bien agréables (re)découvertes : l’espiègle « Nuit d’amour et de folie » des Noces de Fernande de Deffès ; le ravissant « Mignonne bien-aimée » extrait du Passant de Paladilhe, à l’accompagnement orchestral aussi « subtil » que « le parfum montant de l’herbe clairsemée » évoqué par Zanetto ; l’émouvante berceuse de Vendredi (Robinson Crusoé), qu’il nous est enfin donné d’entendre dans sa version française ; l’entraînante valse (« J’ai vingt ans ») extraite de José-Maria (Cohen). Toutes les pages entendues ne suscitent peut-être pas toujours le même intérêt, mais peu importe après tout : ce qui compte, c’est le fait de faire revivre tout un pan oublié de notre répertoire national, de rappeler quels étaient les goûts des mélomanes de cette seconde moitié du XIXe siècle, de montrer comment certains ouvrages mineurs s’inscrivent dans le paysage musical de l’époque et font écho à d’autres œuvres demeurées plus célèbres, parfois en les annonçant ou en en proposant un prolongement. C’est de fait la logique suivie depuis toujours par le Palazzetto Bru Zane, qui permet de faire du répertoire français non plus une short list de quelques titres saillants mais un vaste domaine aux ramifications nombreuses qui participent toutes, d’une façon ou d’une autre, à son édification.
Les artistes ici réunis excellent à faire revivre ces œuvres. Transparence et poésie (introductions du récit-cantabile de Mignon ou de la « Ballade à la lune » de Fantasio ; prélude du Passant de Paladilhe) ; fraîcheur, légèreté et dynamisme (Les Noces de Fernande), mélancolie (Piccolino de Guiraud), incisivité (premières mesures de l’entracte de l’acte V de Fior d’Aliza de Massé) ; dramatisme (introduction de l’air de Mme de Briane des Porcherons de Grisar : l’orchestre National de Lille fait montre des qualités requises par ce répertoire, sous la baguette raffinée et précise d’un spécialiste en la matière : Pierre Dumoussaud.
C’est à Eva Zaïcik qu’est confié le soin de faire revivre la voix de Célestine Galli-Marié. La mezzo s’est acquise une excellente réputation dans les répertoires baroque et classique, qu’elle fréquente assidûment depuis ses débuts. Pourtant, la densité du timbre et la franchise de la projection vocale lui permettent également d’aborder avec succès des répertoires plus tardifs (la chanteuse a aussi à son actif des œuvres de Tchaïkovski, Offenbach, Strauss, Offenbach, Massenet…). Cet album confirme la belle polyvalence de cette artiste attachante, possédant une diction claire et une technique irréprochable. Mais plus encore, ce que nous apprécions dans l’interprétation d’ Eva Zaïcik, c’est la justesse du ton et le bon goût : dans des pages où il serait facile d’en faire un peu trop, la chanteuse trouve le juste équilibre entre une exubérance excessive qui pourrait vite confiner à la facilité, et une interprétation trop policée qui retirerait à ces pages leur verve et leur fraîcheur. Une très belle réussite !