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Œuvres

LE JOURNAL D’UN DISPARU, Janáček (1921) – dossier

par Stéphane Lelièvre 2 mars 2022
par Stéphane Lelièvre 2 mars 2022
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Leoš Janáček, Le Journal d'un disparu, cycle de 21 mélodies (1921)

Le compositeur

Leoš Janáček (1854-1928)

D’abord instituteur à Brno, Leoš Janáček étudie la composition à Prague, Leipzig et Vienne. Il devient ensuite directeur du conservatoire de Brno et acquiert la célébrité avec  l’opéra Jenůfa , créé à Brno en 1904. Suivront d’autres ouvrages lyriques : Katja Kabanova (1921), La Petite Renarde rusée (1924), L’Affaire Makropoulos (1926), De la Maison des morts (1930), mais aussi des œuvres chorales, de la musique sacrée, de la musique instrumentale ou encore des mélodies. 

Sa musique, profondément originale, prend en compte l’étude que le compositeur avait menée sur langage parlé, et se signale par une grande liberté rythmique et harmonique, ainsi que par certains emprunts au folklore morave.

La création - les différentes versions

Une première version du Journal d’un disparu (pour ténor, alto, trois voix de femme et piano) est écrite d’août 1917 à juin 1919.  Le cycle est d’abord donné dans le cadre d’un concert privé en 1920 à Brno. L’œuvre subit ensuite plusieurs remaniements, avant d’être créée en public cette fois, le 18 avril 1921. Quinze ans après la mort du compositeur, en 1943, à l’occasion d’une série de représentations données à Plzen, deux musiciens (Ota Zítek et Václav Sedláček) proposèrent une orchestration de la partition. 

Les poèmes

Le recueil de poèmes Le Journal d’un disparu paraît (sans signature) en mai 1916 dans un journal de Brno. Les poèmes, rédigés en dialecte valaque, racontent l’amour du paysan Janík pour la Tzigane Zefka. Un amour difficile (les Tziganes étant alors très mal considérés dans l’opinion publique), qui conduira néanmoins le jeune Janík à quitter son village pour suivre sa bien-aimée. Sans doute ce thème d’un amour difficile trouva-t-il un écho particulier chez le musicien, alors fou amoureux d’une femme mariée, de 38 ans sa cadette…

Journal d’un disparu (Poésies anonymes, attribuées à Josef Kalda. Traduction de Hanuš Jelínek)

I.
J’ai rencontré une jeune tzigane,
sa démarche était comme celle d’une biche,
deux tresses noires pendaient sur sa poitrine
et ses yeux étaient un abîme sans fond.
Elle me jeta un long regard profond,
et disparut, sautant par-dessus un tronc.
Ainsi, elle est restée dans ma
tête toute la sainte journée.

 

II.
La noire tzigane
tourne autour de notre maison.
Qu’est-ce qui la retient ici,
pourquoi ne part-elle pas au loin ?
Je serais plus gai, je crois,
si elle voulait partir ;
j’irais tout de suite
prier à l’église.

Ill.
Des lucioles dansent
sur la digue.
À la tombée de nuit,
quelqu’un s’y promène.
N’attends pas, je ne sortirai pas,
je ne me laisse pas séduire,
un jour, ma pauvre petite mère en pleurerait.
La lune se couche,
on ne voit plus clair,
quelqu’un se tient debout
près de notre grange.
Deux petites lumières
brillent dans la nuit noire.
Mon Dieu, mon Dieu !
Venez à mon secours !

 

IV.
Déjà de jeunes hirondelles
pépient dans leur nid,
j’ai couché toute la nuit
comme sur un lit de camp.
Déjà l’aube
apparaît au ciel,
j’ai couché toute la nuit
comme nu dans des ronces.

V.
Que c’est pénible de labourer,
j’ai si peu dormi,
et lorsque je m’endormais,
c’est d’elle que je rêvais.

 

VI.
Ohé ! Mes bœufs gris,
labourez attentivement,
ne vous tournez point
du côté de la charmille !
Ma charrue saute
sur la terre dure,
un tablier bariolé par moments
luit à travers les feuillages.
Que celle qui m’attend,
se change plutôt en pierre,
ma pauvre tête malade
n’est qu’une flamme.

VII.
J’ai perdu une chevillette
de mon essieu,
attendez, mes petits bœufs,
que j’en fasse une nouvelle.
J’irai la chercher, là,
dans la charmille.
Personne n’échappera
à sa destinée.

 

VIII.
Ne regardez pas tristement
vers la lisière, mes petits bœufs,
n’ayez pas peur,
je ne me perdrai pas !
La noire Zefka est là,
debout, dans la charmille,
dans ses yeux sombres
tremblent des étincelles.
N’ayez pas peur !
Même si je l’approche,
je saurai tenir tête
à ses yeux ensorceleurs.

IX.
« Bonjour, petit Janik,
sois le bienvenu dans la forêt !
Quel bon vent
ici t’amène ?
Sois le bienvenu, petit Janik !
Qu’as-tu donc à rester comme ça,
blême, immobile,
aurais-tu peur de moi ? »
« Ma foi, je n’ai nulle raison
d’avoir peur de quiconque,
je ne suis venu
que pour couper une chevillette !»
« Ne coupe pas, Janik,
ne coupe pas de chevillette,
mais écoute plutôt
une chanson tzigane! »

TROIS VOIX DE FEMMES
Elle joignit ses mains,
elle chanta tristement
et sa morne chanson
remuait son cœur.

 

X.
O Dieu lointain, Dieu immortel,
pourquoi avoir donné la vie au tzigane ?
Est-ce pour qu’il erre sans but à travers le monde,
pour qu’on le chasse toujours plus loin ?
«Mon petit Janik,
entends-tu le trille des alouettes ? »

TROIS VOIX DE FEMMES
Et sa morne chanson
remuait son coeur.

« Assieds-toi donc à côté de la tzigane ! »
O Dieu puissant ! Dieu de miséricorde !
Avant que je meure dans le monde désert,
ô, fais-moi connaître la vérité, donne-moi sentir !

TROIS VOIX DE FEMMES
Et sa morne chanson
remuait son cœur.

« Tu demeures là, toujours debout,
comme une statue de sel,
il me semble bien
que tu as peur de moi.
Assieds-toi plus près,
ne te mets pas si loin,
serait-ce ma couleur
qui te fit peur, malgré tout ?
Je ne suis pas si noire
qu’il te le semble,
là, où le soleil n’entre pas,
mon corps est différent.»

TROIS VOIX DE FEMMES
Elle ouvrit un petit peu
la chemisette sur sa poitrine,
et tout mon sang
afflua à ma tête.

XI.
L’odeur du sarrasin fleuri
arrive jusqu’au bois.
« Veux-tu voir, Janik,
comment dorment les tziganes? »
Elle cassa une petite branche,
prit une pierre et la jeta.
« Voilà, mon lit est fait »
dit-elle en riant.
« La terre est mon oreiller,
le ciel ma couverture,
et les mains, froidies par la rosée,
je les réchauffe dans mon giron. »
Elle était couchée par terre,
elle n’avait qu’une petite jupe,
et ma pauvre vertu
pleurait à chaudes larmes.

XII Une charmille sombre,
une source froide,
une tzigane noire,
de petits genoux blancs :
tant que je vivrai
je n’oublierai ces quatre choses.

XIII.
Piano seul

 

XIV.
Le soleil monte,
l’ombre devient plus courte.
Oh ! Qui me rendra
ce que j’ai perdu ?

XV.
Mes petits bœufs gris
qu’avez-vous à me regarder ?
Vous n’allez donc pas
trahir mon secret ?
Si vous me trahissez, je n’épargnerai pas mon fouet
et vous, mes petits bœufs,
vous vous en repentirez !
Mais la pire des choses,
ce sera à midi,
rentré à la maison,
comment regarderai-je aux yeux de maman ?

 

XVI.
Qu’ai-je donc fait ?
Quelle terrible pensée !
Si je devais dire à
une tzigane : « maman ».
À une tzigane : « maman »,
à un tzigane : « père »,
non ! je préférerais me couper le petit doigt !
Une alouette s’élève
au-dessus de la coudraie,
personne ne pourra plus
consoler mon cœur attristé

XVII.
Personne n’échappe
à sa destinée.
Je cours maintenant souvent
le soir, vers les charmilles.
Que vais-j’y faire ? J’y cueille des fraises.
Il suffit de soulever une petite feuille,
on goûte de la félicité.

 

XVIII.
Je ne songe maintenant qu’à une chose,
c’est quand viendra le soir,
à pouvoir passer
toute la nuit avec Zelka.
J’ai l’envie de couper la
tête à tous les coqs
pour les empêcher
d’appeler l’aurore.
Puisse la nuit durer
toute l’éternité
pour que je puisse aimer
jusqu’à l’éternité.

XIX.
Une pie vole, vole,
bat des ailes.
On a volé à ma sœur
une chemise qui séchait à la grille.
Oh, si elle savait
qui l’a volée,
elle ne voudrait plus jamais
m’adresser la parole.
Oh mon, Dieu, mon Dieu,
combien je suis changé,
combien sont différentes
les pensées de mon cœur !
Ma tête a oublié
toutes les prières,
comme si l’on comblait
une fosse de sable !

 

XX.
J’ai une jolie aimée,
mais déjà sa chemisette
de toile écrue
lui monte au-dessus des genoux.

XXI.
Mon cher papa,
comme vous vous trompez,
si vous croyez que je prendrai
la jeune fille que vous me choisirez !
Qui a commis une faute,
qu’il expie son péché !
Moi, non plus, je ne veux pas
éviter mon sort.

 

XXII.
Adieu, mon pays natal.
adieu, mon village !
Il ne me reste plus
que de me séparer à jamais de vous.
Adieu, mon petit père,
et vous, chère maman,
adieu, ma petite sœur,
petite fleur de mes yeux !
Je vous caresse les mains,
je vous prie de me pardonner,
pour moi, il n’y a plus
de retour possible.
Je veux tout faire
ce que mon destin commande.
Zefka m’attend,
mon fils dans ses bras !

La musique

Le Journal d’un disparu comporte 22 numéros : 21 mélodies et une pièce pour piano seul.
Par le cheminement narratif qu’elle propose, l’œuvre pourrait s’apparenter à des cycles de mélodies tels La Belle Meunière de Schubert, au-delà de la sollicitation de plusieurs voix et non d’un narrateur unique.  Pourtant, dès 1921, l’œuvre est publiée avec quelques indications de mise en scène, semblant inscrire Le Journal d’un disparu dans la catégorie des ouvrages dramatiques. De fait, dès 1926, une production scénique de l’ouvrage est proposée, Le Journal d’un disparu apparaissant clairement comme un ouvrage musical dramatique, sans pouvoir pour autant se confondre avec le genre de l’opéra, dans lequel Janáček s’était déjà brillamment illustré.

La musique du Journal d’un disparu tantôt exprime  les sentiments éprouvés par le protagoniste, tantôt se fait descriptive lorsqu’elle évoque le coucher du soleil (n°3, « Des lucioles dansent sur la digue »), le chant des hirondelles (n°4 « Déjà de jeunes hirondelles pépient dans leur nid »), le jaillissement d’une source (n°12 « Une charmille sombre, une source froide ») ou encore le vol d’une pie (n°19 « Une pie vole, vole, bat des ailes »).  Selon Sabine Teulon-Lardic, l’écriture vocale de Janáček, dans ce cycle de mélodies, « est laconique et lyrique à la fois. Elle oscille entre la chanson populaire –   le 6e chant Ohé mes bœufs gris – et l’écriture savante au service de la séduction – 10e chant, « Assieds-toi donc à côté de la tzigane ! ».

Pour écouter l'œuvre

CD

Kubelik / Ernst Haefliger. 1 CD DG (chanté en allemand ; avec la Messe Glagolitique), 2002 (enregistré en 1963).

Páleníček / Vilém Přibyl. 1 CD Supraphon (avec les Chants du soir de Smetana et les Chants bibliques de Dvořák ). 2019 (enregistré en 1977).

Pálenícek / Gedda. 1 CD Supraphon, 1996 (enregistré en 1984).

Abbado / Philip Langridge. 1 CD DG (version orchestrale, avec la Sinfonietta ), 1989.

Adès / Ian Bostridge. 1 CD EMI Classics (avec Chants populaires moraves et Pièces pour piano), 2002.

Drake / Nicky Spence. 1 CD Hyperion (avec Chansons moraves et Řikadla), 2019.

Pechanec / Pavol Breslik. 1 CD Orfeo (avec Six chants populaires et Les Funérailles du bandit), 2020.

Streaming

Symonds / Andrew Goodwin (sous-titres en anglais) - Sydney Chamber Opera
Stratford / Ed Lyon (sous-titres en anglais). Version pour orchestre de chambre, Lammermuir Festival (2020)

Comptes rendus des représentations du JOURNAL D'UN DISPARU

  • Montpellier, novembre 2021
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Janacek
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Stéphane Lelièvre

Stéphane Lelièvre est maître de conférences en littérature comparée, responsable de l’équipe « Littérature et Musique » du Centre de Recherche en Littérature Comparée de la Faculté des Lettres de Sorbonne-Université. Il a publié plusieurs ouvrages et articles dans des revues comparatistes ou musicologiques et collabore fréquemment avec divers opéras pour la rédaction de programmes de salle (Opéra national de Paris, Opéra-Comique, Opéra national du Rhin,...) Il est co-fondateur et rédacteur en chef de Première Loge.

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