Erin Morley, soprano
Lawrence Brownlee, ténor
Münchner Rundfunkorchester, dir. Ivan Repušić
Golden Age
G. DONIZETTI
La Fille du régiment (I, 5), « Quoi! Vous m’aimez?… / De cet aveu si tendre » (Marie, Tonio)
G. ROSSINI
Le Comte Ory (II, 3), « Ah, quel respect, Madame / Ce téméraire / qui croit nous plaire » (Comtesse Adèle, Comte Ory)
G. BIZET
Les Pêcheurs de perles (I, 7), « À cette voix quel trouble agitait tout mon être ? / Je crois entendre encore » (Nadir) Lawrence Brownlee
La Jolie Fille de Perth (IV, 1), « Ils verront si je mens ! » (Catherine, Smith)
L. DELIBES
Lakmé (I), « D’où viens-tu ? Que veux-tu ? / C’est le Dieu de la jeunesse » (Lakmé, Gérald)
Lakmé (II), « Où va la jeune Hindoue » (Lakmé) Erin Morley
G. DONIZETTI
Marino Faliero (I, 5), « Di mia patria o bel soggiorno » (Fernando) Lawrence Brownlee
G. VERDI
Rigoletto (I, 13), « Gualtier Maldè!… / Caro nome» (Gilda) Erin Morley
G. DONIZETTI
Don Pasquale (III, 6), « Tornami a dir che m’ami » (Norina, Ernesto)
1 CD Pentatone, 2025. Enregistré au Bayerische Rundfunk de Munich, en juillet 2024. Notice de présentation en anglais. Durée totale : 62:53

Un programme français et italien à l’enseigne de la virtuosité, servi par deux interprètes talentueux au mieux de leur forme.
De par son titre, la nouvelle livraison de chez Pentatone, réunissant dans un CD Erin Morley et Lawrence Brownlee, s’inscrit dans le glorieux sillage du coffret de deux microsillons The Age of Bel Canto, enregistrés par Decca en 1963 et publiés l’année suivante, conçus autour de Joan Sutherland et Marylin Horne, avec la participation de Richard Conrad, sous la baguette de Richard Bonynge.

Avec son illustre devancier, elle ne partage qu’un extrait (le duo de Don Pasquale) et l’objectif, annoncé dans la plaquette d’accompagnement, de restituer des gemmes oubliées, telle La Jolie Fille de Perth : « a neglected gem ». Le propos de l’époque visait cependant plus large, proposant de nombreuses pages du XVIIIe siècle, totalement délaissées (de Haendel à Piccinni mais aussi d’Arne à Shield), et des titres du XIXe qui entre temps ont fait leur chemin, tels que Beatrice di Tenda et Lucrezia Borgia, voire Attila, limite extrême de cette galerie du belcanto, du moins à l’opéra.
Plus sobres, les intentions d’aujourd’hui puisent dans un répertoire mieux connu dont la seule rareté est justement La Jolie Fille de Perth. Le programme s’étale sur une période de six décades, du Comte Ory (1828) à Lakmé (1883), présentant des œuvres qui ne se rangent pas forcément dans ce que l’on circonscrit habituellement comme l’âge du belcanto, même si elles s’en inspirent très profondément. Il affiche des ouvrages français – les deux tiers – et italiens, dont certaines productions des Italiens à Paris (Le Comte Ory, précisément, et La Fille du régiment) et celles du Théâtre-Italien (Marino Faliero et Don Pasquale), puisant dans le répertoire de l’un ou de l’autre interprète, voire des deux, et en y ajoutant des débuts intéressants. Nullement chronologique, l’ordre de présentation suit davantage un choix esthétique, devant mettre en valeur les qualités des artistes qui se produisent chacun dans deux morceaux solistes et dans cinq duos, ce qui donne une véritable signification à leur projet commun.
À chacun son morceau de bravoure, dans les deux langues. Un Nadir au lyrisme généreux pour le ténor dont la suavité du timbre ressort surtout dans l’air des souvenances, se mariant à la diction sans faille qu’étale le récitatif. Tandis que la sortita de Fernando (Marino Faliero) laisse espérer une prise de rôle prochaine, tant le récitatif se singularise par des modulations passionnées dans le désespoir, l’intensité de la cavatine articulant des transitions parfaitement négociées et le brillant de la cabalette, avec reprise, mettant en relief une noblesse de l’accent où excelle traditionnellement le chanteur américain.
Une Lakmé aux vocalises franches pour la soprano dont l’air des clochettes se distingue par le contrôle de la ligne dans le cantabile et par la richesse de fioritures. Ce qui se renouvelle dans les pyrotechnies de Gilda (Rigoletto) où une morbidezza certaine épouse des trilles cristallines.
Côté duos, c’est à la déclaration d’un sentiment réciproque chez Marie et Tonio que revient la tâche d’ouvrir le bal : l’excellence du phrasé ne sert alors que la bonne entente de nos deux acolytes dont la maîtrise des dynamiques s’illumine tout particulièrement dans l’allegretto. Une ductilité qui se renouvelle dans le duo d’amour entre la Comtesse Adèle et le Comte Ory à la complicité s’épanouissant dans la strette, la luminosité des coloris de la soprano relayant le legato sans faille du ténor. La clarté de l’élocution nourrit alors l’intelligence du texte dans le duo de la folie entre Catherine et Smith, dont le portamento mûrit une certaine volupté dans la mort, finalement éventée, au crescendo vertigineux. Le penchant interdit qui lie Lakmé et Gérald donne lieu à un pure moment de théâtre, notamment grâce au chant syllabique exemplaire de Lawrence Brownlee – la leçon rossinienne docet – et à l’esprit de fraîcheur qui parcourt l’hymne à la jeunesse. Et c’est enfin au tour du nocturne de Norina et d’Ernesto, éblouissant dans l’allegretto, de clore ce bel itinéraire dans l’univers du belcanto par une note gaie : plus un au revoir, on peut le souhaiter, qu’un adieu.
Ivan Repušić accompagne consciencieusement ses interprètes d’un bout à l’autre et dirige scrupuleusement un Münchner Rundfunkorchester à son zénith.
Pour les amateurs, ils pourront très prochainement retrouver Erin Morley et Lawrence Brownlee au Terrace Theater du Kennedy Center de Washington, le 28 septembre, cette fois en récital, avec le concours de Gerald Martin Moore au piano. Une tournée européenne serait aussi la bienvenue !