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Werther à Nice, ou l’acclimatation réussie du Sturm und Drang à la Côte d’Azur…

par Stéphane Lelièvre 5 juin 2021
par Stéphane Lelièvre 5 juin 2021
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Crédit photos : © Dominique Jaussein

On peut ne pas adhérer à la vision de Werther proposée par les metteurs en scène Sandra Pocceschi et Giacomo Strada. On ne peut, en revanche, nier la grande cohérence qui la sous-tend, ni l’intelligence avec laquelle elle a été pensée : le personnage éponyme, même transformé en jeune homme d’aujourd’hui, garde l’essentiel de ses caractéristiques romantiques, à commencer par un sentiment d’insatisfaction profonde qui l’empêche de se fixer et le met toujours en mouvement, en quête d’un idéal inaccessible. D’où cette figure de vagabond, de Wanderer que l’on découvre pendant le prologue, un vagabond que le microcosme rassurant offert par la petite ville de Wetzlar va retenir un instant, fallacieux havre de paix, image d’un bonheur à portée de main – générée surtout par l’image idéalisée de Charlotte. Ce microcosme se trouve réduit à une serre dans laquelle le bailli cultive, avec l’aide Johann et de Schmid, différents fruits et fleurs. Si l’image surprend dans un premier temps, elle s’avère en fait poétiquement et dramatiquement très efficace : elle permet, par l’omniprésence de l’élément  végétal, une référence constante à la nature, jusque dans ses métamorphoses au fil des saisons, des fruits mûrs de la saison estivale au dénuement extrême de l’hiver ; mais elle permet également une opposition forte entre le végétal, règne de la beauté éphémère et du perpétuel recommencement, et le minéral, règne de l’immuable, de la pesanteur, qui peut s’avérer mortifère mais permet aussi de pérenniser les choses, en gravant  un destin dans la pierre et en l’érigeant en mythe, tel celui de Werther, dont l’image se superpose à celle du Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar Friedrich dans un tableau final saisissant.

Cette lecture fine de l’œuvre se double, sur scène, d’une direction d’acteurs très pointue, et donne lieu également à quelques tableaux vraiment marquants : la silhouette de la défunte mère de Charlotte, qui grandit progressivement au point d’envahir tout l’espace ; ou encore la scène, poignante, du retour d’Albert au 3e acte : lorsque son mari pénètre dans la serre, Charlotte a déjà reçu le message de Werther demandant qu’on lui prête les pistolets de son ami. Anéantie, la jeune femme demeure immobile, complètement tétanisée, aveugle et sourde à tout ce qui passe autour d’elle, et notamment aux appels de son mari ; ou encore le superbe plan d’une météore se précipitant vers la Terre pendant l’interlude symphonique du 4e acte, double image de Charlotte accourant au chevet de Werther, et de la mort qui s’apprête à frapper le jeune homme.

L’émotion suscitée par le spectacle aurait-elle été la même sans l’équipe de chanteurs réunis pour l’occasion ? Outre l’impeccable équipe de seconds rôles (un couple Schmidt/Johann – Thomas Morris et Laurent Deleuil – drôle et bien chantant ; un bailli – Ugo Rabec – plus jeune et moins caricatural que d’habitude), les quatre personnages principaux se révèlent être d’une crédibilité physique et vocale totale. Jean-Luc Ballestra est un Albert glaçant, qui laisse cependant deviner les souffrances qu’engendre pour lui aussi cette tragédie. Jeanne Gérard est une Sophie vocalement très soignée, plus lyrique et moins acidulée qu’à l’accoutumée, ce qui lui confère un relief d’autant plus intéressant que la mise en scène en fait une possible rivale de Charlotte (Sophie presse amoureusement un habit de Werther que le jeune homme a oublié dans la serre…). Anaïk Morel est une Charlotte d’apparence physique très jeune, ce qui rend encore plus insupportable et anti-naturel le rôle de mère qu’on l’oblige à tenir de façon précoce. Vocalement cependant, la voix est bien celle d’un mezzo-soprano dramatique, au timbre chaud dans le grave de la tessiture et aux aigus vaillants, capable aussi bien de toute la douceur requise pour le Clair de lune que des éclats dramatiques du 3e acte (très beau « Mon courage m’abandonne ! », intensément vécu). Reste la prise de rôle de Thomas Bettinger, couronnée d’un très beau succès public. Le ténor, jeune d’allure et de voix, propose un portrait de Werther constamment émouvant, bouleversant parfois : la ligne de chant est superbement nuancée (sans verser pour autant dans le maniérisme), la voix n’est jamais forcée (les aigus sont le plus souvent émis en voix mixte et ne sont chantés forte qu’à quelques moments stratégiques de l’œuvre, tels le « Appelle-moi » de la fin du II), et la diction d’une parfaite intelligibilité. Une superbe réussite !

Il faut enfin souligner l’extrême qualité de l’orchestre de Nice, qui réussit, malgré un effectif allégé (la partition a fait l’objet d’une – habile – réduction  signée Petter Ekman), à conserver intacts le moelleux et le mordant de la musique, sans jamais sonner « maigre » ou « acide ». Il est placé sous la direction amoureuse d’un Jacques Lacombe qui connaît son Werther par cœur pour avoir dirigé l’œuvre une cinquantaine de fois (la dernière représentation en date étant celle du  9 avril 2016 : c’était à Paris, pour les prises de rôle de Juan Diego Florez et de Joyce DiDonato au Théâtre des Champs-Élysées). Jacques Lacombe trouve, pour chaque tableau, les couleurs poétiques idoines, sans jamais perdre de vue pour autant la progression dramatique de l’œuvre : l’émotion qui se dégage in fine de la représentation lui doit beaucoup.

Malgré la pandémie et les conditions de travail particulièrement difficiles qui s’en sont suivies, l’Opéra de Nice est donc parvenu à créer l’événement plusieurs fois cette année : avec Akhnaten tout d’abord (la production devrait faire l’objet d’une reprise la saison prochaine) ; avec la captation d’une très belle Dame Blanche par la suite ; et avec ce Werther auquel le public, ravi, a pu enfin assister autrement qu’en streaming. L’annonce de la programmation de la saison 2021-2022 est imminente : Première Loge en avertira bien sûr aussitôt ses lecteurs !

Les artistes

Werther   Thomas Bettinger
Albert   Jean-Luc Ballestra
Le Bailli    Ugo Rabec
Schmidt   Thomas Morris
Johann   Laurent Deleuil
Brühlmann   Philippe Zang
Charlotte   Anaïk Morel
Sophie   Jeanne Gérard
Kätchen   Victoria Dupuy

Orchestre Philharmonique de Nice, choeur d’enfants de l’Opéra de Nice, dir. Jacques Lacombe
Mise en scène  Sandra Pocceschi et Giacomo Strada

Le programme

Werther

Drame lyrique en 4 actes de Jules Massenet, livret d’Edouard Blau, Paul Millet et Georges Hartmann d’après Goethe, créé (en allemand) à l’Opéra Impérial de Vienne le 16 février 1892 (création dans la langue originale française le 27 décembre 1892 à Genève)

Opéra Nice Côte d’Azur, représentation du vendredi 4 juin 2021

 

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Stéphane Lelièvre

Stéphane Lelièvre est maître de conférences en littérature comparée, responsable de l’équipe « Littérature et Musique » du Centre de Recherche en Littérature Comparée de la Faculté des Lettres de Sorbonne-Université. Il a publié plusieurs ouvrages et articles dans des revues comparatistes ou musicologiques et collabore fréquemment avec divers opéras pour la rédaction de programmes de salle (Opéra national de Paris, Opéra-Comique, Opéra national du Rhin,...) Il est co-fondateur et rédacteur en chef de Première Loge.

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