La forza del destino, Chorégies d’Orange, 20 juillet 2025
La tempête interrompt le spectacle au troisième acte !
La soirée avait pourtant bien commencé : un excellent dîner à la Grotte d’Auguste qui donne sur le théâtre antique pour être à pied d’œuvre et ne rien manquer. Le temps, quoique couvert, se maintenait et la température était idéale, loin des grosses chaleurs des derniers jours. Le public nombreux prenait place sur les gradins, sortant, qui des coussins, qui des sièges en bois ou en carton. La statue monumentale d’Auguste semblait étendre sa protection sur la scène et la « fosse ». Bref, tout était pour le mieux et la représentation, bien qu’en version de concert, s’annonçait belle.
Pourtant, Météo-France avait prévenu : orage et grêle sur Orange dimanche soir. Faisant preuve d’un bel optimisme, la direction du festival maintint la représentation et le public répondit présent dans son ensemble. Au fil de la soirée, le ciel se zébrait d’éclairs de plus en plus nombreux. Le vent se levait, faisant voler les pages des partitions de l’orchestre. Quelques gouttes de pluie faisaient leur apparition au cours du troisième acte, contraignant les musiciens à remballer précipitamment leurs précieux instruments. Les techniciens et personnels du festival, aidés des choristes sur la scène se passaient les contrebasses et timbales. Qui recouvrait les chaises des musiciens de sacs plastiques, qui protégeait les pupitres ou ramassait les partitions. D’abord commencée dans le calme, la retraite s’est vite transformée en débandade, chacun essayant de se mettre à l’abri de la pluie qui s’intensifiait. On nous annonça une averse d’une dizaine de minutes, laissant présager une reprise un peu plus tard. Mais au lieu de cela, une véritable tempête se déchaîna sur la ville et le théâtre antique, poussant vers la sortie même les plus prévoyants munis d’imperméables et de parapluies. Courant dans les flaques de plus en plus volumineuses les festivaliers se précipitaient dans les ruelles en direction des parkings et de leurs véhicules. Le chemin du retour s’est pour notre part effectué à la lueur des éclairs qui illuminaient le ciel, pourchassés par le tonnerre mais ralentis par l’énorme quantité d’eau qui recouvrait déjà l’autoroute. Rentrée à bon port, je me remémorais le(s) spectacle(s) de la soirée :
Avant ce véritable déluge, peut-être signe de la colère de quelque dieu antique, nous pûmes apprécier la musique de Verdi et le savoir-faire d’une distribution de qualité. En effet, ce fut un enchantement dès les premières mesures de la célèbre ouverture de La Forza del Destino. L’Orchestre de l’Opéra de Lyon, placé pour la dernière fois sous la baguette énergique du Maestro Daniele Rustioni (puisqu’il rejoindra en septembre le Metropolitan Opera de New York), nous livrait une page brillante, accentuant les contrastes des deux thèmes masculin (le Destin) et féminin (la Miséricorde finale) judicieusement repris pour illustrer l’inexorabilité du destin et la rédemption finale de Jean de Florette et Manon des Sources de Marcel Pagnol dans les films éponymes. On sent l’osmose entre la phalange et son chef après huit années de travail commun. Une mention spéciale à la première clarinette dont le solo puis le duo avec le ténor Russel Thomas au début du troisième acte dans l’air « Oh, tu che in seno agl’angeli » fut tout simplement sublime.
La représentation est annoncée en version de concert mais hormis l’absence de décors et de costumes (les artistes sont en tenue de concert), chacun s’applique à exploiter l’espace scénique et jouer son personnage sans partition et sans véritable mise en scène mais avec simplicité et justesse, ce qui nous change de certaines fantaisies de metteurs en scène en mal d’inspiration. L’intrigue est réputée décousue, et en effet, Verdi et ses librettistes ne respectent pas les conventions d’unité de temps et d’espace du théâtre et de l’opéra. L’histoire se déroule sur plusieurs années et dans deux pays, racontant les malheurs de Donna Leonora et de Don Alvaro empêchés de s’aimer et poursuivis par une fatalité qui les conduira à la mort. L’alternance de scènes tragiques mêlant les trois personnages principaux (Leonora, Alvaro et Carlo le frère de Leonora assoiffé de vengeance) et des scènes joyeuses de la vie quotidienne du reste du monde, accentue cette sensation d’inexorabilité du destin qui poursuit son chemin destructeur sans se soucier des pauvres humains qui se débattent pour lui échapper.
La soprano dramatique colorature Anna Pirozzi ouvre le bal avec le premier air de Leonora « Me pellegrina ed orfana » magnifiquement interprété. Toute sa prestation fut parfaite. La longueur de sa voix n’a d’égale que la richesse de ses aigus et la rondeur de ses graves. Le public ne s’y est pas trompé qui lui a fait une ovation à chaque air.
Brian Jagde, souffrant est remplacé par le ténor américain Russel Thomas qui se produit pour la première fois à Orange. Campant un Alvaro tourmenté entre regrets et résignation, passant du désespoir à l’espérance puis de la colère à la douleur, Thomas déploie une voix au timbre chaud et rond, à la technique sûre et à la virtuosité sans faille. Il montre toute l’étendue de son talent dans l’air du troisième acte qui lui vaut de longs applaudissements.
Le jeune baryton mongol Ariun Ganbaatar, reprend le rôle de Don Carlo di Vargas qu’il a déjà interprété à Lyon au mois de mars. Il est impressionnant tant par sa prestance que par sa maîtrise du rôle. Sa voix puissante et souple est parfaite pour les personnages de Verdi qu’il a presque tous déjà incarnés. Son interprétation tout en nuances est particulièrement appréciée dans l’air du troisième acte « Urna fatale… » Une bien belle découverte !
Dans ce drame sur fond de guerre, les rôles féminins sont peu nombreux. La mezzo-soprano française Julie Pasturaud interprète habilement le rôle de Curra, la suivante de Leonora qui presse sa maîtresse de fuir avec Alvaro. Quant au rôle de Preziosilla, gitane diseuse de bonne aventure, il semble déconnecté de l’histoire principale. Verdi l’a voulu ainsi pour souligner le contraste entre la légèreté de sa vie et le sombre destin de ses protagonistes. Il est superbement tenu par la mezzo-soprano russe Maria Barakova à la voix brillante, aux aigus lumineux et au jeu de scène expressif.
Michele Pertusi, à la belle voix de basse italienne, incarne deux personnages : le Marquis de Calatrava au premier acte et Padre Guardiano à partir du deuxième. Deux interprétations diamétralement opposées mais rendues avec autant de finesse et de justesse.
Ambrogio Maestri, Rodolphe Briand, Louis Morvan respectivement Fra Melitone, Mastro Trabuco et un alcade/un chirurgien sont parfaits dans leurs rôles qu’ils servent avec conviction.
Notons enfin la belle unité des Chœurs de l’Opéra de Lyon. Cette formation, parmi les meilleures de France gratifie toujours son public d’excellentes prestations quel que soit le répertoire.
Malheureusement pour le public et les artistes, la représentation a été interrompue avant la fin du troisième acte par une petite averse qui s’est vite transformée en tempête, brisant tout espoir de reprise. J’imagine la frustration des artistes qui n’ont pu savourer les applaudissements d’un public enthousiaste tout au long du spectacle. Une soirée dont on se souviendra sans nul doute !
Donna Leonora : Anna PIROZZI
Preziosilla : Maria BARAKOVA
Curra : Julie PASTURAUD
Don Alvaro : Russell THOMAS
Don Carlo di Vargas : Ariun GANBAATAR
Il Marchese di Calatrava/Padre Guardiano : Michele PERTUSI
Fra Melitone : Ambrogio MAESTRI
Mastro Trabuco : Rodolphe BRIAND
Un alcade/Un chirurgo : Louis MORVAN
Orchestre de l’Opéra de Lyon, Chœurs de l’Opéra de Lyon, dir. Daniele RUSTIONI
La forza del destino (La Force du destin)
Opéra en 4 actes. Musique de Giuseppe Verdi (1813-1901). Livret de Francesco Maria Piave, d’après Ángel de Saavedra (Antonio Ghislanzoni pour la révision de 1869). Création : Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg, 10 novembre 1862 (Teatro alla Scala, 27 février 1869).
Chorégies d’Orange, dimanche 20 juillet 2025