Le choix du premier titre de cet enregistrement résonne comme un manifeste et un miroir : il introduit à un plaisir merveilleux. Celui de cet air tiré d’Agrippina ; celui de la voix chaude d’Héloïse Mas elle-même. Impressionnante dans ce « Bel piacere » qui, d’emblée, met son timbre très en valeur. Et fait heureusement oublier les deux photos du livret, qui sont un choix symbolique : on y voit la cantatrice braquer sur nous la gueule d’un pistolet, nous assignant à rendre les armes. La double page qui la propose renversée, offerte, en tenue affriolante d’une fille de maison du XIXe siècle invite à l’érotisme. Comme la voix, renversante ?
Pas de fureur hystérique dans son air « Un pensiero nemico di pace » qui fait les beaux jours de Cecilia Bartoli. Pas de violence surjouée par les musiciens du London Handel Orchestra. Pas d’esbroufe dans les vocalises qui sont un feu d’artifice magistral. Tout juste trouve-t-on quelques harmoniques aigües légèrement tendues. Mais il n’est pas certain que le choix de la cantate Lucrèce soit le meilleur, tant les vocalises et les aigus soulignent les actuelles limites de cette belle voix.
L’interprétation de l’air d’Alcina « Ah! Mio cor ! » n’a rien de dramatique. C’est du beau, très beau chant. Tout comme l’air d’Amadis « Pena tiranna » ou encore le célèbrissime « Scherza infida » d’Ariodante. Là où Lorraine Hunt nous bouleversait, là où Anne-Sofie von Otter inventait un temps suspendu à la demande de Marc Minkowski, Héloïse Mas a tendance à figer cette sublime musique. D’où vient ce léger sentiment de frustration, ce constat de rester extérieure, alors que la chaleur du timbre invite à nous entrainer vers des rivages intimes ?
Les musiciens n’y sont pour rien, tous d’une justesse et d’une simplicité de ton sous la direction attentive de Laurence Cummings, le nouveau directeur de l’Academy of Ancient Music. Sans aucune ostentation, sans aucun des tics que l’on entend trop souvent – au risque parfois de sonner un peu lisse, neutre, voire en retrait (un choix de prise de son ?)
Alors ? La pochette de ce premier disque gravé par Héloïse Mas nous présente la mécanique du cœur. Il eût mieux valu y faire figurer un miroir. Car cette voix splendide a tout à gagner à investir davantage le medium, à homogénéiser toute la tessiture et surtout à incarner ses rôles de l’intérieur – en un mot, à moins s’écouter. Cela nous vaudrait un véritable « bel piacere ». Comme ce plaisir inattendu que nous offre une piste fantôme dédiée à Sapho et, cette fois, plutôt magique.
Héloïse Mas, mezzo-soprano
London Haendel Orchestra – Laurence Cummings, clavecin et direction
Les Cœurs anachroniques
Airs de Haendel (Agrippina, Lucrèce, Alcina, Ariodante…)
1 CD Muso (14 mai 2021)