Die Englische Katze, Munich (Cuvilliers-Theater), 07 novembre 2025
Une ouverture de saison de l’opéra de Bavière qui marque les débuts de la commémoration du centenaire de la naissance de Hans Werner Henze, l’an prochain en 2026. Cette nouvelle production de Die Englische Katze est une totale réussite avec un plateau exceptionnel, une mise en scène au service de l’œuvre et une direction superlative.
Créée en juin 1983 au festival de Schwetzingen dans une mise en scène du compositeur, cette Chatte anglaise, inspirée d’une courte nouvelle de Balzac, a eu droit à plusieurs productions outre-Rhin (à Hanovre dernièrement en novembre 2016), mais rien en France depuis sa création à l’Opéra-comique en 1984. Munich reprend le flambeau avec brio. Sur la scène du somptueux Cuvilliers-Theater, épargné par les bombardements de la dernière guerre, un dispositif ingénieux fait apparaître tour à tour un intérieur bourgeois, une chambre à coucher (où Minette apprend le violoncelle et reçoit son amant), des toits avec lucarne, ou encore une chapelle pour le mariage de Minette avec Lord Puff. Un toit escamotable à caissons en bois, ou encore une belle vue nocturne de Londres rappellent également l’époque de l’intrigue balzacienne. Les décors imaginés par Christian André Tabakoff agrémentés de costumes années 70 qui semblent inspirés de films de Fassbinder de Dorothee Joisten, et magnifiés par les lumières subtilement dosées de Benedikt Zehm, offrent un écrin idéal à la metteuse en scène Christiane Lutz pour restituer avec élégance, humour et fidélité la fable tragi-comique de Bond et Henze. On louera en particulier l’engagement de tous les instants des interprètes aussi bons chanteurs que comédiens, grâce à une direction d’acteurs d’une précision horlogère, même si l’on peut regretter l’absence de référence plus explicite à l’animalité des personnages (tous sont des chats, sauf des membres du jury qui sont des oiseaux, Louise qui est une souris et le procureur qui est un chien). Cette animalité transparaît cependant dans certaine gestuelle ad hoc, quelques coquetteries capillaires, et ici et là les « miaulements » intempestifs des cordes. La partition de cette « comédie de mœurs victorienne », comme la définit le compositeur allemand, a beau être bâtie selon un schéma plutôt traditionnel avec ses formes closes (« andantino », « aria », « duo », « terzetto », « canzona », « recitativo, arietta e rondò », et sa tempête, topos des opéras du XIXe siècle), elle est en effet d’une redoutable difficulté, en particulier pour les deux rôles principaux qui s’en sortent avec les honneurs et pour les ensembles, nombreux, qui ponctuent l’intrigue, menée sans temps mort, grâce à l’excellent livret d’Edward Bond. Ce dernier, important dramaturge anglais disparu en mars 2024, avait déjà collaboré avec Henze pour We come to the river en 1976 et Orpheus, un scénario de ballet créé en 1981.
Dans le rôle de Lord Puff, le ténor américain Michael Butler impressionne par son abattage scénique (mémorable, son bref coup de patte sur le testament de Tom au dernier acte) et son timbre d’une incroyable ductilité ; il incarne à la perfection ce gros matou amoureux de sa féline, mais encore plus de son statut de directeur de la société royale protectrice des rats. La Minette en question est campée par la soprano sud-coréenne Seonwoo Lee, au timbre diaphane et à la virtuosité époustouflante et sans faille (notamment dans son aria du I « O Mond »). Arnold, le neveu avide de l’héritage, trouve en Daniel Vening, jeune basse anglaise, un interprète de premier plan : des graves parfaitement assurés, une diction jamais prise en défaut (les récitatifs au tempo rapide sont légion), un chant chaleureux sont parmi ses principales, et non des moindres, qualités. Babette, la sœur prévenante de Minette a les traits et la voix de la mezzo américaine Meg Brilleslyper ; son amplitude vocale impressionne, aidée par l’acoustique généreuse de la salle. Tom, l’amant malheureux qui finira richissime avant d’être assassiné, est superbement incarné par le baryton Armand Rabot, lui aussi impeccable comédien. Son duo avec Minette au premier acte, lorsque les deux voix se superposent aux autres voix solistes, est proprement envoûtant, comme envoûtante est d’ailleurs l’orchestration de Henze, et pas seulement dans les (nombreux) interludes. Une mention spéciale à la souris Louise de Iana Aivazian, à qui reviendra le dernier mot. La soprano arménienne est impayable quand elle rappelle le triste sort de sa famille, mettant sa très grande facilité vocale au service d’un jeu de scène constamment efficace. Les autres rôles, nombreux, méritent tous les éloges, assurant, par leur engagement et leur homogénéité, la cohésion vocale de cette étrange et moderne société protectrice des rats qui, du temps de Balzac, anticipait la création de la S.P.A.
La cheffe Katarina Wincor dirige le Bayerisches Staatsorchester avec précision, énergie et subtilité, variant avec bonheur les effets tour à tour élégiaques, tranchants et diaphanes de la partition. Les opéras de Henze se font hélas trop rares en France : puisse cette magnifique production munichoise donner des idées aux théâtres de l’Hexagone.
Lord Puff : Michael Butler
Arnold : Daniel Vening
Mr Jones / Der Richter / Mr Fawn : Zhe Lieu
Tom : Armand Rabot
Peter : Samuel Stoford
Mr Keen / Der Verteidigter / Der Pfarrer : Dafydd Jones
Minette : Seonwoo Lee
Babette : Meg Brilleslyper
Louise : Iana Aivazian
Miss Crisp : Elene Gvritishvili
Mr Gomfit : Nontobeko Bhengu
Lady Toodle : Jess Dandy
Mr Plunkett / Der Staatsanwalt : Bruno Koury
Betty, eine Gesschworene : Lucy Altus
Bayerisches Staatsorchester : dir. Katarina Wincor
Mise en scène : Christiane Lutz
Scénographie : Christian André Tabakoff
Costumes : Dorothee Joisten
Lumières : Benedikt Zehm
Dramaturgie : Olaf Roth
Die Englische Katze
Opéra en deux actes de Hans Werner Henze, livret d’Edward Bond d’après Peines d’amour d’une chatte anglaise de Balzac, créé au Festival de Schwetzingen le 3 juin 1983.
Opéra de Munich (Cuvilliers-Theater), représentation du vendredi 07 novembre 2025.

