Un’alma innamorata
Huit jours après Núria Rial, dans une atmosphère considérablement rafraichie, la petite église romane de Froville accueillait le temps d’un concert entièrement dédié à Haendel la soprano italienne Francesca Aspromonte et les musiciens de l’ensemble Arsenale Sonoro. Si la musique est capable d’adoucir les mœurs, elle est aussi capable de réchauffer les corps.
Francesca qua, Francesca là
Il y a un an, le directeur artistique du festival Emiliano Gonzalez Toro avait déjà réussi le tour de force de déplacer à Froville le ténor américain Michael Spyres entre deux représentations de La Vestale à l’opéra Bastille. Ce samedi 7 juin, c’est avec une certaine malice dans la voix qu’il est fier d’annoncer au public son nouvel exploit : avoir convaincu Francesca Aspromonte de venir chanter en Lorraine au milieu d’une série d’engagements dans la nouvelle production scaligère de Siegfried !
En ce premier weekend de juin, la météo capricieuse de la région Grand-Est est cependant aux antipodes des prémices de l’été milanais et c’est sanglée dans un trench-coat passé sur sa robe turquoise pailletée que la jeune diva au brushing impeccable s’avance dans le chœur de l’église. Un large sourire aux lèvres, indubitablement ravie d’être à Froville, elle prend le temps de s’adresser en français au public pour excuser l’incongruité de sa tenue et plaisanter sur la fragilité du gosier des chanteuses lyriques avant de dénouer sa ceinture … et d’apparaitre en doudoune matelassée ! Après l’entracte, Francesca Aspromonte réapparait les épaules emmitouflées dans un grand châle brodé et plaisante sur le chic de son colifichet mais la fraicheur qui règne dans l’église a vite raison de sa coquetterie et elle termine le concert en rezippant sa doudoune par-dessus sa robe.
Le public retiendra de ces considérations vestimentaires que l’habit ne fait pas la diva et qu’il est possible de délivrer 90 minutes de beau chant sans que le plumage se rapporte au ramage de son interprète. Il suffit en effet que l’artiste ouvre la bouche pour que – dès les premiers mots de la première œuvre inscrite au programme du concert – on soit saisi par l’aplomb de son timbre et sa capacité à produire des vocalises étourdissantes comme celle qui enlumine le mot « agitata » dans le premier aria de la cantate Mi palpita il cor.
La personnalité fantasque de Francesca Aspromonte semble avoir trouvé dans le répertoire haendélien le matériau qui convient idéalement à son soprano lyrique au timbre chatoyant et à la technique rigoureuse. À l’intérieur des règles irréfragables du bel canto, la chanteuse sait en effet se ménager des espaces de liberté interprétative qui donnent tout leur prix à chacune des œuvres abordées dans un programme, Un’alma innamorata, qui a par ailleurs déjà fait l’objet d’un enregistrement en studio pour le label Pentatone en 2023.
Chacune des trois cantates qui composent le programme de la soirée est ainsi abordée avec un mélange de modestie et d’aplomb qui ravit l’auditeur et lui fait redécouvrir des œuvres où s’exprime tout le talent de mélodiste et d’orchestrateur du Caro Sassone. Composées pour être interprétées dans les salons de l’aristocratie européenne du settecento, sans décor ni costume, ces pièces n’en sont pas moins de petits moments de drame en musique que Francesca Aspromonte aborde avec la même rigueur que si elle interprétait les grands opéras seria de Haendel : mutine dans Mi palpita il cor puis davantage tragédienne dans Un’alma innamorata, l’artiste trouve finalement dans Tu fedel, tu costante la cantate qui s’ajuste le mieux à la palette des sentiments qu’elle est capable d’exprimer par son chant et l’ultime aria du concert « Si, crudel, ti lasciero ! » lui va comme un gant.
Au cœur du programme, un air composé par Haendel à la fin de sa vie et redécouvert à l’occasion de la gravure du disque évoqué plus haut permet d’entendre Francesca Aspromonte dans une pièce inédite. Bien qu’elle la trouve « un peu moche » (sic), cette pièce intitulée S’un di m’appaga offre à la chanteuse l’occasion de faire entendre un trille solide, des appogiatures virtuoses et de bon goût ainsi qu’un contrôle du souffle lui permettant d’affronter un rythme ostinato que bien des interprètes auraient du mal à suivre…
À la scène comme à la ville
Autour de Francesca Aspromonte, les cinq musiciens de l’ensemble Arsenale Sonoro forment un écrin brillant et parfaitement équilibré avec le volume sonore de la chanteuse. Que le directeur musical de la formation soit à la ville le mari de la diva n’y est probablement pas étranger et on retrouve sur scène la même complicité juvénile que celle exprimée par la couverture de leur album commun où on peut les voir dans un décor de chaumière italienne, lui en gilet noir et cravate de soie grise, elle en robe à pois juponnée et souliers rouge baiser, en train de se chamailler comme deux jeunes mariés.
Intercalées entre les trois cantates du programme, deux sonates permettent au concert de respirer et offrent l’occasion à Arsenale Sonoro de déployer un éventail de couleurs musicales qui conviennent idéalement à la manière haendélienne. C’est cependant lorsque la voix de Francesca Aspromonte dialogue avec les instruments de ses partenaires que la synergie entre les artistes est la plus féconde.
Au cœur de la cantate Mi palpita il cor, le récitatif « Clori, di te mi lagno » est accompagné d’un continuo chatoyant, très expressif, aux cordes cinglantes. Plus tard dans la soirée, c’est au tour du luth éthéré de Simone Vallerotonda d’entrer en dialogue avec la chanteuse pendant le récitatif « Eppur, benché egli veda » mais c’est définitivement lorsqu’elle fait assaut de vocalises avec le violon de Boris Begelman que Francesca Aspromonte est la plus rafraichissante. Pendant l’aria « Io godo, rido e spero », le jeu espiègle entre la voix et le violon tient le public en haleine et constitue une parenthèse de légèreté subtilement dosée.
Accueillis par de chaleureuses ovations du public, les artistes offrent en bis un extrait d’une cantate d’Alessandro Scarlatti et annoncent à la manière d’un teaser la parution en 2026 d’un prochain opus discographique pour commémorer le 300e anniversaire de la mort du compositeur.
Pour ce deuxième concert vocal de sa 28e édition, le festival de Froville démontre donc une fois de plus sa capacité à attirer des voix de premier plan, à proposer des programmes hors des sentiers battus et à rencontrer l’adhésion d’un public fidèle, résolvant ainsi la quadrature du cercle à laquelle est régulièrement confronté tout directeur artistique.
Francesca Aspromonte, soprano
Arsenale Sonoro
Boris Begelman, Violon et direction musicale
Claudio Rado, Violon
Ludovico Minasi, Violoncelle
Simone Vallerotonda, Luth
Federica Bianchi, Clavecin
Georg Friedrich Händel (1685-1759)
Un’alma innamorata
Mi palpita il cor / Cantate pour soprano, violon et basse continue HWV 132c
Sonate à trois HWV 391
S’un di m’appaga la mia crudele HWV 223 – Air
Un’alma innamorata / Cantate pour soprano, violon et basse continue HWV 173
Sonate en sol mineur pour violon et basse continue HWV 364a
Tu fedel, tu costante / Cantate pour soprano, deux violons et basse continue HWV 171
Église Notre-Dame à Froville, concert du samedi 7 juin 2025.