C’est dans le cadre d’une nuit des Musées bien particulière qu’a été donnée cette Mireille de Gounod.
Après onze ans de fermeture et un chantier colossal, le Museon Arlaten, musée arlésien d’ethnologie crée par Frédéric Mistral en 1899 puis installé, dès 1904, sur les lieux de l’ancien collège des Jésuites dans l’écrin somptueux de l’hôtel Laval-Castellane, a résonné des accents émouvants de la célèbre « pèlerine de l’amour ».
Ce projet particulièrement bienvenu a voulu répondre, dans l’esprit de ses organisateurs, à deux objectifs :
– la mise en valeur de l’ensemble architectural exceptionnel qui, depuis les vestiges du forum romain, constitue la cour du Museon Arlaten et a franchi jusqu’à nous les époques et les modes ;
– la mise en musique de ce lieu par une partition également d’exception, souvent peu ou mal connue, symbolisant la rencontre entre le génie de deux hommes : Frédéric Mistral et Charles Gounod.
Sans avoir la prétention d’égaler d’illustres représentations de Mireille, le choix de la transcription piano-chant, fidèle à l’édition Henri Busser incluant les récitatifs chantés, aura permis, même en version réduite – le concert durait 1h 15 sans entracte – de dévoiler à un très large public, pas forcément de connaisseurs, cette énergie simple dans sa fragilité, ce sens du tragique et du sacré, qui constituent toute la richesse de la partition de Gounod.
Il faut dire que du côté de la distribution, on dispose d’un quatuor de jeunes artistes éclectiques, déjà confirmés tant dans le domaine lyrique que dans celui de la musique sacrée, du récital, voire d’univers musicaux à l’occasion bien éloignés de l’Opéra. Pour cette soirée, tous abordaient leur rôle pour la première fois, soutenus par une mise en espace réalisée par Hervé Casini qui permet souvent de mettre en valeur le décor naturel de la Cour et l’action dramatique de l’ouvrage. C’est autour des personnages de Taven, Ourrias, Vincent et Mireille qu’est recentrée la trame. Ainsi, pour les besoins du final – le somptueux « Sainte ivresse ! Divine extase ! » – le chœur se fait quatuor et il revient aux interprètes d’Ourrias et de Taven de lancer les émouvantes dernières phrases de Ramon, le père de Mireille, et de la voix céleste…
Il est à souligner ici le remarquable travail de Thibaud Epp, pianiste et chef de chant à l’Opéra de Nice et répétiteur vocal pour de grandes maisons d’Opéra (on lui doit dernièrement, outre un Werther niçois de belle facture, la dernière édition de La Tétralogie de Richard Wagner pour l’Opéra National de Paris). Constamment attentif aux solistes et sachant les mettre en relief, ce pianiste fait bien plus qu’accompagner mais, dans une acoustique naturelle de très belle qualité, fait sonner son instrument comme un orchestre. Les extraits choisis auront ainsi permis d’entendre les beautés instrumentales dont regorge la partition, en particulier le prélude de l’acte III (« Le Val d’enfer ») aux accents tout droit hérités du romantisme allemand d’un Weber et d’un Mendelssohn, et la célèbre marche des pèlerins de l’acte V, inspirée du cantique de St Gent dont Mistral avait soufflé le thème à Gounod.
Emanuelle Zoldan (Crédit photo : © Corinne Le Gac)
On a plaisir à entendre, dans le rôle de Taven, Emmanuelle Zoldan, bien connue des lecteurs d’Opérette-Théâtre musical. Avec cette interprète, dont les moyens naturels de mezzo-soprano grave correspondent totalement à l’écriture souhaitée par le compositeur, la chanson « Voici la saison, mignonne » conserve son côté inquiétant et les imprécations contre Ourrias, lors de la scène du Rhône, prennent toute leur ampleur dramatique.
Pour Ourrias, bouvier de Camargue, certes, mais également gentilhomme provençal, le choix s’est judicieusement porté sur le baryton d’origine coréenne Jiwon Song, dont la carrière sur la plupart des Opéras de région a pris, ces dernières années, un très bel envol. Magnifiquement projetée (lors du duel contre Vincent par exemple), le mordant de cette voix est également capable de soyeux, en particulier sur la magnifique phrase : « Ourrias vainqueur se courbe à tes pieds pour gagner ton cœur ! », chantée pianissimo, comme écrit dans la partition.
Anne Calloni et Antonel Boldan - © Rémi Bénali, Cd13 – Coll. Museon Arlaten – musée de Provence
Découverte en revanche, pour nous, que le ténor d’origine roumaine Antonel Boldan. Familier des scènes lyriques internationales, cet attachant interprète tenait particulièrement à chanter Vincent au Museon et a réussi à jongler avec un agenda compliqué qui l’amenait, seulement quelques jours après, à s’envoler pour Jérusalem pour y incarner Rodolfo dans La Bohème ! Authentique émission de ténor lyrique – et non de lyrique léger comme trop souvent distribué en Vincent – , Antonel Boldan, dans un souci constant du beau son mais jamais aux dépens de l’interprétation dramatique, cisèle un personnage psychologiquement crédible – même dans une version abrégée – et donne à entendre une cavatine « Anges du Paradis » éclatante comme le brûlant soleil d’été auquel le texte de Michel Carré fait référence. Sans nul doute, un ténor à suivre.
C’est à Anne Calloni, qu’avait été confié le rôle-titre, si chargé de souvenirs et de difficultés vocales !
De plus en plus familière des maisons d’Opéra (elle incarnait, juste avant la crise sanitaire, Prilepa dans La Dame de Pique mise en scène par Olivier Py à Nice), musicienne dont on a déjà eu l’occasion de souligner la rigueur, Anne Calloni a su prendre possession de tous les volets du personnage, donnant à voir et à entendre la fragilité et le côté lumineux du personnage mais aussi sa liberté et sa détermination, en particulier dans la fameuse scène de La Crau, si techniquement pleine d’embûches, que l’interprète sait maîtriser pour parvenir à un final d’une grande force dramatique où la voix s’élève à cette dimension mystique, souvent si difficile à trouver…
À voir, aux saluts, les visages d’un public heureux et conquis, on se disait qu’il serait dommage de ne pas renouveler les projets lyriques dans un tel espace !
Jiwon Song, Anne Calloni, Emmanuelle Zoldan, Antonel Boldan © Rémi Bénali, Cd13 – Coll. Museon Arlaten – musée de Provence
Mireille Anne Calloni
Vincent Antonel Boldan
Taven Emmanuelle Zoldan
Ourrias Jiwon Song
Piano et chef de chant Thibaud Epp
Mise en espace Hervé Casini
Mireille (extraits)
Opéra en 5 actes de Charles Gounod, livret de Michel Florentin Carré, d’après Mirèio, Pouèmo prouvençau de Frédéric Mistral (1859), créé le 19 mars 1864 au Théâtre-Lyrique (Paris). Version Henri Busser avec récitatifs chantés créée à l’Opéra-Comique le 7 juin 1939.
Représentation du samedi 3 juillet 2021, cour du Museon Arlaten – Arles.