Reprise de l’émouvante Aïda de Daminao Michieletto à Florence. Un spectacle auquel l’actualité confère une tonalité particulièrement sombre…
Au Teatro del Maggio de Florence, le dernier opéra au programme du 87e Festival du Maggio Musicale Fiorentino est Aida de Giuseppe Verdi, dirigé par Zubin Mehta dans la production mise en scène par Damiano Michieletto à Munich qui a débuté à Munich il y a exactement deux ans ; Renato Verga en avait rendu compte à l’époque sur Première Loge. Une mise en scène qui laisse de côté l’Égypte, le peu de triomphalisme et les moments festifs de la première partie pour une mise en scène dans un scénario de guerre contemporain, dans lequel sont surtout mises en relief les misères et les souffrances : un gymnase au plafond bombardé duquel tombent des cendres et des débris, qui formeront, dans la deuxième partie, la seule pyramide, noire, qui apparaît sur scène.
Les dirigeants eux-mêmes apparaissent comme des réfugiés miséreux ; les ballets et la marche triomphale sont remplacés par une petite fête pour les enfants réfugiés et une sombre cérémonie de remise des prix aux héros victorieux, blessés, mutilés dans des fauteuils roulants, tandis que défilent des images de visages tuméfiés et ensanglantés et de massacres de civils, dont des femmes et des enfants. Le message est clair, et les événements de ces derniers mois le rendent dramatiquement actuel. À tel point que le théâtre, dans un message lu avant le début du spectacle, l’a dédié à toutes les victimes visibles et invisibles des conflits et à tous les constructeurs de paix, soulignant qu’aucune raison ne saurait justifier la moindre victime innocente. Une initiative louable, saluée par de longs applaudissements convaincus du public, manifestement plus enclin au pacifisme qu’au bellicisme, et qui s’accordait presque parfaitement, donc, avec l’interprétation de Michieletto. On pourrait avantageusement éliminer certains détails, dans cette mise en scène, mais la structure globale est efficace et offre des moments d’un grand impact théâtral.
D’un point de vue musical, Zubin Mehta, qui compte Aïda (dirigée par lui au Maggio pour la première fois en 1969, puis reprise deux fois à Florence) parmi ses opéras préférés, opte pour des tempi lents et dilatés qui, surtout dans la première partie, créent parfois des difficultés aux chanteurs. Dans la seconde partie, l’accord entre scène et fosse s’améliore, notamment parce que, dans cette interprétation de Mehta, les moments les plus lyriques sont les plus réussis. Le finale est particulièrement envoûtant ; Olga Maslova (une Aïda pas encore parfaitement au point, malgré ses dons vocaux naturels) y trouve ses meilleurs accents : plus qu’une mort, c’est une transfiguration, un passage vers un monde de paix et de musique avec des personnages scéniques vaguement fantastiques (violoniste et accordéoniste, couples heureux, enfants avec des ballons… tous probablement morts à cause de la guerre) qui évoluent au ralenti ; des personnages également vaguement felliniens, mais évoquant aussi Zavattini-De Sica (la dernière scène du film Miracle à Milan).
SeokJong Baek est un Radamès à la voix claire et sonore ; Daniela Barcellona, tout juste arrivée en remplacement la semaine dernière, après quelques premières mesures où l’habituelle homogénéité de son émission faisait défaut, a esquissé une Amneris très intense et convaincante ; elle a été peut-être la meilleure sur scène, pour son incisivité et sa qualité d’interprétation. L’Amonasro de Daniel Luis de Vicente et le Ramfis de Simon Lim se sont montrés solides. La performance du Coro del Maggio, formé par Lorenzo Fratini, a été exceptionnelle, tant d’un point de vue musical que scénique.
Applaudissements nourris et ovation debout à l’entrée en scène de Zubin Mehta, à qui le public florentin voue un amour indéfectible. L’apparition de Damiano Michieletto a suscité quelques protestations du public (il faut dire que depuis 1969, à Florence, il n’y a eu que deux productions d’Aïda, reprises plusieurs fois jusqu’en 2011, et toutes deux traditionnelles), mais elles sont restées minoritaires.
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Reprises les mercredi 25 juin et mardi 1er juillet à 20h ; dimanche 22 juin à 15h30 et samedi 28 juin à 17h.
Aïda : Olga Maslova
Radamès : SeokJong Baek
Amneris : Daniela Barcelone
Amonasro : Daniel Luis de Vicente
Ramfis : Simon Lim
Le Roi : Manuel Fuentes
Une prêtresse : Suji Kwon
Un messager : Yaozhou Hou
Danseurs : Mauro Barbiero, Elena Barsotti, Andrea Bassi, Carolina Braus, Nicolò Brescia, Rosario Campisi, Alessandro Ciardini, Leonardo Cirri, Maria Diletta Della Martira, Maria Novella Della Martira, Caterina Frani, Giampaolo Gobbi, Edoardo Groppler, Enrico L’Abbate, Nicola Monticelli, Leonardo Paoli, Andrea Papi, Livia Risso – Enfants : Arianna Barberi, Davide Calastrini, Simone Cardoso, Annajulia Daniels, Natalie Daniels, Silvia De Santis, Maria José Floriano, Anita Giuliani, Gemma Granato, Carol Haxhari, Anna Iannello, Ariana Lotti, Alma Diana Lucherini, Alice Manni, Giuseppe Marcantonio, Elsa Mayer, Kai McMillan, Maria Vittoria Nocentini, Maya Sarti
Orchestre et Chœur du Maggio Musicale Fiorentino, premier violon et chef d’orchestre : Zubin Mehta
Chef de chœur : Lorenzo Fratini
Mise en scène : Damiano Michieletto
Décors : Paolo Fantin
Costumes : Carla Teti
Lumières : Alessandro Carletti
Vidéo : rocafilm | Roland Horvath
Dramaturgie : Mattia Palma
Mouvements chorégraphiques : Thomas Wilhelm
Aida
Opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi, livret d’Antonio Ghislanzoni d’après une intrigue d’Auguste Mariette, créé le 24 décembre 1871 à l’Opéra khédival du Caire.
Florence, représentation du jeudi 19 juin 2025.