La Dori d’Antonio Cesti – Retour à Innsbruck
C’est la première fois qu’un opéra d’Antonio Cesti connaît les honneurs du DVD, mais c’est peut-être plus pour les voix que pour le spectacle qu’on visionnera La Dori paru chez Naxos.
Après Monteverdi et Cavalli, Antonio Cesti (1623-1669) est incontestablement le plus célèbre des compositeurs lyriques italiens du XVIIe siècle, mais il reste comparativement négligé. Sa résurrection a attendu les années 1960, à partir desquelles l’Italie, l’Angleterre et les Etats-Unis le redécouvrent lentement.
Retour à Innsbruck
En 1986, René Jacobs dirige son premier opéra : l’Orontea (1656) de Cesti, dans le cadre du festival d’Innsbruck. Ce lieu n’a pas été choisi au hasard : Cesti y fut en effet maître de chapelle à la cour de l’archiduc d’Autriche, et c’est là que virent le jour ses opéras écrits entre 1654 et 1662 (les créations suivantes eurent lieu à Vienne). En 1996, Jacobs recréa à Innsbruck L’Argia (1655), spectacle que l’on put ensuite voir à Lausanne et à Paris. Curieusement, La Dori (1657) le plus grand succès qu’ait connu Cesti en son temps, n’avait jusqu’ici guère attiré l’attention, et les productions modernes se comptaient sur les doigts d’une main : en août 2019, Innsbruck s’y est enfin intéressé, après vingt ans pendant lesquels l’œuvre avait été délaissée.
Trop de dépouillement en fosse et sur le plateau...
Loin du faste qu’on peut imaginer avoir été celui de la cour autrichienne, l’Accademia Bizantina que dirige Ottavio Dantone paraît ici un peu légère, si l’on songe à l’opulence sonore proposée par d’autres ensembles d’instruments anciens. Cesti mériterait un traitement plus généreux. Bien qu’il ait derrière lui une carrière longue (commencée en 1979) et bien remplie, le metteur en scène Stefano Vizioli n’a pas laissé de trace durable dans les mémoires. Pour La Dori, il reste fidèle à ses recettes habituelles : jolis costumes et décors dépouillés, avec une direction d’acteur réduite au minimum, voire inexistante. Si les scènes comiques sont relativement efficaces, le spectacle peine à nous émouvoir et à inspirer de la sympathie pour les personnages d’une intrigue certes assez alambiquée, avec plusieurs travestissements transgenres (la princesse Dori se fait passer pour un certain Ali, le prince Tolomeo déguisé en femme brise le cœur d’un capitaine des gardes, sans oublier la nourrice Dirce confiée à un ténor, selon la tradition).
… mais quelques belles voix !
Dans la distribution, le nom d’Emöke Baráth attire l’œil : c’est en effet ici l’artiste la plus connue. Après avoir été révélée avec Elena de Cavalli, elle montre ici encore ses affinités avec ce répertoire et fait preuve d’une belle autorité dans le rôle du prince travesti. L’autre soprano, Francesca Lombardi Mazzulli, est une habituée des festivals baroques et son répertoire ne s’aventure guère au-delà de Mozart ; elle fait ici valoir un timbre pulpeux. Le rôle-titre incombe à la mezzo Francesca Ascioti, qui devrait être Maddalena de Rigoletto à Nancy en juin prochain : les couleurs sombres de sa voix permettent un contraste judicieux avec ses partenaires, notamment le contre-ténor britannique Rupert Enticknap, Oronte d’une belle expressivité. Parmi les rôles secondaires, on remarque la basse Pietro Di Bianco, que les mélomanes parisiens se rappelleront avoir vu dans l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris.
Dori Francesca Ascioti
Oronte Rupert Enticknap
Artaserse Federico Sacchi
Arsinoe Francesca Lombardi Mazzulli
Tolomeo Emöke Baráth
Arsete Bradley Smith
Erasto Pietro Di Bianco
Dirce Alberto Allegrezza
Golo Rocco Cavalluzzi
Bagoa Konstantin Derri
Accademia Bizantina, direction musicale : Ottavio Dantone
Mise en scène Stefano Vizioli
La Dori, ovvero la schiava fedele
Dramma musicale en 3 actes avec prologue de Pietro Antonio Cesti, livret de Giovanni Filippo Apollini, créé à Innsbruck en 1657 (?)
Enregistré à Innsbruck en août 2019
1 DVD Naxos