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Like Flesh de Sivan Eldar : mêler genres et espèces dans la forêt

par Sabine Teulon Lardic 12 février 2022
par Sabine Teulon Lardic 12 février 2022

Crédit photo : Simon Gosselin

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La création mondiale de Like Flesh (Comme chair), opéra de Sivan Eldar sur un livret anglais de Cordelia Lynn, est autant attendue à l’Opéra-Comédie de Montpellier qu’elle l’était à l’Opéra de Lille en janvier. Inspirée des Métamorphoses d’Ovide, l’œuvre poétique plaide pour une conscience environnementale au sein de la forêt. Genres, espèces et sons s’y métamorphosent… amoureusement. Une révélation lyrique ! Représentations jusqu’au 13 février à l’Opéra de Montpellier.

Une jeune compositrice en résidence à l’Opéra de Montpellier

En résidence à l’Opéra de Montpellier depuis 2019, la compositrice israélienne Sivan Eldar (1985- ) bénéficie d’une formation internationale – doctorat en composition de l’Université de Berkeley, cursus d’informatique musicale à l’IRCAM en sus de résidences européennes –  ce qui la conduit à combiner et maîtriser toutes les ressources sonores. Elle explore conjointement les sons instrumentaux et électroniques pour des concerts live, des spectacles de danse ou de théâtre, des installations. Grâce à une fructueuse rencontre avec l’autrice britannique Cordelia Lynn (1989-), au sein de l’Atelier opéra du Festival d’Aix-en-Provence, les deux artistes élaborent trois œuvres, jalons d’une trajectoire vers le théâtre lyrique. Leur point commun est de faire fusionner voix et électronique :  You’ll drown, dear  (2017), Heave (2018), After Arethusa  (2021) créé à l’Opéra de Montpellier. Cette dernière œuvre contient des éléments de la dramaturgie de l’opéra Like Flesch. Pour aborder l’univers de la mythologie grecque, les auteures y convient le chœur (dans la filiation antique), tandis que le rôle soliste de la nymphe est confiée soit à une contralto (futur emploi de la Femme-arbre de Like Flesh), soit à un contre-ténor.

Interview de Sivan Eldar par Benjamin François en 2021

Co-commande de quatre maisons d’Opéra (Montpellier, Lille, Nancy, Opera Vlaanderen d’Anvers) et de l’IRCAM, l’opéra Like Flesh a reçu le Prix Fedora 2021 avant sa création scénique à l’Opéra de Lille en janvier 2022. Par ailleurs, Cordelia Lynn a déjà signé le livret de Miranda, d’après The Tempest de Shakespeare, en collaboration de Katie Mitchell (Opéra-Comique, 2017).

Like Flesh : une dramaturgie innovante de palimpseste

La récriture des Métamorphoses d’Ovide s’incarne dans le drame poétique Like flesh dont les quatre personnages s’inscrivent dans une conscience environnementale, certes politique mais sans militantisme et sans époque définie. Car le registre de cet opéra demeure de bout en bout d’une poésie symboliste envoutante, au fil de 15 scènes enchaînant quatre personnages sans nom. La Femme échappe à son mariage malheureux en se transformant en arbre, comme naguère Daphné en laurier pour échapper au prédateur Apollon. La Femme/arbre est conjointement convoitée par l’Homme / forestier (son époux) et par l’étudiante de la maison forestière. À l’instar des arbres blessés dans L’Enfant et les sortilèges, le personnage de la Forêt est polyphonique : 6 voix solistes enserrent l’œuvre formellement (1ere et ultime scène) et spatialement, des coulisses jusqu’au plateau. Lorsque la première vague de l’opéra (scènes 1 à 7) conduit à la métamorphose de la Femme-Arbre en opposant le comportement « capitaliste » du forestier à la conception d’une nature à préserver (scène 3), la seconde vague devient plus épique et métaphorique. L’épique conduit vers la destruction de la forêt par son exploration intensive (scène 11 « Ce qu’a vu la forêt »), tandis que la métaphore Ovidienne devient organique dans l’union de la Chair célébrée, celle de la Femme-Arbre et de l’Etudiante, amante parasite de son tronc (scène 13 « Entrelacement »). La sensualité forestière n’est pas celle de Lady Chatterley’Lover, mais plutôt celle de la sensibilité queer privilégiant l’orientation sexuelle libre.

Donner à voir et entendre la métamorphose de la Femme en Arbre ? Lorsque Le Bernin le traduisait dans une statuaire virtuose (Apollo e Dafne), la metteure en scène Silvia Costa et son équipe italienne des arts de la scène construisent un espace scénique d’une esthétique raffinée, dans lequel évoluent des êtres vêtus en habit quotidien et actuel. Le plateau souvent obscur est bien le lieu de la catastrophe climatique (livret influencé par les études scientifiques et anthropologiques actuelles), cependant éclairé par 3 fenêtres en forme de cadre rococo. Celles-ci enchâssent un écran LED qui diffuse des formes mouvantes de la forêt (1re vague des scènes), puis des déformations de souche ou de champignon de plus en plus anxiogènes (scènes 8 à 15), grâce aux procédés d’Intelligence artificielle maniés par le vidéaste Francesco d’Abbraccio. Les lumières (Andrea Sanson) évoquent les milieux reliés aux protagonistes – l’eau régénératrice pour la Femme, la terre et la matière bois pour l’Homme-exploitant forestier, le Feu pour l’étudiante amoureuse.

La dramaturgie musicale s’organise autour du concept de métamorphose avec une audace hors du commun que nous saluons pour le premier opus lyrique de Sivan Eldar. « La terre est un palimpseste » s’exclame le chœur de la Forêt (scène 12). L’imaginaire de la compositrice se raccorde également au palimpseste de tous ses devanciers (opéras de J. Peri, F. Cavalli, C.W. Gluck, R. Strauss) sur la thématique de métamorphose. Elle mobilise trois strates, comme autant de ramifications du monde végétal, mais sans tentative d’illustrer les 15 tableaux. La strate électroacoustique, conçue dans les studios de l’IRACM, est performée par le réalisateur d’informatique musicale Augustin Muller selon une spatialisation immersive : plus de 60 capteurs rampant et ramifiés (sous les sièges du parterre de l’Opéra-Comédie) englobent le spectateur dans une expérience sensorielle envoutante. La seconde strate enchevêtre ses textures acoustiques (une douzaine d’instruments en fosse, en sus du synthétiseur) à celle électro, tandis que la composante vocale des 3 solistes et du chœur est finement sonorisée pour mieux fusionner. La coordination du chef d’orchestre Maxime Pascal (directeur et chef du Balcon) est d’une efficacité sidérante, ménageant les équilibres du continuum sonore et la déflagration de deux climax paroxystiques (scènes 7, 11), approchant les Couleurs de la nuit de F. Bayle.  Outre les sons de synthèse, on perçoit des alliances de timbre (notamment les piccolos suggérant le feu, le scintillement de glockenspiel, le boisé du souffle flûtistique), aussi inventives que celles déployées par B. Britten dans l’inquiétant Tour d’écrou.

Interagissant avec ces fluides sonores, la voix de contralto symbolise la maturité de la Femme sexagénaire : Helena Rasker l’incarne avec une présence toute naturelle en quelque situation (notamment enserrée dans les bois flottés) et une lisibilité du récit qui peut confiner aux chuchotements et à la valorisation d’une plainte ostinato (scène « Entrelacement »). Cet art s’inspire sans doute de ses récentes interprétations baroques (avec le RIAS Kammerchor de Berlin). La soprano belgo-anglaise Juliette Allen confère au rôle de l’Etudiante une belle détermination et une sûreté vocale sans faille, notamment dans la tessiture aiguë très sollicitée. L’engagement du baryton britannique William Dazeley est tel qu’il parvient à humaniser le fruste forestier voulant dompter sa femme-arbre qu’il aime profondément (scène 10 « Regret »). Là réside la complexité des émotions que le discours musical sait approfondir pour éviter l’archétype de l’Homme méchant, à l’instar de Debussy traduisant celle de Golaud dans Pelléas et Mélisande. Les 6 voix solistes de la Forêt (voir la distribution ci-dessus) forment un partenaire de premier plan, tant par la dramaturgie que par la richesse polyphonique dont l’intonation (difficile) est parfaitement maîtrisée. Leurs postures en tableau vivant participe en outre de l’art des métamorphoses. Nous posons une seule interrogation : est-il besoin de sonoriser toutes les voix dans l’écrin acoustique que forme l’Opéra-Comédie de Montpellier ?

Like flesh interpelle spectateurs/spectatrices à plus d’un titre. La révélation d’une dramaturgie innovante rencontre l’urgence environnementale à l’heure des défis climatiques. Sa création en région – Opéras de Lille, Montpellier, Nancy-Lorraine prochainement (28 septembre 2022) – est un signal fort de la vitalité créatrice portée par la décentralisation culturelle.

Les artistes

La Femme / L’Arbre : Helena Rasker
L’Homme, forestier : William Dazeley
L’étudiante : Juliette Allen
Chœur de la Forêt : Adèle Carlier, Hélène Fauchère, Guilhem Terrail, Sean Clayton, René Ramos Premier, Florent Baffi

Orchestre national Montpellier Occitanie, dir. Maxime Pascal
Mise en scène et décors : Silvia Costa
Costumes : Laura Dondoli
Vidéo : Francesco d’Abbraccio
Lumières : Andrea Sanson
Réalisation informatique musicale (IRCAM), Augustin Muller

Le programme

Like Flesh

Opéra de chambre en un acte de Sivan Eldar, sur un livret anglais de Cordelia Lynn, créé à l’Opéra de Lille en janvier 2022

Opéra-Comédie de Montpellier, représentation du jeudi 10 février 2022

 

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Maxime PascalSilvia CostaHelena RaskerWilliam DazeleyJuliette Allen
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Sabine Teulon Lardic

Sabine Teulon Lardic est chercheure à l'université de Montpellier 3. Spécialiste de l'opéra-comique du XIXe siècle et des spectacles lyriques dans les Théâtres de plein air (XIXe-XXIe siècles), elle a collaboré aux volumes collectifs de Carmen Abroad (Cambridge Press), The Oxford Handbook of the Operatic Canon (Oxford Press), Histoire de l'opéra français, t.3 (Fayard, 2022). Elle signe également des articles pour les programmes de salle (Opéra-Comique, Opéra de Montpellier) ou la collection CD du Palazzetto Bru Zane.

1 commentaire

Cordier Claudine 13 février 2022 - 17 h 22 min

Merci Sabine pour cette critique et ce commentaire très détaillés de Like Flesh . J’avis envie de voir cet opéra sans trop me documenter avant ,d’une part parce que j’étais curieuse de découvrir une œuvre moderne à l’Opéra Comédie et d’autre part parce que le thème étroitement lié à l’environnement et à l’échappatoire de la forêt pour cette femme prisonnière de son quotidien m’interpellait. Je suis sortie du spectacle après 1h1/2 de plaisir : les projections, la quasi obscurité dans laquelle étaient plongés la scène et donc les personnages ,la musique en écho à une dégradation inexorable de la forêt et à terme de l’individu, les voix … tout a contribué à faire de cet opéra un véritable succès et les longs applaudissements du public ont grandement corroboré cet enthousiasme! Quelques avis mitigés entendus à la fin du spectacle mais là encore , le but est atteint: faire réfléchir le spectateur et lui permettre de revoir sa position sur les problèmes de société et de l’environnement.
Lire la critique et les informations ci-dessus après le spectacle m’ont permis de revivre certaines scènes et de mieux comprendre les différentes composantes musicales , des instruments aux voix , en étroite adéquation avec la mise en scène et les visuels sur écran.
Bravo !

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