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Que la fête commence: l’ensemble I Gemelli marque l’ouverture de la 27e édition du festival de Froville

par Nicolas Le Clerre 4 juin 2024
par Nicolas Le Clerre 4 juin 2024
© Michal Novak
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A Room of Mirrors

Nouveau directeur artistique du festival de musique baroque de Froville, Emiliano Gonzalez Toro a concocté pour cette 27e édition un programme dans lequel le répertoire du seicento italien se taille la part du lion. Quelle meilleure manière, pour entamer ce mois de festivités, que de s’entourer de son ensemble I Gemelli, du ténor américain Zachary Wilder et de l’ombre tutélaire de Claudio Monteverdi ?

Le bel âge

Au sud de Nancy, niché au cœur des monts du Saintois, le petit village de Froville (122 âmes) est dominé par la silhouette d’une vieux prieuré roman au clocher de guingois. Accolé à l’église, des moines bénédictins venus de Cluny ont construit au début du XIIIe siècle un cloitre qui tient dans un mouchoir de poche mais que l’histoire a malmené : menaçant ruine, il fut démonté après la Grande Guerre et partiellement vendu à de riches Américains qui lui firent traverser l’Atlantique et le reconstruisirent sur les hauteurs de Harlem, dans le musée new-yorkais des Cloisters.

C’est de cette rocambolesque histoire qu’est né le festival de Froville au mitan des années 1990. Un petit groupe de passionnés s’étant mis en tête de racheter le cloitre aux Américains, l’idée a germé d’organiser des concerts pour récolter des fonds. Sans carnet d’adresse – mais de l’audace à revendre – les premiers bénévoles du festival épluchaient la presse-magazine, découpaient les critiques des disques récompensés d’un Diapason d’Or et décrochaient leurs téléphones pour inviter, au culot, chanteurs et formations baroqueuses. Gérard Lesne, James Bowman, le tout jeune Philippe Jaroussky et Jean-Christophe Spinosi ont eu à Froville leur rond-de-serviette et ont contribué à rendre crédible l’idée d’un festival de musique ancienne au cœur de la Lorraine.

27 ans après, le projet fou de rapatrier à Froville les arches du cloitre vendues à New-York a fait long feu mais le festival a pris racine et continue d’être le rendez-vous printanier d’un public un peu bohême, fin connaisseur du répertoire baroque mais pas snob pour deux sous. C’est cette tradition presque trentenaire qu’Emiliano Gonzalez Toro a accepté de perpétuer en devenant le nouveau Directeur musical du festival de Froville.

Ils étaient dix

Pour cette soirée d’ouverture du millésime 2024 du festival, Emiliano Gonzalez Toro propose d’explorer la vocalité du ténor italien et l’univers musical des cours italiennes du XVIIe siècle. Pour cela, il a convié à Froville ses partenaires de l’ensemble I Gemelli et Zachary Wilder à renouveler le miracle de l’album A room of mirrors gravé à la Seine musicale en 2021 et publié l’année suivante par le label Gemelli factory.

Dans le chœur du prieuré bénédictin, face à un public venu nombreux malgré la météo morose, ce sont donc dix artistes qui s’installent entre l’autel et le banc de communion et l’on est immédiatement séduit par la proximité physique et la sympathique bonhommie qui prévaut d’emblée entre les musiciens et les festivaliers. Les premiers accords du concert confirment immédiatement cette première bonne impression : l’acoustique de cette église de village, pavée de pierre mais dotée d’un plafond plat d’origine carolingienne, convient idéalement au répertoire baroque et fait sonner la musique du seicento comme dans un salon du palais ducal de Mantoue ou d’Urbino.

Si la paternité du duo opératique revient incontestablement à Monteverdi qui – le premier – fit dialoguer Orphée et Apollon dans son Orfeo, Emiliano Gonzalez Toro fait le choix de construire un programme d’airs et de duos composés uniquement par de petits maîtres italiens mais qui sont autant de miroirs tendus à la statue du Commandeur qu’incarne Claudio Monteverdi.

Dès les premiers duos qui introduisent le concert, la complicité qui lie les dix artistes présents sur scène est palpable : d’un œil appuyé ou d’un simple roulement d’épaule, Emiliano Gonzalez Toro suggère une nuance ou corrige un tempo tandis que Zachary Wilder, d’abord en retrait, trouve rapidement suffisamment d’espace scénique et vocal pour s’imposer comme un sparring partner de très grand luxe. Si le duo entre les deux chanteurs fonctionne si bien, c’est effectivement parce qu’hormis leur rigueur à servir la musique, tout semble a priori les opposer. L’œil charbonneux, la chevelure de jais et les mains toujours en mouvement, Emiliano Gonzalez Toro serait bien en peine de nier qu’il vient du sud tandis qu’il existe dans la nonchalance et la silhouette filiforme de Zachary Wilder une spontanéité typiquement nord-américaine.

Mais si les deux chanteurs se complètent idéalement, c’est d’abord et surtout parce que leurs timbres de ténor sont faits de deux métaux aussi séduisants l’un que l’autre, quoique radicalement différents. Emiliano Gonzalez Toro a le gosier tapissé d’un velours mordoré qui n’a pas beaucoup d’équivalent au monde et qui fait le prix de chacune de ses interprétations. Les deux arias qu’il chante en solo sont de véritables diamants noirs ! La première, « Giunto alla tomba », consiste en une mélodie dépouillée soutenue par les seuls arpèges de la harpe et du luth. À Tancrède venu se recueillir sur la tombe de Clorinde qu’il a lui-même accidentellement tuée au combat, le chanteur suisse d’origine chilienne prête une voix ductile et sombre, capable de graves timbrés comme de nuances pianissimi d’une pureté cristalline. Dans « Se l’aura spira », la voix se fait plus charmeuse encore et l’acoustique du prieuré de Froville lui permet de susurrer à l’oreille de chaque spectateur des notes d’une douceur angélique.

Par contraste, Zachary Wilder dispose d’un instrument plus lumineux auquel échoient aussi deux arias. Dans l’air de caractère « La vecchia innamorata », à la mélodie enlevée, le ténor américain démontre à la fois une maîtrise vocale et un sens de l’interprétation qui séduisent instantanément le public. Tantôt enjôleuse, tantôt volontairement nasillarde, la voix se fait naturellement comédienne et convoque à Froville les tréteaux d’une véritable comédie vénitienne aux personnages bien caractérisés. Le grand lamento « Piangono al pianger mio», sobrement accompagné au théorbe, révèle une autre facette du talent de Zachary Wilder : brillant dans l’aigu, d’une pureté d’émission absolue, son instrument lumineux sait aussi se voiler de mélancolie pour exprimer les pires tourments de l’âme et explorer les passions sombres du cœur.

© Teddy Hanottin
© J. L. Rigon

Si chacun des deux artistes fait merveille dans ses numéros solistes, c’est cependant lorsque leurs voix s’unissent ou s’affrontent que l’alchimie opère le mieux, de véritables étincelles vocales naissant alors de la rencontre magique de la nuit et de la lumière. Les six duos qu’interprètent ensemble Emiliano Gonzalez Toro et Zachary Wilder parcourent tout le spectre des sentiments et des atmosphères dramatiques, de la pastorale bucolique du « Dialogo della rosa » à la pyrotechnie vocale millimétrée de « Mai non disciolgasi » en passant par la ritournelle fuguée « Quella che tanto » que les deux ténors entonnent à l’unisson au début du concert, immédiatement complices lorsqu’il s’agit de chanter ensemble le bonheur d’être amoureux et d’être aimé en retour. Mais c’est indiscutablement dans « Damigella tutta bella » que les timbres des chanteurs dialoguent de la manière la plus naturelle, Zachary Wilder délivrant ses couplets avec gourmandise, tandis qu’Emiliano Gonzalez Toro endosse le rôle de l’amoureux hâbleur, le verbe haut comme un matamore.

Si le public du festival de Froville adhère instantanément au charme de ce programme, c’est aussi parce que les huit musiciens réunis auteur des chanteurs comptent aujourd’hui au petit nombre des formations baroques les plus fraiches et les plus talentueuses. Parmi eux, la flutiste Meillane Wilmotte démontre une virtuosité jamais prise en défaut, accompagnant « La vecchia innamorata » de variations sautillantes ou concluant « Damigella tutta bella » d’un trait mutin. Les épaules ennuagées d’un châle de Fortuny, sa harpe parsemée d’étoiles d’or, Marie-Domitille Murez est elle-aussi une des démiurges du concert : entre la « Folia echa para mi señora » et « Se l’aura spira », elle assure une transition musicale d’une légèreté arachnéenne, ses doigts cabriolant sur le cordage de son instrument avec une suavité inouïe. Alternativement au théorbe et à la guitare, Nacho Laguna suspend lui aussi le public à la dextérité de son jeu : le long solo de guitare qu’il interprète en introduction de la « Folia echa para mi señora » fait passer sur Froville un frémissement presqu’andalou.

Ovationnés par le public avec toute la chaleur dont les Lorrains sont capables lorsqu’ils accordent leur confiance, les artistes concluent ce premier concert de la saison par deux Bis, dont la scène des retrouvailles d’Ulysse et Télémaque extraite de Il ritorno d’Ulisse in patria que la formation I Gemelli a joué en tournée tout au long de l’automne pour accompagner la publication de l’enregistrement de cet opéra. En quelques accords, Emiliano Gonzalez Toro et Zachary Wilder retrouvent immédiatement la complicité et les automatismes de la tournée : la sincérité de leur chant, dépouillé de toute affèterie, touche instantanément au cœur et conclut la soirée en apothéose.

A place to be

À l’issue de cette première soirée de la 27e édition du festival de Froville, le public s’attarde dans l’église, échange quelques mots avec les artistes – tous accessibles et souriants – ou sort partager une coupe de champagne dans les ruines du cloitre du vieux prieuré bénédictin. Tout au long du mois de juin, les spectateurs pourront par ailleurs retrouver dans l’église une exposition de dessins originaux réalisés par Vincent Flückiger, luthiste de l’ensemble I Gemelli et auteur d’un second volume de L’ambiance va être chouette : dans les coulisses de la musique ancienne. Dans ce petit album vernis le soir même du concert, le musicien-illustrateur a réuni une cinquantaine de dessins tout de son cru qui se moquent malicieusement – et tendrement – du microcosme baroqueux.

D’ici le 30 juin, les festivaliers trouveront donc de multiples raisons de se retrouver à Froville pour goûter le programme concocté par Emiliano Gonzalez Toro. Pour sa part, Première loge ne manquera pas de rendre-compte dans les prochaines semaines des prestations de Lauranne Oliva et de Christophe Dumaux dans le Stabat mater de Pergolèse, de Michael Spyres dans la reprise de son recital Tenore assoluto ni de celle des Talens Lyriques invités à conclure en beauté cette 27e édition.

Les artistes

Ténor : Emiliano Gonzalez Toro
Ténor : Zachary Wilder

Ensemble I Gemelli
Clavecin et orgue : Violaine Cochard
Harpe triple : Marie-Domitille Murez
Luth : Vincent Flückiger
Théorbe et guitare : Nacho Laguna
Viole de gambe : Louise Bouedo
Basse de violon : Annabelle Luis
Violon : David Plantier
Flûte : Meillane Wilmotte

Le programme

Belleronfonte Castaldi (1581-1649), Quella che tanto
Francesco Turini (1595-1656), Dove ten’va
Biagio Marini (1594-1663), La vecchia innamorata
Sigismondo D’India (1582-1629), Langue al vostro languir
Sigismondo D’India, Giunto alla tomba
Andrea Falconieri (1585-1656), Folia echa para mi señora
Girolamo Frescobaldi (1583-1643), Se l’aura spira
Vincenzo Calestani (1589-après 1617), Damigella tutta bella
Sigismondo D’India, Piangono al pianger mio
Dario Castello (1590-1630), Sonata Quarta
Giambattista Marino (1569-1625), Dialogo della rosa
Annibale Gregori ( ? – 1633), Mai non disciolgasi

Bis
Claudio Monteverdi (1567-1643), extrait de Il ritorno d’Ulisse in patria (Acte II, scène 3)
Vincenzo Calestani, Damigella tutta bella
Froville, Église Notre-Dame, concert du vendredi 31 mai 2024

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Emiliano Gonzalez ToroZachary Wilder
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Nicolas Le Clerre

C’est un Barbier de Séville donné à l’Opéra National de Lorraine qui décida de la passion de Nicolas Le Clerre pour l’art lyrique, alors qu’il était élève en khâgne à Nancy. Son goût du beau chant le conduisit depuis à fréquenter les maisons d'Opéra en Région et à Paris, le San Carlo de Naples, la Semperoper de Dresde ou encore le Metropolitan Opera de New-York. Collectionneur compulsif de disques, admirateur idolâtre de l’art de Maria Callas, Nicolas Le Clerre est par ailleurs professeur d’Histoire-Géographie, Président de la Société philomathique de Verdun, membre de l'Académie nationale de Metz et Conservateur des Antiquités et Objets d'Art de la Meuse.

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