Il ne s’agit certes pas d’une découverte absolue (ce Requiem de Donizetti fut donné en cette même cathédrale en juin 2016), mais pour le moins d’une curiosité, tant les occasions d’entendre cette messe composée par le compositeur bergamasque après la mort de son ami Bellini (en 1835) sont rares. Il ne s’agit pas non plus d’un chef-d’œuvre injustement méconnu : l’œuvre est parfois inégale (le musicien n’est pas toujours au sommet de son inspiration mélodique), mais elle est à coup sûr digne d’intérêt – et dans tous les cas, il serait malhonnête de prononcer sur elle un jugement définitif, puisqu’elle est restée inachevée (elle ne comporte ni « Sanctus », ni « Benedictus », ni « Agnus Dei »).
Telle qu’elle nous est parvenue, l’œuvre apparaît, dans sa théâtralité et ses puissants élans dramatiques, comme une possible source pour le Requiem de Verdi. Il n’est pourtant pas du tout certain que Verdi ait jamais eu l’occasion de l’entendre : le Requiem de Donizetti, en effet, semble n’avoir été créé qu’en 1870 (à Bergame) avant de disparaître pour… plus d’un siècle et d’être ressuscité par les efforts du musicologue Vilmos Peskó, qui l’arracha d’un oubli quasi total en 1975. S’en distinguent notamment l’impressionnant « Dies irae », l’ « Ingesmisco », une belle aria pour ténor (comme chez Verdi…), le dramatique « Confutatis maledictis », ou encore le beau trio du « Præces meæ ». L’œuvre étonne également par le traitement atypique des voix solistes : celles des femmes sont très peu sollicitées (elles interviennent en complément des ensembles) et côté hommes, outre le ténor, la partition requiert deux basses – ou un basse et un baryton (comme en cette soirée du 5 juin), ce dernier chantant de loin la partie la plus importante.
Le concert proposé en la cathédrale de Saint-Denis en cette soirée du 5 juin a été une réussite totale. Premier artisan de cette très belle réussite : le chœur de l’Orchestre de Paris, absolument magnifique de précision et de discipline (« Lacrimosa »), de délicatesse et de clarté (« In memoria eterna »).
Tous les solistes se sont quant à eux montrés à la hauteur des exigences de leur partie. La soprano Claudia Muschio et la mezzo Alisa Kolosova n’ont guère l’occasion de briller individuellement, mais elles parviennent malgré tout à faire valoir la beauté de leur timbre et la qualité de leur chant. Vito Priante, que l’on a trop peu l’occasion d’entendre en France, possède un timbre et un art des nuances parfaitement adaptés à l’esthétique de l’œuvre. Il s’est montré magnifique dans l’ « Oro supplex ». Le ténor Bogdan Volkov allie brillance et finesse stylistique. Son « Ingemisco » fut l’un des beaux moments de la soirée, et le « Judex ergo », chanté en duo avec le baryton, a été remarquable d’équilibre et d’harmonie. On retrouve avec plaisir Jean Teitgen, dont le beau timbre profond impressionne, notamment dans sa courte partie du « Libera me ».
Enfin, l’Orchestre national d’Ile de France séduit pleinement par ses très belles couleurs, sa clarté, sa précision rythmique. Les musiciens sont dirigés par Speranza Scappucci qui parvient à faire preuve d’un grand sens dramatique sans être pour autant trop démonstrative, avec un contrôle parfait de la dynamique et une excellente gestion de l’équilibre chœur / orchestre / solistes. Le résultat, dans les conditions acoustiques si particulières de la Basilique, est en tout point superbe !
Bogdan Volkov, ténor
Vito Priante, baryton
Jean Teitgen, basse
Claudia Muschio, soprano
Alisa Kolosova, mezzo-soprano
Orchestre national d’Île-de-France, dir. Speranza Scappucci
Chœur de l’Orchestre de Paris, dir. Richard Wilberforce
Donizetti, Requiem
Messe composée en 1835, première exécution connue : Bergame, 28 avril 1870.
Festival de Saint-Denis, concert du jeudi 5 juin 2025.