Du Gothique flamboyant à l’Opéra de Nice : La Dame blanche de François Adrien Boïeldieu

Opéra de Nice : La Dame blanche en version semi-scénique, à découvrir en streaming prochainement !

Triomphe parmi les plus remarquables du répertoire de la salle Favart, de sa création en 1825 à sa… 1675ème soirée à la veille de la Première Guerre Mondiale, La Dame blanche, depuis son retour l’an dernier à l’Opéra-Comique connaît un regain d’intérêt qui, malgré une intrigue peu vraisemblable, tombe sous l’évidence d’une partition à absolument défendre[1].

Entre air du temps et efficacité scénique

Dédiée à la duchesse de Berry par un Boïeldieu aux probables sympathies monarchistes, La Dame blanche, adaptée de Walter Scott, s’inscrit dans la lignée de ce style gothique – ou troubadour – dont le romantisme européen était alors friand.  Dans cette co-production avec l’Opéra-Comique et l’Opéra de Limoges, la scénographie originale signée Pauline Bureau avec la collaboration d’Emmanuelle Roy (décor) et Nathalie Cabrol (vidéo) aurait dû permettre de faire oublier les longueurs souvent incohérentes d’un livret qui n’est, pour nous, pas du meilleur Eugène Scribe, en faisant constamment voyager le spectateur entre rêve et réalité, le plongeant dans une fantasmagorie très esthétique et se permettant même, à l’occasion, quelques beaux tours de magie signés Benoît Dattez. La crise sanitaire étant passée par là, les décors – et une partie des costumes – sont donc restés à Paris obligeant Valérie Nègre, dans sa reprise de la production, à faire assaut de – bonnes – idées et à salutairement réduire les dialogues parlés ! De fait, dans cette version niçoise semi-scénique, à l’exception de quelques kilts et autres bruitages (vent, tonnerres et éclairs), la couleur locale laisse davantage la place à une sorte de work in progress où les solistes s’habillent sur le plateau pendant la brillante ouverture – composée par un certain… Adolphe Adam, alors élève du compositeur – s’adonnent à quelques exercices vocaux pendant « l’entracte » et, assis autour de la scène, assistent aux numéros chantés de leurs collègues. C’est finalement à un autre spectacle que celui donné l’an dernier à Paris que l’on assiste et ce que l’on perd ici en romantisme est peut-être gagné en efficacité scénique, dans une intrigue souvent invraisemblable en dépit d’un point de départ intéressant et inspiré à Boïeldieu, au-delà de l’Ecosse de Scott, par le souvenir de ces familles d’émigrés qui, sous la Restauration, récupérèrent certains de leurs biens confisqués à la Révolution, parfois avec l’aide de leurs anciens métayers…

Un ouvrage à l’écriture musicale accomplie

Ce qui marque avant tout l’auditeur qui découvrirait la partition, c’est le brillant et l’éclat d’une œuvre qui faisait l’admiration d’un Carl Maria Von Weber auquel elle fait irrésistiblement penser, avec son mélange de fraîcheur mélodique et d’énergie distinguée. Pas d’effets démonstratifs superflus dans cette musique où tout est écrit avec le plus grand soin, faisant de cet ouvrage un modèle du genre, de l’air d’entrée de Georges Brown « Ah ! quel plaisir d’être soldat » à l’air d’Anna au dernier acte « Comme aux jours de mon jeune âge », en passant par le concertato de la fin de l’acte II « Oh ciel, quel est donc ce mystère ? » et le magnifique ensemble formé par le chœur et le ténor principal où Boïeldieu puise directement son inspiration dans un vieil air écossais, « Robin Adair ».

Une distribution qui tient ses promesses

Sophie Marin-Degor

Luca Lombardo

« À Nice, on aime les voix ! », comme aime à le répéter Bertrand Rossi, le directeur général des lieux. Il est vrai que la relation entre La Dame blanche et le théâtre de la rue St François-de-Paule  commence dès la « saison française » de 1847, à une époque où le Théâtre Royal de la ville, alors italienne, est administré par des directeurs français. L’ouvrage fait ainsi partie du patrimoine génétique musical de l’établissement et la décision de le reprendre, la saison prochaine, en réunissant toutes les conditions scéniques de son succès est évidemment à saluer. D’autant plus que l’on y retrouvera la distribution solide réunie pour ce streaming.

Le couple Jenny-Dickson est particulièrement « incarné » par Sophie Marin-Degor – qui tenait déjà l’emploi salle Favart et continue à parfaitement ciseler sa ballade-tube de l’ouvrage « D’ici, voyez ce beau domaine » – et Luca Lombardo dont on découvre avec plaisir les affinités avec ce répertoire où il est indispensable de disposer d’une voix suffisamment ample et bien projetée. Si le baryton Laurent Kubla, au volume sonore pourtant adapté, est d’une presque trop grande sobriété (mais notre goût n’est-il pas « déformé » par l’évolution de cette typologie vocale ?), on demeure moins convaincu par la performance de Marie Kalinine, dans un emploi certes peu valorisant pour les moyens vocaux et dramatiques de cette belle interprète. Dans un rôle de composition souvent récurrent dans le genre opéra-comique, celui du juge de paix Mac-Irton, Mickael Guedj est totalement adéquat.

Patrick Kabongo (© Michele Monasta)

Amélie Robins

Mais c’est évidemment sur les deux principaux protagonistes, Anna et Georges, que repose avant tout la séduction irrésistible de la partition. À ce stade de sa carrière, Amélie Robins dispose selon nous de l’exact calibre destiné au rôle, celui d’un soprano lyrique-léger à l’aigu certes brillant mais qui doit également avoir de la couleur dans le grave. En outre, l’interprète est toujours très engagé et prend visiblement beaucoup de plaisir à ce type de personnage nimbé d’irréel et de poésie romantique. Quant à Patrick Kabongo, après un début timide, il sait délivrer la leçon de chant qui s’impose ici : maîtrisant les nuances d’une belle palette vocale et le passage en voix mixte pour les nombreux aigus de sa cavatine, ce jeune ténor à l’authentique émission di grazia est également un interprète convaincant, sachant particulièrement bien restituer le côté débonnaire si attachant du personnage.

On retrouve avec grand plaisir l’orchestre philharmonique de Nice et le Chœur de l’Opéra qui, respectivement placés en fond de scène et en loges , n’en occupent pas moins le premier rôle dans cette si exigeante partition, et ce d’autant plus qu’il est dirigé avec un grand souci des contrastes et des couleurs par Alexandra Cravero, une cheffe au parcours et au répertoire opératique déjà impressionnants.

Un spectacle à retrouver en streaming vendredi 29 janvier (voir nos brèves de janvier), et surtout… « en vrai », sur la scène de l’Opéra de Nice où il devrait être repris la saison prochaine, cette fois-ci avec la mise en scène initialement prévue par Pauline  Bureau !

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[1] Voir le dossier consacré à l’ouvrage et le compte rendu de Sabine Teulon-Lardic à l’occasion des représentations données Salle Favart en février 2020.

Retrouvez Patrick Kabongo en interview ici !

Les artistes

Georges Brown   Patrick Kabongo
Anna   Amélie Robins
Jenny   Sophie Marin-Degor
Gaveston   Laurent Kubla
Marguerite   Marie Kalinine
Dickson   Luca Lombardo
Mac-Irton   Mickael Guedj

Mise en scène Pauline Bureau réalisée par Valérie Nègre
Chœur de l’Opéra de Nice Côte d’Azur, Orchestre Philharmonique de Nice   dir. Alexandra Cravero

Le programme

La Dame blanche

Opéra-comique en trois actes de François Adrien Boïeldieu, livret d’Eugène Scribe d’après Guy Mannering et The Monastery de Walter Scott, crée à l’Opéra-comique, Paris, 10 décembre 1825.

Version semi-scénique
Opéra de Nice – mardi 19 janvier 2021