À la une
Diva ma non troppo : le public du festival de Froville...
Dans le labyrinthe des opéras de RIMSKI-KORSAKOV
À Rouen, SEMIRAMIDE au pays des vampires
Job, le procès de Dieu : création d’un opéra engagé et...
Festival du Haut-Limousin « Par les soirs bleus d’été »
La traviata à Tours : Violetta, prenez soin de vous !
Brèves de juin –
Découvrez la saison 25-26 de l’Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie
Il barbiere di Siviglia revient à l’Opéra Bastille dans la...
Dernière saison d’Alain Surrans à ANGERS-NANTES OPERA
  • Accueil
  • À Voir
  • Avant-concerts
  • Vu pour vous
  • Artistes
  • Œuvres
  • Médiathèque
  • Humeurs
Première Loge

Pour ne rien manquer de l'actualité lyrique, restons en contact !

ProductionCompte rendu

La maltraitance infantile sur scène : Poil de Carotte transformé en conte musical

par Yseult 20 décembre 2019
par Yseult 20 décembre 2019
0 commentaires 2FacebookTwitterPinterestEmail
1,9K

Crédit photos : © Marc Ginot

Production de l’Opéra Orchestre national de Montpellier, la création du conte musical Poil de Carotte est un spectacle abouti pour les fêtes de fin d’année. Ce spectacle, très applaudi dans une salle remplie lors de la première, mérite de tourner pour de multiples raisons, dont celle de « diffuser et transmettre la création » selon les vœux de la directrice de l’OONM (Valérie Chevalier).

Primo, la thématique de la maltraitance infantile est devenue une situation d’urgence dans nos sociétés, elle qui frappe tout milieu, de la petite enfance à l’adolescence. Adapter la nouvelle de Jules Renard (1894) sur la scène est donc un geste d’humanité, venant après le Pinocchio de Boesmans et Pommerat (2017). Dans sa nouvelle publiée en 1894, J. Renard portait un regard acéré sur cette maltraitance au fil de tableaux d’autant plus cruels qu’ils ciblaient les instantanés quotidiens d’une famille. La mère-bourreau, le père indifférent ou cynique, la sœur et le frère sournois, tous s’unissent pour harceler le jeune rouquin de la cellule familiale. Quasi autobiographique, le récit puisait dans les souvenirs de son enfance nivernaise à Chitry-les-Mines.

Secundo, le découpage de l’adaptation en 26 tableaux mise sur la brièveté et la fragmentation, une esthétique théâtrale et cinématographique éprouvée. En sélectionnant la moitié des saynètes du recueil, sans modifier une virgule du texte et sans édulcorer les plus cruelles (l’urine du lit servie à la cuiller dans Le cauchemar, la vieille domestique harcelée par la Mère), la dramaturge Zabou Breitman relève le défi d’une adaptation intelligente, grâce à son savoir-faire de réalisatrice et monteuse au cinéma. D’autant qu’elle a agencé la prose de Renard avec de jolis textes chansonnés de Franck Thomas (ex parolier … du Lundi au soleil !) comme les pièces d’un puzzle. Le tout n’excède pas 90 minutes.

La troisième raison n’est pas la moins attractive : ménager l’alternance du parlé et du chanté est un atout pour captiver le « tout public », tout en s’inscrivant dans la tradition de l’opéra-comique ou des comédies musicales.  En confiant à Poil de Carotte et au chœur d’enfants la place prépondérante des musicals, les concepteurs restituent la parole au sujet. Le compositeur français Reinhardt Wagner, complice de feu Roland Topor, puise dans ses expériences hybrides les ressources qui animent ce conte qui lorgne plus du côté de L’Opéra de quat’sous (K. Weill et B. Brecht) que de L’Enfant et les sortilèges (M. Ravel et Colette). Sa verve mélodique et rythmique, fortifiée au contact de la chanson (cabaret Il est grand temps de rallumer les étoiles) et des musiques de film (Faubourg 36  de C. Barratier), irrigue chaque numéro du conte. Si le langage néo-tonal ou les ostinati s’avèrent parfois lancinants, les danses de la Belle Epoque (valses) ou proches de notre temps (swing, jazzy, tango) flirtent avec d’heureuses réminiscences. Il nous semble repérer celles de Nino Rota (la B.O. d’Otto et mezzo de Fellini) ou de la chanson (Thomas Fersen). Dans cette ambiance populaire, l’orchestration inventive (Matthieu Roy) personnalise chaque saynète : un célesta lumineux lors du Cauchemar, un marimba pulsant le trio La Carabine, des cuivres percutants pour la coléreuse mégère, des bassons lestant la danse des Poux, etc. Cependant la palme poétique revient au tableau La Trompette. Dans la pénombre intime, le musicien d’orchestre (Nicolas Planchon, cornet) personnifie le jouet dont Poil de carotte est privé en égrenant une poignante mélopée, dans son rutilant costume décroché du Joueur de fifre de Manet. On repense à Gelsomina de La Strada…

L’équipe des concepteurs et des interprètes

Sorti des pages du recueil de J. Renard, Poil de Carotte est tôt monté sur scène dans l’adaptation édulcorée de son auteur et d’Antoine (1900) avec une jeune actrice dans le rôle-titre. Par la suite, de multiples adaptations filmiques parcourent le siècle (de Jean Duviver en 1926 à Richard Bohringer en 2003). En 2019, ce conte musical tourne le dos aux mièvres clichés de certains dessins animés ou comédies musicales. Avec pudeur, les saynètes d’une cruauté d’observation inégalée évoluent dans un espace scénique  gris/noir/beige, symbolique de l’oppression familiale. Seules les chevelures orange punk des Poil de carotte dupliqués (tous les enfants du chœur) réchauffent cet espace confiné, dès le lever de rideau.  

L’esprit collaboratif du « théâtre musical » préside à l’élaboration du spectacle. En effet, l’écriture scénique, chorégraphique et musicale semble fabriquée sur mesure par les partenaires d’une tribu théâtrale. Car tous collaborent depuis quelques productions, notamment lors de spectacles voyageant de Paris à Montpellier (Par-delà les marronniers de J.-M. Ribes, 2017).

L’inventivité de Zabou Breitman (mise en scène) se déploie au fil des tableaux enchaînés, tels des flashs diversement tamisés (S. Daniel). Les décors  (D. Bird) revisitent le milieu rural via l’œil d’un illustrateur de la Belle Epoque : des praticable en bois, un lit debout, une cage de lapins en théâtre de Guignol, le carré verdoyant de luzerne, les flocons de neige sur fond nocturne, etc..  

Vêtus en costumes 1900, les personnages évoluent dans toutes les dimensions de l’espace, du sous-terre des plants de carotte jusqu’aux trapèzes circassiens. La violence de certaines scènes est détournée par l’agitation d’animaux-marionnettes (bécasses, taupes) ou encore adoucie par les migrations du chœur d’enfants dans les loges dorées d’avant-scène.

L’absence de virtuosité vocale est un marqueur du conte qui vise le « tout public ». Pour incarner Poil de Carotte, le choix d’une soprano ne surprend pas, emboitant le pas d’une longue tradition lyrique depuis le jeune Cherubino jusqu’à Fantasio. Amélie Tatti incarne avec un brio juvénile le jeune rouquin, autant à l’aise pour chanter suspendue dans les airs (Mathilde) que pour haranguer ses seuls confidents, clones rouquins (chœur d’enfants). Qu’elle soit espiègle, humiliée ou bourreau à son tour, son farouche désir de vivre pointe et s’affranchit dans l’avant-dernier tableau (La révolte). Deux autres rôles féminins sont campés avec une sobre virtuosité : la Mère haïssable par Sylvia Bergé, dont on découvre les réels talents de chanteuse (valse « Bien sûr, je les embrasse ») ; la digne servante Honorine par Chantal Neuwirth. Leurs partenaires – le père (swinguant Bernard Alane), le frère et la sœur, la jeune servante et la fiancée Mathilde – sont aussi pertinents dans leur diction parlée que chantée.

Sous la baguette de Victor Jacob, l’orchestre prélude, valse ou tangue … sur le bon tempo !  Mais la contribution la plus performante de la soirée n’est-t-elle pas celle du chœur de 27 enfants (Opéra Junior), préparé par V. Recolin ? L’homogénéité et la justesse de leurs polyphonies (du 2 au 3 voix) n’ont d’égale que leur ardeur à investir l’espace scénique, comme une nuée de moineaux. Et l’émotion nous cueille au détour de leurs prestations, du comique « Ronfler, c’est chanter ! » jusqu’à l’onirique chœur à bouche fermée (Le cauchemar). Les Juniors confirment ainsi leur professionnalisme depuis leur participation montpelliéraine remarquée au Songe d’une nuit d’été de Britten (2019).

Clôturé par le tableau Le Ciel, le conte certes cruel nous remet sur les rails de l’évasion poétique, permettant peut-être d’envisager la résilience du jeune héros … Par tous ces aspects, le spectacle Poil de Carotte s’adresse au tout-public tel que le conçoit Z. Breitman, « un public élargi ».

Les artistes

Poil de Carotte, Amélie Tatti
Madame Lepic, Sylvia Bergé, sociétaire de la Comédie-Française
Ernestine, Charlotte Bonnet
Honorine, Chantal Neuwirth
Mathilde, Cécile Madelin
Agathe / L’aveugle / réalisation des marionnettes, Dorine Cochenet 
Monsieur Lepic, Bernard Alane
Grand frère Félix, Yoann Le Lan
Le trompettiste, Nicolas Planchon

Chœur Opéra Junior, orchestre national de Montpellier Occitanie, dir. Victor Jacob

Mise en scène et dramaturgie, Zabou Breitman

Le programme

Poil de Carotte

Conte musical de Reinhardt Wagner, livret de Jules Renard, textes des chansons de Franck Thomas, créé le 20 décembre 2019 à Montpellier.

Opéra-Comédie de Montpellier, 20 décembre 2019
Sous-titres en français

image_printImprimer
Opéra-Comédie de Montpellier
0 commentaires 2 FacebookTwitterPinterestEmail
Yseult

Encore appelée Yseult la Blonde, Yseult est reine de Cornouailles. Épouse du Roi Marc, elle n'en est pas moins passionnément amoureuse de Tristan. Lorsque ses escapades dans la forêt du Morrois le lui permettent, Yseult se livre à des activités de chercheuse, de musicienne et de pédagogue. Elle fréquente également assidûment les salles d'opéras, et envoie à l'occasion ses impressions de spectatrice à Première Loge.

Laisser un commentaire Annuler la réponse

Sauvegarder mes informations pour la prochaine fois.

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

post précédent
À Gênes, une Bohème colorée qui met la vie en jeu
prochain post
La vie n’est pas un long fleuve tranquille pour Les P’tites Michu de Messager !

Vous allez aussi aimer...

Diva ma non troppo : le public du festival...

14 juin 2025

À Rouen, SEMIRAMIDE au pays des vampires

14 juin 2025

Job, le procès de Dieu : création d’un opéra...

14 juin 2025

La traviata à Tours : Violetta, prenez soin de...

13 juin 2025

Il barbiere di Siviglia revient à l’Opéra Bastille...

12 juin 2025

À Bruxelles, nouvel échec pour la thérapie de...

9 juin 2025

Retour triomphal de Pretty Yende au Théâtre des...

9 juin 2025

Núria Rial et l’Accademia del Piacere donnent le...

9 juin 2025

Le REQUIEM de Donizetti à Saint-Denis, ou l’hommage...

6 juin 2025

Il trovatore à Marseille : Le chant de l’Extrémo

4 juin 2025

En bref

  • Brèves de mai –

    30 mai 2025
  • Les brèves de mars –

    14 mars 2025
  • Les brèves de février

    25 février 2025
  • Sauvons l’Avant-Scène Opéra !

    18 février 2025
  • L’Avant-Scène Opéra, c’est fini…

    7 février 2025

Humeurs

  • Les années 2020 : sombre époque pour les arts, la culture, l’humanisme…

    5 mars 2025

Édito

  • Les années 2020 : sombre époque pour les arts, la culture, l’humanisme…

    5 mars 2025

La vidéo du mois

PODCASTS

PREMIÈRE LOGE, l’art lyrique dans un fauteuil · Adriana Gonzàlez & Iñaki Encina Oyón – Mélodies Dussaut & Covatti

Suivez-nous…

Suivez-nous…

Commentaires récents

  • cecile PABA ROLLAND dans Il trovatore à Marseille : Le chant de l’Extrémo
  • Stéphane Lelièvre dans À Bruxelles, nouvel échec pour la thérapie de Don José ; nouveau succès pour la Carmen de Tcherniakov !
  • Alessandro dans À Bruxelles, nouvel échec pour la thérapie de Don José ; nouveau succès pour la Carmen de Tcherniakov !
  • antonio meneghello dans GEORGE GAGNIDZE : « Mi accosto a Verdi con la massima venerazione e rispetto… »
  • Giancarlo Arnaboldi dans Berliner Philharmoniker: memorabile Madama Butterfly di Kirill Petrenko, Eleonora Buratto e Jonathan Tetelman

Première loge

Facebook Twitter Linkedin Youtube Email Soundcloud

Keep me signed in until I sign out

Forgot your password?

Login/Register

Keep me signed in until I sign out

Forgot your password?

Rechercher

Archives

  • Facebook
  • Twitter
  • Youtube
  • Email
Première Loge
  • Accueil
  • À Voir
  • Avant-concerts
  • Vu pour vous
  • Artistes
  • Œuvres
  • Médiathèque
  • Humeurs

A découvrirx

Diva ma non troppo : le public...

14 juin 2025

À Rouen, SEMIRAMIDE au pays des...

14 juin 2025

Job, le procès de Dieu : création...

14 juin 2025