Le Messie de Haendel a été écrit en 1741, en seulement 24 jours. Présentée au Foundling Hospital de Londres en 1754, la version du Messie entendue ce soir fut conçue spécialement pour cet événement de bienfaisance, avec nombre d’arrangements vocaux et instrumentaux.
S’il existe au moins une douzaine de versions du Messie, celle de 1754 est plus rarement jouée parce qu’elle exige cinq voix solistes : deux sopranos, un alto, un ténor et une basse. On se souvient des enregistrements de Hogwood il y a déjà trente ans et plus près de nous Christie et évidemment Hervé Niquet.
Ce concert du 11 décembre, produit par Les Grandes Voix, a été un formidable succès : au fil de cette soirée mémorable, on oublie certaines approches hollywoodiennes anglo-saxonnes de l’œuvre, dont les centaines d’exécutants avaient pour but de nous engloutir sous des flots de décibels. Sur la scène, une vingtaine de musiciens et une vingtaine de choristes. Cela fait des années que sous la direction d’Hervé Niquet , les musiciens du Concert Spirituel nous ont habitués à l’excellence. Tous les pupitres brillent et jouent avec une grande ferveur, dénuée de toute esbrouffe. Les cinq solistes (Emőke Baráth, soprano ; Lauranne Oliva, soprano ; Tim Mead, contre-ténor ; Robin Tritschler, ténor ; Benjamin Appl, baryton) sont relégués au bout de chacun des plateaux et viennent se placer au centre au fil du concert. Tous de haute tenue, ils délivrent ici ou là quelques moments de grâce. Dans cette belle approche intimiste, on peut ainsi se concentrer sur les airs des solistes, moments de méditation. Place à la ferveur et à l’émotion !
La structure de l’oratorio suit l’année liturgique : la première partie correspond à l’Avent, à Noël et à la vie de Jésus ; la deuxième partie à Pâques, à l’Ascension et à la Pentecôte ; et la troisième partie à la fin de l’année liturgique, et à la fin des temps. Dans la première partie, on retient un magnifique « O thou that tellest good tidings to Zion », confié au contre-ténor Tim Mead qui nous livre de superbes ornementations rarement entendues. « The people that walked in darknesss » est un peu en deçà, la voix du baryton Benjamin Appl est fort belle même si, au milieu de l’air, on sent un petit manque de souffle. « Rejoice greatly » nous permet de profiter de la magnifique voix de Lauranne Oliva – même si un peu trop couverte par l’orchestre. Quant à la pastorale, elle permet de redécouvrir des accords rarement entendus, où chaque instrument est enfin identifiable.
Après l’entracte les deuxième et troisième parties nous mènent vers des sommets. « He was despised » chanté à nouveau par le contre-ténor Tim Mead est un pur joyau avec un accompagnement et des ornementations inhabituels mais qui magnifient toute l’intériorisation de l’air. Chanté avec grâce, un peu à la manière d’un opéra, on est sous le charme de l’air « Thou art gone up on high » accompagné par un orchestre des plus inspirés. Un petit bémol sur « How beautiful are the feet », dont le tempo inhabituellement rapide n’est peut-être pas adapté à ce moment , même si la voix reste très belle.
Un des grands moments de cette soirée est le « Why do the nations » où le baryton Benjamin Appl montre tout son talent tant dans la puissance vocale que par sa capacité à moduler toutes les nouvelles ornementations. « The trumpet shall sound » nous comble par un extraordinaire duo entre voix et la trompette dont la maîtrise est parfaite. Enfin le duo « O death where is thy sting » est ici confié à deux voix masculines pour nous donner un dernier air bouleversant avant le chœur final.
Le chœur est bien le protagoniste essentiel de cette immense partition qui a droit à vingt numéros ! Le Chœur du Concert spirituel est devenu en quelques années un des plus grands ensembles vocaux spécialisés dans la musique baroque. Ce sera lui qui recevra un véritable triomphe et le plus d’applaudissements. Il surfe avec un talent admirable sur cette partition, du forte aux moments plus intimistes : chaque morceau a son atmosphère à part , où la justesse est la beauté prédominent. Parmi les moments de pure merveille : « His yoke is easy » dont les formidables nuances se mêlent aux bois alors mis en valeur, « All we like sheep » merveilleux d’équilibre, « Let us break their bonds asunder » abordé avec un tempo d’une rapidité incroyable tout en préservant la justesse.
« Hallelujah », qui clôt la deuxième partie, est abordé tel un murmure, permettant de profiter au mieux de tous les instruments de l’orchestre. Aucun effet grandiloquent jusqu’à la fin. On aura rarement entendu cet air à ce point intériorisé. La salle est tétanisée et n’ose applaudir. Le silence qui suit Haendel est-il encore du Haendel ?… Les deux chœurs finaux « Worth is the Lamb » et « Amen » sont eux aussi tous deux admirables.
Une magnifique soirée en cette fin d’année et qui ne peut que pousser à acquérir l’enregistrement du Concert Spirituel pour mieux redécouvrir de chacun de ces moments !
Emőke Baráth, soprano
Lauranne Oliva, soprano
Tim Mead, contre-ténor
Robin Tritschler, ténor
Benjamin Appl, baryton
Orchestre et Chœur Le Concert Spirituel, dir. Hervé Niquet
Le Messie
Oratorio pour chœur, solistes vocaux et orchestre de Georg Friedrich Haendel, composé en 1741 (version de 1754)
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, concert du mercredi 11 décembre 2024.
1 commentaire
Je regrette de ne pas assisté à ce concert apparemment exaltant. Merci pour ce rappel rapide mais étoffé sur la genèse de ce chef-d’oeuvre.