Gala Verdiano, Parme, Teatro Regio, vendredi 10 octobre 2025.

Le Festival Verdi a offert cette année un Gala Verdiano placé sous le signe de la jeunesse : si quatre des artistes invités sont déjà aguerris et se produisent régulièrement sur les scènes lyriques, d’autres sont membres de l’Accademia Verdiana abritée par le Teatro Regio.
Le programme, en deux volets, réunissait les troisièmes et derniers actes de Luisa Miller et de Rigoletto, deux œuvres proches chronologiquement (Luisa Miller fut créée en 1849, Rigoletto en 1851) mais aux esthétiques assez différenciées, Verdi s’essayant comme on sait à certaines formes musicales assez novatrices dans l’opéra tiré de Schiller. Le Filarmonica Arturo Toscanini, sous la direction de Paolo Carignani, fut le moteur de la soirée, alliant discipline et respiration dramatique. À noter également la participation, ponctuelle mais précise, du chœur du Teatro Regio.
Le chef italien a su rendre avec beaucoup de noirceur l’atmosphère mortifère du dernier acte de Luisa Miller, notamment lorsque Rodolfo fait boire le poison à Luisa, ou encore lorsque la vie quitte peu à peu l’héroïne, mourant dans les bras de son père. Même maîtrise dans Rigoletto, où le célèbre orage du trio entre Gilda, Maddalena et Sparafucile éclate avec une intensité théâtrale impressionnante, avant que la mort de Gilda ne se dissolve dans un halo sonore d’une poignante délicatesse. Ce sont les éditions critiques de Jeffrey Kallberg (Luisa Miller) et Martin Chusid (Rigoletto) qui ont été utilisées : nulle extrapolation dans l’aigu, donc, sur le « All’onda ! » de Rigoletto, ni sur la « Maledizione ! » finale. De même, « La Donna è mobile » est privée de son si aigu conclusif que la tradition a très vite imposée. Or force est de constater (mais faut-il s’en étonner ?…) que le génie verdien l’emporte très largement sur la tradition ! Réserver ce si aigu au seul moment de la reprise chantée par le Duc en coulisses, lorsque Rigoletto s’apprête à découvrir le corps de sa fille mourante, est une trouvaille musicale et dramatique géniale : la note semble un coup de poignard porté au cœur du bouffon !
Alessia Panza, en Luisa, a frappé par la fraîcheur et la juvénilité de son timbre (parfois encore un peu vert) et la projection déjà impressionnante de sa voix. On souhaiterait encore davantage de nuances dans le duo avec Miller (« La tomba è un letto sparso di fiori » gagnerait à être plus désincarné, plus éthéré…), et surtout il faudrait que la voix s’épanouisse plus librement dans le haut de la tessiture, certains aigus étant un peu trop bas. Mais la sincérité et l’investissement dramatique emportent l’adhésion du public. Face à elle, Ivan Magrì, malgré son implication, dispose de moyens un peu ténus pour rendre justice à la densité dramatique et la véhémence vocale qu’exige le rôle de Rodolfo au troisième acte (« Maledetto, il dì che nacqui… »). Le petit rôle de Laura est de ceux qui, tels celui de Barberine dans Les Noces de Figaro ou de la prêtresse d’Aida, permettent à une interprète de mettre en valeur ses qualités en quelques répliques seulement : la jeune Maria Kosovitsa s’est saisie de l’occasion pour faire valoir un timbre chaleureux et une ligne de chant déjà fermement conduite.
Que de chemin parcouru par Ariunbaatar Ganbaatar depuis que nous l’avons découvert en Germont à la Philharmonie de Paris il y a seulement un an ! Le baryton mongol campe ici un Miller d’envergure. Quelques aspérités au début, vite dissipées, font place à une grande noblesse du phrasé, un legato souverain et une maîtrise du souffle stupéfiante (« Andrem, raminghi e poveri »). Une leçon de chant verdien, que confirmera un Rigoletto pétri d’humanité. Le chanteur sera longuement ovationné par le public au rideau final.
Cette seconde partie du programme confirme l’équilibre du projet : jeunes pousses et voix plus aguerries s’y mêlent sans rupture de ton. Davide Tuscano confirme la très belle impression qu’il nous avait faite l’an dernier en Riccardo : il ne s’agit pas d’un ténor au timbre éclatant et solaire ; la voix possède au contraire des couleurs un peu voilées qui lui confèrent une certaine mélancolie. La ligne de chant est par ailleurs très raffinée, si bien que Davide Tuscano offre in fine un Duc de Mantoue d’une élégance très séduisante – presque trop pour ce personnage détestable ! Giuliana Gianfaldoni, loin des soprani suraigus égarés dans ce rôle, impose une Gilda de chair et d’âme : voix ronde, homogène, capable de pianissimi suspendus, elle émeut par la sincérité de son chant. À leurs côtés, Teresa Iervolino campe une Maddalena sensuelle, servie par un timbre superbe, et Francesco Leone est un Sparafucile investi, quoique encore un peu vert dans les graves abyssaux qui doivent être ceux du spadassin.
Le public du Teatro Regio, conquis, a longuement applaudi la troupe, saluant la qualité musicale de la soirée et manifestant son plaisir de découvrir de nouveaux interprètes verdiens de talent.
Luisa Miller, Acte III.
Walter : Francesco Leone
Rodolfo : Ivan Magrì
Miller : Arriunbattar Ganbaattar
Luisa : Alessia Panza
Laura : Maria Kosovitsa
Rigoletto, Acte III
Le Duc de Mantoue : Davide Tuscano
Rigoletto : Arriunbattar Ganbaattar
Gilda : Giuliana Gianfaldoni
Sparafuccile : Francesco Leone
Maddalena : Teresa Iervolino
Filarmonica Arturo Toscanini, dir. Paolo Carignani
Chœur du Teatro Regio de Parme, dir. Martino Faggiani
Gala Verdiano
Luisa Miller (acte III) ; Rigoletto (acte III)
Teatro Reggio de Parme, concert du vendredi 10 octobre 2025.