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Fanny et Alexandre à La Monnaie : le pari d’un Bergman sans théâtre

par Pierre Brévignon 3 décembre 2024
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© Baus

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L’adaption lyrique du chef-d’œuvre testamentaire d’Ingmar Bergman était un pari audacieux… à demi tenu

Il se passe, au début de l’Acte I de Fanny and Alexander, opéra du compositeur suédois Mikael Karlsson qui connaissait ce 1er décembre sa création mondiale à La Monnaie, un phénomène étrange. Nous sommes dans la chambre du jeune Alexandre et de sa sœur Fanny, après une longue soirée de festivités de Noël chez les Ekhdal, famille bourgeoise d’une petite ville de Suède qui règne depuis plusieurs générations sur les destinées du théâtre local – dirigé par Oskar dont la mère Helena, vénérable veuve, fut une comédienne réputée. Après l’effervescence des retrouvailles familiales, les agapes, les fous rires et une mémorable démonstration de pétomanie par un oncle farceur, les deux enfants de retour dans leur cocon installent la lanterne magique dont les vignettes bercent leurs nuits. Fanny insère les plaques, Alexandre allume l’appareil… et, malgré l’immensité de l’écran vidéo en fond de plateau, malgré les mille et une possibilités d’afficher quelque part sur scène les images projetées – comme le spécifie le livret de Royce Vavrek et comme le montre Bergman dans son film -… rien ne se passe. Alexandre décrit à sa sœur les scènes censées défiler sous leurs yeux, mais rien n’est montré au public. Bergman avait intitulé Laterna Magica le premier tome de sa magnifique autobiographie, le Magica semble ici curieusement oublié[1].

Quelque trois heures plus tard, nous sommes ressortis de la salle bruxelloise avec l’impression d’avoir, pareillement, assisté à un spectacle escamoté. Le livret, signé d’un habitué du genre cinématographico-lyrique (Vavrek a signé deux adaptations de films de Lars von Trier : Breaking the Waves de Missy Mazzoli et Melancholia du même Mikael Karlsson), donne déjà une indication des choix opérés dans le découpage du film. La place accordée au théâtre y est réduite – seul son simulacre sous la forme d’une maquette dans le salon des Ekhdal l’évoque au début et à la fin de l’œuvre – et la trame des intrigues familiales réduite à sa plus simple expression – une allusion aux tracas financiers de l’un, aux infidélités de l’autre, à un désir d’enfant inassouvi… et guère plus. Chez Bergman, la passion du théâtre et la comédie douce-amère de la saga Ekhdal conditionnent de façon crucialre le caractère des deux enfants, rendant plus insoutenable par contraste la partie dramatique de l’intrigue. Or, c’est justement sur le drame que Karlsson, Vavrek et le metteur en scène Ivo van Hove ont choisi de mettre l’accent, au prétexte que « regarder des gens prendre du bon temps n’est pas intéressant du point de vue dramatique » (notes de programme). Rappelons brièvement la suite de l’histoire : un an après la mort de son mari Oskar lors d’une répétition de Hamlet, Emilie Ekhdal accepte la demande en mariage de l’évêque Vergerus et s’installe chez lui avec Fanny et Alexandre. Ces derniers, en particulier le garçon, vont subir brimades et violences de la main de leur rigoriste beau-père. Lorsqu’Emilie comprend son erreur, il est trop tard : elle est enceinte de Vergerus et tout divorce est impossible, car ses enfants seraient alors confiés à l’évêque. Seul un stratagème ourdi par Isak Jacobi, ami de la famille Ekhdal, leur permettra de lui échapper, avant qu’Emilie parvienne à son tour à s’enfuir et que Vergerus périsse dans l’incendie de son presbytère. Un incendie peut-être provoqué – incité – par les pouvoirs surnaturels d’Ismael, le neveu de Jakobi avec lequel Alexandre se sent en étrange symbiose… Le finale voit la famille au complet à nouveau réunie autour d’un banquet pour le baptême du bébé d’Emilie, laquelle annonce qu’elle va diriger le théâtre municipal et propose à sa belle-mère de remonter sur scène.

Cette conclusion est, elle aussi, rapidement évacuée par Van Hove, en un tableau qui duplique celui du prologue et produit un étrange effet de sur-place – tout juste parasité par la vision fugace de Vergerus dévoré par les flammes. Entre ces deux scènes se déploient les deux grands volets dramatique de l’histoire : la vie d’Alexandre et Fanny sous le joug de l’évêque et le regard impuissant de leur mère puis, une fois l’évasion réussie, leur découverte de l’univers onirique où vit Isak Jacobi : une maison remplie d’antiquités, de marionnettes et de mystère…

À chacun de ces univers correspond une palette visuelle et musicale distincte. Après la lumière et la chaleur du foyer Ekhdal, le décor froid et dépouillé du presbytère, tout en arêtes grises, entre en résonance avec la musique soudain plus dissonante, amplifiée par un dispositif électronique « surround » (déjà utilisé comme produit d’appel dans Melancholia, mais pas extraordinairement surprenant du point de vue de l’auditeur). À l’inverse, la boutique fantasque de Jacobi, présentée à travers une projection vidéo comme un infini labyrinthe de curiosités, trouve sa traduction musicale dans une série de boucles répétitives, hypnotiques, qui culminent dans la rencontre d’Alexander avec Ismael.

On doit reconnaître à Mikael Karlsson un talent certain pour envelopper le récit de Bergman en procédant par nappes successives d’ambiances sonores. Sa partition ne cache pas sa parenté avec Michael Nyman et Philip Glass – deux habitués de la musique de film -, mais l’on pense aussi à Britten pour l’écriture vocale, avec cette manière de fondre intimement le parlé et le chanté tout en distillant les arias de façon presque subliminale. Et, parfois, on se surprend à savourer les sonorités quasi pucciniennes de l’orchestre, comme dans le séduisant prélude de l’acte II.
Mais si la direction vibrante d’Ariane Matiakh donne à l’orchestre de la Monnaie toutes les occasions de rutiler, de murmurer ou de feuler, ce sont surtout les prestations vocales qui font la réussite de cette soirée. Le baryton-basse américain Justin Hopkins et le ténor irlandais Gavan Ring exploitent au mieux leur fugace présence scénique pour donner vie à deux des fils Ekdhal, le troisième trouvant dans le ténor américain Peter Tantsits un interprète aussi impressionnant vocalement que scéniquement, notamment dans le beau monologue qui accompagne la scène de sa mort. La soprano anglaise Susan Bullock irradie de bonté et d’humour dans le rôle d’Helena Ekhdal et son vieil ami Isak trouve dans le chanteur suédois Loa Falkman une incarnation tour à tour malicieuse et mystérieuse. Massif et hiératique, presque trop séduisant pour le rôle, Thomas Hampson campe un Vergerus terrifiant, secondé efficacement par Anne Sofie von Otter, sa servante tout aussi sadique, que l’on a plaisir à retrouver cette année sur une scène d’opéra. À l’opposé du spectre vocal de la mezzo suédoise et du baryton américain, Aryeh Nussbaum Cohen offre au personnage androgyne d’Ismael son timbre envoûtant de contre-ténor, pour une des scènes les plus fortes et les plus troublantes de cet opéra lorsque, fusionnant avec Alexander, il prophétise la mort de l’évêque. Par cette épreuve surnaturelle – on pense aux rites initiatiques de La Flûte enchantée –, l’Alexander de Jay Weiner se dépouille des oripeaux de l’enfance et débute sa mue en jeune homme. On regrette que la faible présence vocale de Fanny – mais c’était déjà le cas dans le film de Bergman – n’ait pas permis d’entendre davantage la jeune Sarah Dewez. On se consolera avec la magnifique Emilie de Sarah Cooke, bouleversante de fragilité et de volonté, digne pendant lyrique d’Ewa Fröling, son homologue filmique. À elle seule, elle mérite que le mélomane aille jeter un coup d’œil et d’oreille à cette production en forme de pari – même s’il n’est qu’à moitié réussi.

————————————————————

[1] Une photo de la générale sur le site de la Monnaie contredit ce premier paragraphe. En ce soir de « première », la « laterna magica » a semble-t-il eu des ratés…

Les artistes

Fanny : Sarah Dewez
Alexandre : Jay Weiner
Helena Ekdahl : Susan Bullock
Oscar Ekdahl : Peter Tantsits
Emilie Ekdahl : Sasha Cooke
Évêque Edvard Vergerus : Thomas Hampson
Justina : Anne Sofie Von Otter
Isak Jacobi : Loa Falkman
Ismael : Aryeh Nussbaum Cohen
Aron : Alexander Sprague
Carl Ekdahl : Justin Hopkins
Lydia : Polly Leech
Gustav Adolf Ekdahl : Gavan Ring
Alma Ekdahl : Margaux De Valensart
Paulina : Marion Bauwens
Esmeralda : Blandine Coulon

Orchestre symphonique de La Monnaie, dir. Ariane Matiakh

Mise en scène : Ivo Van Hove
Décors & éclairages : Jan Versweyveld
Costumes : An d’Huys
Vidéo : Christopher Ash
Préparation dramaturgique : Peter Van Kraaij

Le programme

Fanny et Alexandre (2023)

Grand opéra en deux actes de Mikael Karlsson (1975) sur un livret de Royce Vavrek d’après le film Fanny och Alexander (1982) d’Ingmar Bergman. Orchestration : Michael P. Atkinson et Mikael Karlsson

Monnaie de Bruxelles, représentation du 1er décembre 2024. Création mondiale. Commande de La Monnaie

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Ivo van HoveThomas HampsonAnne Sofie von OtterSarah DewezJay WeinerAriane Matiakh
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Pierre Brévignon

Pierre Brévignon jongle avec les mots et les notes, tour à tour dans les programmes de l'Opéra de Paris, de la Cité de la Musique, du Théâtre du Châtelet, dans les livrets de CD, dans les salles de conférence de la Philharmonie, au sein de l'Association Capricorn (www.samuelbarber.fr) ou dans les livres qu'il consacre à sa passion : la première biographie française de Samuel Barber ("Samuel Barber, un nostalgique entre deux mondes", éditions Hermann, 2012), le "Dictionnaire superflu de la musique classique" (avec Olivier Philipponnat, Castor Astral, 2015) et "Le Groupe des Six, une histoire des années folles" (Actes Sud, 2020).

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