Graun est suffisamment rare pour ne pas saluer cette belle production qui rend hommage à l’un des compositeurs préférés de Frédéric II. Inspiré du Britannicus de Racine, le Britannico de Graun avait toute sa place à Port-Royal des Champs, là où Racine fut élève. Malgré d’inévitables coupures, cette résurrection bienvenue est assurée par une distribution très prometteuse.
Moins connu que son frère aîné Johann Gottlieb Graun pour sa musique instrumentale, et que son compatriote Johann Adolf Hasse autrement mieux célébré, Carl Heinrich Graun composa une petite trentaine d’opéras, dont les reprises à l’époque moderne se comptent sur les doigts d’une main, même si une « Graunmania » commence à poindre depuis quelques années. On connaît en effet son Montezuma, sur un livret imaginé par le roi de Prusse, jadis en partie exhumé par Joan Sutherland, puis maintes fois enregistré ; il y a trente ans, René Jacobs gravait pour Harmonia Mundi son Cleopatra e Cesare, qui inaugura en 1742 l’opéra de Berlin, tandis que plus récemment, en 2023, Ira Hochman gravait pour CPO son Ifigenia in Aulis après avoir enregistré son Polydorus et que l’infatigable Alessandro de Marchi, après l’avoir donné au Festival d’Innsbruck, enregistrait un formidable Silla. On peut se faire une idée d’une grande partie de sa production opératique grâce à Julia Lezhneva qui lui consacrait tout un récital d’aria tirés d’une douzaine d’opéras (Operas arias chez Decca avec l’excellent Concerto Köln). C’est dire l’intérêt de cette résurrection qui révèle une œuvre d’une très grande beauté musicale, malgré un effectif instrumental des plus réduits (douze musiciens seulement) et l’exiguïté des lieux (la grange du musée de Port-Royal des Champs qui réouvre après 20 mois de travaux). Pas de décors, mais de très beaux costumes chamarrés du metteur en scène Charles Di Meglio. On regrettera évidemment les trop nombreuses coupures (un personnage, Burro précepteur de Néron, y est même sacrifié, et ses airs avec) ramenant les 3h30 de musique à 2h20, délestée également de ses ballets (« des athlètes », des « licteurs » et des « esclaves de différentes nations »). Mais plus grave, la suppression quasi systématique des da capo, pilier essentiel de l’aria dans ce genre de répertoire où le paradigme rhétorique structure à la fois les récitatifs, élément dynamique de l’action, et l’aria, élément statique, réceptacle des affects et des troubles pathétiques du personnage. La frustration est d’autant plus grande que les airs sont splendides, après une ouverture en trois mouvements (allegro/andante/allegro) du plus bel effet.
Pour redonner vie à cette partition brillante (crée en juin dernier à Sarrebourg), le jeune ensemble a réuni une distribution très homogène dominée par l’Agrippina impressionnante de Béa Droz, voix d’airain, belle projection et diction impeccable (son aria di sdegno du deuxième acte, « Mi paventi il figlio indegno » un des rares à respecter le da capo, est un morceau d’anthologie). Le rôle-titre est excellement incarné par Tanaquil Ollivier, soprano prometteuse aux riches harmoniques, déjà remarqué par Stéphane Fuget avec qui elle collabore ; son « Non v’intendo, labbra amate » à la fin du premier acte, à la fois intense, délicat, gorgé de pathos, montre toute la variété expressive de son timbre solidement charpenté. Néron a les traits du sopraniste Nicolas Ziélinski, voix flûtée qui compense un timbre légèrement étriqué par une élocution sans faille et de plus grandes facilités dans l’aigu et le suraigu (superbe aria di bravura en clôture du premier acte, « Vanne al rivale odiato »). Graun lui a également réservé de beaux airs pathétiques, comme ce « Non vi turbate » du premier acte, accompagné par les arpèges des cordes, qui confirme que cette musique, quintessence du bel canto baroque, est constamment séduisante. L’amante de Britannicus, Giunia, a les traits de Sarah Rodriguez, dont la verdeur du timbre est contrebalancée là aussi par une impressionnante maîtrise dans les airs virtuoses, caractéristiques de ce repertoire, mais qui sait également enchanter et émouvoir dans le bel aria-lamento « negare l’amore » (I, 9). La distribution est complétée par les deux personnages secondaires de Narcisso, précepteur de Britannicus qu’il finit par trahir, campé par Loïc Paulin, à la voix par trop nasillarde et à l’italien peu orthodoxe, et d’Albina, confidente d’Agrippine, défendue par Zoé Chabert, qui a droit au début du deuxième acte, à un très bel air, « Placa il turbato sen », préservé de son da capo.
Les douze instrumentistes de l’ensemble CavrosArts sont cornaqués avec rigueur et souplesse par le violoniste Paulo Castrillo. Le nombre limité de musiciens permet une attention plus grande au texte, principal réceptacle des affects, et au dialogue rhétorique que la parole éloquente entretient avec l’instrument qui ne l’est pas moins.
Nerone : Nicolas Ziélinski
Agrippina : Béa Droz
Giunia : Sarah Rodriguez
Britannico : Tanaquil Ollivier
Narcisso : Loïc Paulin
Albina : Zoé Chabert
Compagnie Cavrosarts : violon et dir. Paulo Castrillo
Mise en scène et costumes : Charles Di Meglio
Assistante costumes : Brigitte Jakimowicz
Britannico
Tragedia per musica en trois actes Carl Heinrich Graun, livret de Leopoldo di Villati, créé en 1751 au théâtre Royal de Berlin.
Musée de Port-Royal-des-Champs, représentation du 19 septembre 2025
1 commentaire
Très bel opéra, dont l’épuration, donne un modernisme, et une accessibilité plus grande même aux non initiés….
Mon émotion personnelle pour la voix de Béa Droz
Mais un franchement grand bravo à tous !