
Le Teatro Valli de Reggio Emilia a proposé une transposition moderne de la rivalité entre Capulet et Montaigu, dans un spectacle très réussi musicalement qui a enthousiasmé le public.
Après la première vénitienne de la tragédie lyrique I Capuleti e i Montecchi,Vincenzo Bellini écrivait à son oncle Vincenzo Ferlito : « Un gran furore ». On peut en dire autant de la représentation donnée au théâtre Valli de Reggio Emilia, deuxième opéra de la saison 2024-2025. L’histoire d’amour intemporelle de Roméo et Juliette, opposée à la guerre de longue date entre leurs familles, a enthousiasmé un public large et hétérogène, où de nombreux jeunes côtoyaient de mélomanes aguerris.
En 1830, Bellini n’a disposé que d’un mois et demi pour réaliser l’opéra et s’est installé chez le librettiste Felice Romani. Le résultat est une extraordinaire fusion de musique et de poésie, entrelacée dans un développement dramatique encore très efficace aujourd’hui [voyez ici le dossier que Première Loge Opéra a consacré à l’œuvre]. La tragédie que Shakespeare avait composée entre 1594 et 1596, en adaptant la nouvelle de l’homme de lettres Vicence Luigi da Porto, avait déjà été mise en musique à plusieurs reprises et a servi de point de départ à Romani et Bellini pour créer un mélodrame original. Le livret mentionne Ezzelino, les Guelfes et les Gibelins : des noms qui, à l’époque, faisaient allusion à des batailles politiques contemporaines (Ezzelino da Romano était la personnification ultime du tyran dans de nombreux livrets du début du XIXe siècle). Aujourd’hui, ces aspects sont souvent négligés et, pour remettre l’opéra au goût du jour, le metteur en scène Andrea De Rosa a eu recours à la sphère du football et du sport, en représentant les familles Capulets et Montaigus comme deux clans de supporters opposés, portant des écharpes à leurs noms respectifs écrits en grosses lettres ; les costumes créés par Ilaria Ariemme sont simples et informels, avec une modernité qui n’est pas tout à fait circonscrite chronologiquement ; les décors conçus par Daniele Spanò sont sobres et monochromes : un quadrilatère central qui constitue d’abord le lit de Juliette, puis devient son autel sacrificiel et enfin son tombeau. Des câbles d’acier s’élèvent tout autour, créant d’abord une barrière avec le monde extérieur belliqueux, puis soutenant de dalles de marbre gris-blanc qui rappellent les murs d’un cimetière. Les éclairages légers et discrets de Pasquale Mari rendent la mise en scène encore plus efficace.
Comme dans Giulietta e Romeo de Nicola Antonio Zingarelli (1796) et Giulietta e Romeo de Nicola Vaccai (1825), le rôle de Roméo dans l’opéra de Bellini est conçu pour une mezzo-soprano en travesti. Le metteur en scène De Rosa a exploité cet artifice pour accentuer le caractère androgyne du personnage, en ne le maquillant pas en homme et en lui faisant porter des vêtements de sport essentiellement unisexes. De cette manière, l’idée de fluidité du genre est suggérée, sans jamais exagérer dans des anachronismes choquants, la féminité réelle de l’interprète n’apparaissant clairement qu’à quelques occasions, lorsque, ayant impétueusement enlevé sa veste de survêtement, un léger débardeur est apparu. Sur le plan vocal, Annalisa Stroppa a été une excellente interprète, décrivant avec finesse les ardeurs et les tourments de l’adolescente amoureuse. La cavatine et la cabalette du premier acte « Se Romeo t’uccise un figlio […] La tremenda ultrice spada » sont rendues avec la délicatesse de celui qui, se présentant comme un messager de paix, voudrait persuader les adversaires belliqueux de mettre fin à leurs querelles. Ensuite, le duo d’amour du premier acte et l’aria « Deh ! Tu, bell’anima, che al ciel ascendi » ont enthousiasmé le public par leur intensité expressive, la diction claire et le souffle agilement contrôlé des interprètes.
La soprano Benedetta Torre a été tout aussi convaincante dans le rôle de Juliette, non seulement parce qu’elle a le physique parfait du rôle, charmante et éthérée trentenaire, mais surtout parce qu’en tant qu’élève de l’illustre Barbara Frittoli et forte de l’expérience acquise au cours d’une décennie de carrière internationale, elle a fait preuve d’une capacité de chant et d’une maîtrise de la scène enchanteresses. Au premier acte, elle a chanté le récitatif et la romance « Eccomi in lieta vesta […] Oh ! Quante volte, oh quante » avec une ligne de chant soignée, agrémentée d’habiles sons filés, trilles et aigus. Au deuxième acte, sa voix forte et souple, associée à un phrasé précis et bien sculpté, a permis à son incarnation de glisser d’une jeune fille passionnée à une héroïne tragique.
À leurs côtés, le ténor Matteo Falcier est apparu comme un Tebaldo très à l’aise, capable de sonner dans les aigus et d’avoir un phrasé énergique. Le baryton Matteo Guerzè fut un Lorenzo équilibré, à la vocalité douce et profonde ; la basse chinoise Baopeng Wang incarnait un Capellio tyrannique, le père-maître de Giulietta, de sa stature autoritaire et de sa voix sombre et tonitruante.
Fin connaisseur du répertoire de Bellini, Sebastiano Rolli a dirigé l’Orchestra I Pomeriggi Musicali avec assurance, sans jamais dominer les chanteurs et en faisant alterner des sonorités martiales (par exemple dans l’ouverture et le finale I) avec des sons doux et délicats d’un intense lyrisme. Les instrumentistes solistes ont été excellents : la clarinette, la flûte, la harpe, le cor et le violoncelle ont délivré des mélodies complétant les voix humaines dans une poignante poésie. Le chœur d’OperaLombardia, habilement dirigé par Diego Maccagnola, est apparu compact et précis, voire majestueux dans le concertato final du premier acte : « Al furor che si ridesta, / alla strage che s’appresta, / come scossa da tremuoto / tutta Italia tremerà… ».
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Le spectacle est une coproduction entre le circuit OperaLombardia et la Fondazione I Teatri di Reggio Emilia et sera bientôt présenté à Crémone (31 janvier et 2 février) et à Pavie (7 et 9 février).
Giulietta : Benedetta Torre
Romeo : Annalisa Stroppa
Tebaldo : Matteo Falcier
Lorenzo : Matteo Guerzè
Capellio : Baopeng Wang
Orchestra I Pomeriggi Musicali
Dir. : Sebastiano Rolli
Chœur : Operalombardia
Chef de chœur : Diego Maccagnola
Mise en scène : Andrea De Rosa
Décors et Chorégraphie : Daniele Spanò
Costumes : Ilaria Ariemme
Lumières : Pasquale Mari
I Capuleti e i Montecchi
Tragedia lirica in due atti de Vincenzo Bellini, livret de Felice Romani, d’après Giulietta e Romeo di Luigi Scevola, créé au Teatro La Fenice, Venezia, 11 mars 1830.
Reggio Emilia, Teatro Valli, dimanche 26 janvier 2025.