Concert des Ambassadeurs Rolex, Palais Garnier, 11 mai 2025
C’est toujours dans le cadre des célébrations du 150e anniversaire du Palais Garnier que s’est donné ce concert des Ambassadeurs Rolex. On ne dira jamais assez l’importance de l’action menée par cette marque prestigieuse en faveur de l’art lyrique sous des formes diverses de sponsoring, notamment à l’Opéra national de Paris, son partenaire depuis plus d’une dizaine d’années. Ce soutien se concrétise ce soir par cet événement organisé au bénéfice de l’Orchestre lyrique de jeunes, au sein de l’Académie de l’Opéra national de Paris. Un engagement qui s’appuie sur le concours des plus grands noms des arts et du sport, comme autrefois, pour l’opéra, Kiri Te Kanawa ou Plácido Domingo. L’occasion de redorer, du moins en France, une image quelque peu ternie par les fanfaronnades de certains de nos hommes politiques…
Le coup médiatique de cette soirée consiste tout d’abord en l’invitation de l’Orchestre Philarmonique de Vienne qui fait ainsi ses débuts sur la première scène lyrique nationale, tout comme Yannick Nézet-Séguin, appelé à le diriger.
Et quoi de mieux que d’ouvrir cette manifestation festive par les réjouissances de la polonaise de l’acte III d’Eugène Onéguine ? Aux premiers accords, la résonance nous parvient parfois étouffée, les cordes sonnent abruptes, mais c’est vraisemblablement à cause de la proximité de la scène à laquelle nous nous trouvons : le morceau est joué sans aucune fausse note, à l’enseigne du plus grand professionnalisme. Il en va de même du prélude de Carmen, effréné à l’envi, sur un rythme endiablé, se déchaînant sans dérapages. Mais c’est surtout dans le Boléro de Ravel que la formation autrichienne se révèle tout particulièrement singulière, notamment par les interventions du piccolo dans le célèbre crescendo et par un somptueux passage du pizzicato au tutti.
C’est un dialogue qu’elle avait magistralement instauré auparavant entre les vents et le piano de Yuja Wang dans le Concerto pour piano n° 1 de Tchaïkovski – dont on fête aussi le 150e anniversaire, tout comme pour Carmen. La dextérité de la pianiste conjugue alors savamment le martellement obsessionnel des premières mesures à la virtuosité de l’allegro dans une transition enivrante vers l’harmonie des cordes.
Mais venons-en au chant et à l’opéra. Pour l’occasion, on a convié quatre stars du firmament opératique qui, pour des raisons différentes, se sont faites plutôt rares ces derniers temps à l’Opéra de Paris. Une soprano, deux ténors, un baryton-basse. Et c’est à ce dernier d’assurer la première partie. Par la cavatine d’Aleko que, malgré quelques tensions imperceptibles vers le haut du registre, Bryn Terfel débite en fin diseur, sachant judicieusement varier les couleurs, afin de rendre ce débat d’âme entre le souvenir d’un grand amour passé et la désillusion du présent
Déjà intervenant au Gala de janvier dernier, Juan Diego Flórez ouvre à son tour la seconde partie. Très peu fréquenté à la scène, Faust constitue l’extrême limite de ses moyens et les inflexions sonnent parfois rossiniennes, surtout dans le récitatif, mais le concert constitue justement l’endroit adéquat pour dépasser ces limites, grâce aussi à une diction exceptionnellement soignée et un portamento majestueux. Les deux chanteurs se retrouvent plus tard dans le duo des Pêcheurs de perles où le ténor péruvien est entièrement dans son élément : déployant un phrasé fabuleux, son Nadir crée un très beau contraste de teintes avec le Zurga plus marmoréen de son acolyte, dans une grande complicité qui comble notre bonheur. Nous sommes très heureux de retrouver ces deux grands artistes, ayant jadis fait les beaux jours de notre scène et désormais absents depuis trop longtemps.
Bizet, Ravel, Gounod : la musique française est à l’honneur ce soir également grâce à Massenet dont, habillé à la Werther, Rolando Villazón interprète la prière de Rodrigue du Cid. Malgré une popularité inentamée, le chanteur franco-mexicain incarne l’exemple type d’une carrière mal gérée, s’étant brûlée en moins de deux lustres. Raidi, l’accent manque du velours adéquat à cette méditation et l’élocution reste perfectible. Pendant cet air cependant, il donne le change. Qu’en serait-il d’une représentation entière ?
Un soprano, deux ténors, un baryton-basse… question de marquer le coup : la diva, c’est elle !!! Dans une éblouissante robe rouge, Sonya Yoncheva donne vie à une Carmen résolument soprano, sans hésitation aucune vers l’aigu, enrichissant son expressivité vocale d’une pantomime non dépourvue d’esprit avec Yannick Nézet-Séguin qui la seconde dans le jeu de l’amour et de la jalousie de la Habanera. En robe blanche, elle rejoint Rolando Villazón pour le toast de La traviata où elle oppose son plein chant aux braillements de son soupirant.
En bis, c’est Bryn Terfel qui mène ses confrères vers l’univers de la comédie musicale, entonnant les couplets d’Alonso/Don Quixote du Man of la Mancha de Mitch Leigh, de manière à ne pas trop s’éloigner de l’opéra… tous affichant au poignet le bel objet qui les réunit… Le public est aux anges.
Ayant fait l’objet d’une captation par France Télévisions, ce concert sera retransmis ultérieurement sur les chaînes publiques et via medici.tv. Rendez-vous à ne pas manquer.
Sonya Yoncheva, soprano
Juan Diego Flórez, ténor
Rolando Villazón, ténor
Bryn Terfel, baryton-basse
Yuja Wang, piano
Orchestre Philarmonique de Vienne, dir. Yannick Nézet-Séguin
Concert des ambassadeurs Rolex
Piotr Ilitch Tchaïkovski – Eugène Onéguine, polonaise
Serguei Rachmaninov – Aleko, cavatine (Aleko) – Bryn Terfel
Piotr Ilitch Tchaïkovski – Concerto pour piano n° 1, op. 23, 1er mouvement – Yuja Wang
Charles Gounod – Faust, « Salut ! demeure chaste et pure » (Faust) – Juan Diego Flórez
Georges Bizet – Carmen, prélude
Georges Bizet – Carmen, « Habanera » (Carmen) – Sonya Yoncheva
Jules Massenet – Le Cid, « Ô souverain, ô juge, ô père » (Rodrigue) – Rolando Villazón
Georges Bizet – Les Pêcheurs de perles, « Au fond du temple saint » (Nadir, Zurga) – Juan Diego Flórez, Bryn Terfel
Maurice Ravel – Boléro
Giuseppe Verdi – La traviata, « Libiamo, libiamo ne’ lieti calici » (Alfredo, Violetta) – Sonya Yoncheva, Rolando Villazón
Paris, Palais Garnier, vendredi 11 mai 2025