Marie Théoleyre, soprano, codirectrice de La Palatine
Guillaume Haldenwang, clavecin, codirecteur de La Palatine
Josef Žák (vl.), Giovanna Thiébaut (vl.), Murielle Pfister (alto), Noémie Lenhof (viole gambe), François Gallon (violoncelle), Nicolas Wattinne (théorbe, guitare), Caroline Lieby (harpe), Laurent Sauron (percussions)
Dolce concento : Les Italiens à Paris sous Louis XIV
Airs et danses de J.-B. Lully dans Xerse ; de T. di Gatti dans Scylla, Coronis ; de P. Lorenzani dans Nicandro e Fileno, Airs italiens ; d’A. Bembo dans Produzioni Armoniche ; de J.-B. Stuck dans Méléagre, Héraclite et Démocrite ; de M. de La Barre dans La Vénitienne ; d’A. Campra dans Le Carnaval de Venise, Les Fêtes vénitiennes ; Anonyme du Chansonnier de Maurepas.
1 CD Harmonia mundi, juin 2025

Après leur premier album (2022), l’ensemble La Palatine présente ici un florilège d’airs et de danses : Dolce concento. Les Italiens à la cour de Louis XIV. Sur vingt-cinq pièces enregistrées, rassemblées en trois actes, une douzaine d’inédits invite à consentir à l’amour… du baroque franco-italien !
Actes I et II à l’ombre de Lully
Les auditeurs se souviennent avec plaisir du premier album de La Palatine, Il n’y a pas d’amour heureux (Ambronay éditions, 2022). Pour ce second cd (Harmonia Mundi), soutenu par le Centre de musique baroque de Versailles, l’ensemble poursuit son cheminement de redécouvertes par une mosaïque animée d’airs et de danses. Certains étaient d’ailleurs présentés au festival d’Ambronay en octobre 2024.
En suivant le découpage dramatique proposé dans l’album, les deux premiers « actes » couvrent les décennies qui suivent la brèche qu’opèrent les Italiens à la cour de France, sous Mazarin. L’année des noces de Louis XIV, les représentations parisiennes de la Xerse de Cavalli (1662) offrent en effet l’occasion au jeune florentin Lulli de composer des ballets intégrés à cet opéra vénitien. Sa propre ouverture déroule le diptyque bientôt modélisé « Ouverture à la française » (Lent solennel – Allegro en fugato). Les excellents instrumentistes de La Palatine (archets, clavecin et théorbe) en livrent la complexité polyphonique. Puis s’ébrouent avec une vigueur rythmique dans les ballets, dont la Gigue pour Bacchus, conduite avec précision par le 1er violon (Josef Žák) en dépit d’un tambourin intrusif … Quant à l’air inséré dans cette reprise de Xerse (Fiamma che accesa fu), il allie les madrigalismes d’un chromatisme expressif[1] à l’élégance vocale que la soprano Marie Théoleyre fait miroiter avec un timbre lumineux. Une décennie avant sa première tragédie lyrique, Lulli est à mi-chemin de son projet esthétique.
Le second acte éclot après la conquête de Jean-Baptiste Lully, devenu Surintendant de la Musique sous Louis XIV. Son monopole à l’Académie royale de musique n’évince pas trois compatriotes, Théobaldo Gatti, Antonia Bembo et Paolo Lorenzani dont les pièces sont allègrement panachées. L’auditeur retient notamment les inédits de Gatti, compositeur « venu rejoindre à Paris son mentor qui le recruta dans l’orchestre de l’Opéra » (notes de programme de J-F. Lattarico). L’ouverture de sa pastorale Coronis (inédite) s’approprie le modèle Lulliste tout en déroulant une cascade dynamique d’imitations dans le volet rapide. Quant aux danses issues de la tragédie lyrique Scylla (inédites), La Palatine en dynamise les métriques asymétriques et tout autant les oppositions marquées entre le phrasé pulsé ou bien louré des Rigaudons. Du côté des airs pathétiques, celui de Gatti (Scylla) s’approprie la déclamation française, tout comme celui du romain Lorenzani. Issu de la pastorale Nicandro e Fileno, ce dernier déroule une saynète d’une riche diversité expressive – spontanéité amoureuse, lamentation, noblesse du récitatif – que la soprano Marie Théoleyre écoule avec naturel (même s’il conviendrait d’articuler davantage les consonnes en italien) par-dessus un continuo diversifié. Néanmoins, l’état de grâce est atteint dans l’air de cour de la compositrice vénitienne Bembo, Ah ! que l’absence est un cruel martyre (1707). La complicité du seul trio soprano / théorbe (Nicolas Wattinne) / harpe (Caroline Lieby) est d’une intimité pudique.
Acte III émancipé de l’influence de Lully
Explorant l’italianisme de la fin du règne de Louis XIV, le dernier « acte » résonne sous l’égide de l’aixois André Campra, imprégné de la culture baroque méridionale (en poste à Arles, puis Toulouse avant Paris). Après la disparition de Lully et de son monopole, Campra vient de remporter un nouveau triomphe à l’Académie royale de musique avec son opéra-ballet Les Fêtes vénitiennes (1710). Son intention de « mêler à la délicatesse de la musique française la vivacité de la musique italienne » s’incarne en une sélection d’airs et de danses follement entraînantes, dont l’époustouflante Chaconne (3e entrée) : La Palatine en restitue la vitalité chatoyante sous la direction du claveciniste Guillaume Haldenwang et l’archet de la gambiste (Noémie Lenhof). Ce vent de liberté profite tout autant aux Italiens invités par Philippe d’Orléans, le futur régent. Le talent de J.-B. Stuck[2], déjà connu au disque par l’air planant « Pleurez mes tristes yeux » (Cantates françaises, Les Musiciens du Louvre, DG Archives, 2003) gagne ici des galons avec trois inédits de sa tragédie Méléagre. La soprano Marie Théoleyre y manie les tons de la confidence (« C’est ici le brillant séjour ») ou de la concorde dans « Divin père de l’harmonie ». Ce dernier air, une pépite parmi les douze inédits, tisse la voix aux cordes dans une écoute extatique. Plus italianisant, G. A. Guido mise sur la virtuosité instrumentale et vocale (cantate italienne) dans le sillage de Scarlatti, une vigueur qui s’épanouit avec La Palatine. L’album se termine par un trait d’humour chansonnant Lulli : Baptiste est fils d’une meunière (inédit), une parodie d’Atys. La soprano y jette son bonnet par-dessus les moulins avec une verve truculente en compagnie de ses complices canailles, chantonnant autour d’elle.
L’album Dolce concento (expression issue d’un air italien de Stuck) est bien le moyen de se convertir à l’amour du chant et de la danse baroques. En court-circuitant les spécificités françaises et italianisantes au profit de fertiles transferts culturels, La Palatine remet la balle au centre !
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[1] Madrigalismes sous « les chaines de l’amour ne se brisent jamais ».
[2] Compositeur allemand, italianisé avant d’être francisé sous la Régence.