Barbe-bleue de Jacques Offenbach, opéra-bouffe retaillé pour Opéra Junior à Montpellier, enchante le tout public et les scolaires.
En 2025, le choix de l’opéra-bouffe Barbe-Bleue d’Offenbach (1866) renvoie à celui des Aventures du roi Pausole d’Honegger (Opéra Junior en 2022). Mais ici, les frasques de l’ogre Barbe-Bleue, adaptées par les librettistes complices Meilhac et Halévy, caricaturent tant l’appétit d’un prédateur sexuel que les codes du mariage bourgeois sous Napoléon III. En retaillant les dialogues du livret et en ajoutant trois interludes qui rythment ce spectacle continu (1h 40), la metteuse en scène Marion Guerrero tente de tirer ce livret plutôt machiste vers l’horizon de l’après #MeToo et l’après Mazan. Les scènes dialoguées du tribunal où comparaît le prédateur sont les plus réussies, tant le potentiel choral d’Opéra Junior et le charisme des avocates (la défense et l’accusation) s’incarnent dans une scénographie lisible et des costumes actuels (Daniel Fayet). Le final chorégraphié en comédie musicale valorise le swing, d’autant qu’il est lancé par l’adjonction d’un gospel. Certes, la satire sociale des co-auteurs du XIXe siècle est plus outrancière que dans La Vie parisienne et moins humoristique que dans Le Voyage dans la lune. Toutefois, le jeu scénique peine à libérer la spontanéité des jeunes, à l’exception de celle des hardies avocates du tribunal (Cyriaque Alarcos, Finoana Beulque) et du misogyne roi Bobèche (Cyriaque Alarcos), trois rôles qui dynamitent leurs scènes respectives. L’esprit décalé se réfugie dans la cohorte des jeunes visiteurs Trumpistes (chœur) sous l’hygiaphone d’une guide casquettée. Selon les codes de l’opérette, l’ajout de lazzi contemporains s’élargit au format d’interludes télévisuels (les infos), clouant au pilori les restrictions budgétaires, notamment de la Culture.
Du côté des forces musicales, l’engagement d’Opéra Junior[1] est au rendez-vous de chaque production montpelliéraine. Ici, les adolescents de la Classe Opéra (11 à 16 ans) et leurs aînés du Jeune Opéra (16 à 25 ans) font merveille dans les ensembles, préparés par le chef de chœur, Albert Alcaraz. Relevons l’humour offenbachien du chœur des courtisans, de celui du baise-main (proche de l’Air des baisers de Cupidon dans Orphée aux enfers). Dans la fosse, Jérôme Pillement fédère les musiciens de l’Orchestre national de Montpellier et de l’Orchestre du Conservatoire à Rayonnement Régional de Montpellier (des étudiants), privilégiant le burlesque plutôt que la légèreté d’une partition trépidante. Le moment de poésie (hoffmannienne) surgit du tableau de la prison des six femmes, plongées dans un profond sommeil contrairement au macabre conte de Perrault.
Parmi les solistes, le ténor Gabriel Rixte incarne le polygame Barbe-Bleue, plus désinvolte que pervers, déroulant avec souplesse la légende « Ma première femme est morte », comme sa rengaine « Je suis Barbe-Bleue, ô gai ». Dans le rôle de Boulotte, Hermione Delaygue dégage la verve d’une fille du peuple décomplexée avec un mezzo bien projeté, tandis que la soprano Magali Pujol (Fleurette, Princesse Hermia) fait gracieusement valser les tempi de ses airs. Les autres chanteuses et chanteurs, sobrement sonorisés par une « reprise », dévoilent la fraîcheur des jeunes et la qualité d’un travail d’équipe. Aussi, aux saluts, le public acclame les jeunes survoltés sur le plateau de l’Opéra-Comédie. Grâce à leur pratique scénique et lyrique, voilà une génération gagnée à la cause de l’opéra !
[1] Parmi les plus jeunes structures de formation artistique pour jeunes dans les théâtres français, Opéra Junior est fondé en 1990 à Montpellier.
Barbe-Bleue : Gabriel Rixte
Boulotte : Hermione Delaygue
Solistes d’Opéra Junior
Orchestre national de Montpellier Occitanie et Orchestre du Conservatoire à Rayonnement Régional de Montpellier, dir. Jérôme Pillement
Chœur d’Opéra Junior, dir. Albert Alcaraz
Mise en scène et adaptation du livret : Marion Guerrero
Scénographie et costumes : Daniel Fayet
Lumières : Olivier Modol
Barbe-Bleue
Opéra-bouffe de Jacques Offenbach, livret d’Henri Meilhac et de Ludovic Halévy, créé au Théâtre des Variétés le 5 février 1866.
Montpellier, Opéra Comédie, représentation du mardi 29 avril 2025.