Très belle reprise à Parme de la production du Barbier conçue par Pier Luigi Pizzi : le public est à la fête !
Il y a des opéras que l’on ne se lasse pas de voir et il y a des productions que l’on aimerait applaudir non pas une fois, mais un nombre incalculable de fois. C’est ainsi qu’Il barbiere di Siviglia de Gioacchino Rossini, mis en scène, dans des décors et des costumes de Pier Luigi Pizzi, conçu à l’origine pour le « Rossini Opera Festival » 2018, a ouvert la saison lyrique 2024 de Parme et a été repris au Teatro Regio les 1er, 5, 7 et 9 mars, hors abonnement, faisant toujours salle comble.
La représentation dure plus de trois heures, car la partition est interprétée dans son intégralité. Néanmoins, le public s’amuse, rit parfois des artifices scéniques et, à la fin, éclate en tonnerres d’applaudissements, conquis par l’élégance discrète, l’effervescence ludique et l’extraordinaire harmonie d’ensemble des interprètes, des choristes et de l’orchestre.
La mise en scène est minimale et très lumineuse, elle est placée sous la houlette de Massimo Gasparon pour les éclairages. Elle présente un cadre intemporel et joue sur la combinaison du noir et du blanc (un trait stylistique qui est déjà apparu dans des productions précédentes de Pizzi, telles que L’incoronazione di Poppea, Fedora et I Lombardi alla Prima Crociata). Quelques touches de couleur apparaissent parfois dans des habits monochromes : bleu clair et vert pastel, rouge intense et violet. Après l’ouverture, le rideau s’ouvre sur deux maisons blanches avec balcon se faisant face : respectivement celle de Don Bartolo et Rosina et la résidence temporaire du comte d’Almaviva. Les deux bâtiments se ressemblent, tout comme les vêtements de Figaro et Lindoro : il semble que la distance entre les classes sociales n’existe pas. Dans la suite de l’opéra, lorsque le comte (qui s’est introduit illégalement dans la maison de Rosine) n’a qu’à révéler son nom aux gardes pour être considéré comme intouchable, le public rit, amusé. L’architecture est mobile et la place initiale, avec sa fontaine latérale, se transforme en un instant en l’intérieur de la maison de Don Bartolo. Lorsqu’Almaviva se présente comme maître de musique habillé en prêtre, petit comme un nain car il marche à genoux avec des souliers d’argent (attachés à ses genoux) qui dépassent de sa soutane, il suscite l’hilarité. Dans le finale, tous les personnages sont assis autour d’une table élégamment dressée (immaculée, bien sûr) pour célébrer le mariage. Même Don Bartolo ne s’inquiéte plus de l’héritage de Rosina (que le comte lui a légué dans son intégralité).
Le livret de l’opéra, écrit par Cesare Sterbini et inspiré du Barbier de Séville ou la Précaution inutile de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1775), est d’une extraordinaire modernité, avec des finesses poétiques et de nombreux jeux linguistiques. Afin de renforcer l’effet hilarant, Don Bartolo chante sans rouler les r (un peu comme les habitants de Parme eux-mêmes) et Don Basilio est bègue. La rigueur formelle est combinée à un haut degré de théâtralité. Le jeu et la gestuelle sont fortement mis en valeur et sont toujours en parfaite harmonie avec la musique. L’orchestre Senzaspine est dirigé par le maestro George Petrou qui, spécialiste du répertoire baroque, a déjà une bonne expérience des partitions de Rossini et s’intéresse également au répertoire contemporain. Il s’est donc efforcé de créer une interprétation « respectueuse du passé mais orientée vers l’avenir » (comme il l’indique dans le programme de salle). Le chœur du Teatro Regio, habilement dirigé par Martino Faggiani, semble confiant et bien coordonné, non seulement vocalement, mais aussi dans les fréquents mouvements sur scène. L’interprétation de l’introduction « Piano, pianissimo » est excellente.
Les interprètes sont très convaincants dans leurs rôles, agiles, amusants et pleins d’entrain. Carlo Lepore donne vie à un Don Bartolo raffiné ; il sait moduler sa voix large et profonde grâce à une remarquable habileté technique et confirme sa réputation, ancienne de plusieurs décennies. Maria Kataeva est une Rosine espiègle, une bonne actrice et une danseuse agile ; sa voix de mezzo-soprano a un timbre plutôt sombre dans le registre inférieur, mais elle est très expressive dans médium. Dans le duo avec Figaro, dans la scène de la leçon de chant et dans le magnifique « Dolce nodo avventurato », elle fait preuve d’une agilité remarquable et de belles coloratures. Davide Luciano est un Figaro jeune, prometteur et plein d’allant : il possède une grande maîtrise scénique et utilise à bon escient sa voix corsée et bien placée. Le jeune ténor Ruzil Gatin commence de façon un peu hésitante, puis prend de l’assurance et chante avec grâce. La basse d’origine russe Grigory Shkarupa est un Don Basilio délectable ; sa voix est profonde, discrètement contrôlée et le chanteur est fort applaudi dans la cavatine « La calunnia è un venticello ». La distribution est complétée par Licia Piermatteo (Berta), nonchalante et techniquement correcte, Armando De Ceccon (Ambrogio) et Gianluca Failla (Fiorello/Un Ufficiale). L’enthousiasme du public semble être un hommage au génie intemporel de Rossini et un souhait de longue vie au raffiné Pier Luigi Pizzi.
Figaro : Davide Luciano
Il Conte d’Almaviva : Ruzil Gatin
Don Bartolo : Carlo Lepore
Rosina : Maria Kataeva
Don Basilio : Grigory Shkarupa
Berta : Licia Piermatteo
Fiorello/Un Ufficiale : Gianluca Failla
Ambrogio : Armando De Ceccon
Orchestre Senzaspine, dir. : George Petrou
Chœur Teatro Regio di Parma. Chef de choeur : Martino Faggiani
Mise en scène, décors et costumes : Pier Luigi Pizzi
Directeur collaborateur et Lumières : Massimo Gasparon
Production du Rossini Opera Festival, Teatro Regio di Parma
Il barbiere di Siviglia
Opera buffa en deux actes de Gioachino Rossini, livret de Cesare Sterbini, d’après Le Barbier de Séville ou la Précaution inutile de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1775), créé au Teatro Argentina de Rome, le 20 février 1816.
Parme, Teatro Regio, dimanche 9 mars 2025.