Stiffelio, Plaisance, Teatro Municipale, 21 décembre 2025
Nouvelle prise de rôle pour Gregory Kunde, nouveau succès… et un triomphe pour un spectacle très abouti amené à voyager en terres verdiennes.
La saison lyrique 2025-2026 du Théâtre municipal de Plaisance s’est ouverte avec Stiffelio de Giuseppe Verdi, dans une coproduction entre les théâtres de Plaisance, de Modène et de Reggio Emilia. Des applaudissements chaleureux et prolongés ont salué le succès d’un opéra rarement représenté, qui fait son retour à Plaisance après vingt-cinq ans d’absence (la dernière fois que nous l’avons applaudi en France, c’était avec Jonathan Tetelman dans une superbe production de l’Opéra du Rhin en 2021 ). La mise en scène, les décors et les costumes sont l’œuvre de l’inébranlable Pier Luigi Pizzi, un artiste constituant un admirable exemple de créativité qui perdure et s’affine dans le temps. Ses collaborateurs sont Massimo Gasparon (conception lumière), Serena Rocco (assistante décors), Lorena Marin (assistante costumes) et Matteo Letizi (montage vidéo). L’Orchestre de l’Émilie-Romagne Arturo Toscanini est dirigé par le jeune et talentueux Leonardo Sini, tandis que le Chœur du Théâtre municipal de Plaisance est dirigé (comme dans l’édition de 2000) par Corrado Casati.
Stiffelio est généralement considéré comme un opéra verdien de second plan. Il faut donc avant tout reconnaître aux organisateurs le grand mérite de l’avoir mis en valeur. En assistant au spectacle, on se rend compte qu’il s’agit d’une œuvre audacieuse, très intéressante sur le plan musical et dramaturgique, qui anticipe les thèmes et les tons du Verdi de la maturité, capable de sculpter finement ses personnages. En octobre, le Théâtre de Plaisance avait mis en scène la « trilogie populaire » (Rigoletto, Trovatore et Traviata), c’est-à-dire les trois opéras composés par Verdi immédiatement après Stiffelio. Voir ces quatre opéras à peu d’intervalle permet de se rendre compte du processus innovant et expérimental inhérent à la créativité de Verdi : Stiffelio anticipe les trois chefs-d’œuvre suivants et aborde des questions encore plus brûlantes, telles que le mariage des ministres du culte, le divorce et le pardon rendu à une épouse adultère. La censure s’y est d’ailleurs opposée à plusieurs reprises.
Mis en musique par Verdi sur un livret de Francesco Maria Piave, tiré de la pièce Le Pasteur, ou L’Évangile et le Foyer d’Émile Souvestre et Eugène Bourgeois (1848), il a été représenté pour la première fois au Teatro Grande de Trieste le 16 novembre 1850. En 1851, il est monté au Teatro della Pergola de Florence sous le titre Guglielmo Wellingrode et en 1857 au Teatro Nuovo de Rimini sous le titre Aroldo, transposé au Moyen Âge et sur une partition révisée. Les changements d’époque, de lieu et de noms des personnages sont, directement ou indirectement, imposés par la censure. L’histoire est centrée sur un pasteur protestant (« un luthérien et chef de secte », comme le définit Verdi dans une lettre à Piave) qui découvre qu’il a été trahi par sa femme, vit un fort conflit intérieur entre les préceptes moraux qu’il prône et son soudain désir de vengeance, mais finit par pardonner, citant la parabole évangélique de l’adultère.
La musique, intense et austère, avec des duos animés et des numéros d’ensemble enjoués, ainsi que le rythme narratif soutenu, captivent le spectateur. Leonardo Sini dirige l’Orchestre d’Émilie-Romagne Arturo Toscanini avec une précision minutieuse et un enthousiasme vibrant, faisant preuve d’une grande attention à l’équilibre des volumes orchestraux et d’un immense respect pour les chanteurs. L’ouverture initiale est splendide, avec la trompette qui entonne une mélodie chantante, vaguement donizettienne. Le chœur du Teatro Municipale de Plaisance, bien préparé par Corrado Casati, est sûr et homogène tant sur le plan vocal que dans ses mouvements scéniques.
La mise en scène de Pier Luigi Pizzi est élégante et essentielle, respectueuse du livret et entièrement jouée en noir et blanc. Massimo Gasparon, diplômé en architecture à Venise et à Londres, crée des effets de perspective et des jeux de lumière extraordinaires. Les costumes sont soignés, bien que simples et presque tous noirs (à l’exception de Lina qui porte initialement une robe blanche), les tissus prennent parfois de légères nuances irisées et bleutées sous l’effet des lumières. Dans le finale, une lumière très blanche inonde le fond néoclassique de l’église, dissolvant de manière suggestive tous les contours.
Les interprètes sont tous de renommée internationale. Stiffelio est un opéra pour ténor et Gregory Kunde (Américain, septuagénaire, à la carrière prestigieuse, mais débutant dans le rôle principal) s’est confirmé comme un artiste de grande classe, capable de notes aiguës limpides et d’une délicatesse expressive raffinée. Si, à certains moments du premier acte, on a pu percevoir une certaine inhomogénéité entre les registres, dans l’ensemble, il a très bien rendu la stature morale, le dilemme intérieur et la profonde humanité de son personnage. La soprano russe Lidia Fridman a une voix particulière, au timbre brun, mais d’une grande étendue. Elle est habile dans les aigus, précise dans le phrasé, dotée d’une technique soignée qui lui permet de soutenir brillamment aussi bien les concertati les plus intenses que les airs solo. Par une sensibilité marquée, elle a esquissé une figure féminine romantique, submergée par la culpabilité, mais forte dans la défense de son affection authentique (on devine en elle à la fois Violetta et Gilda). Le baryton bulgare Vladimir Stoyanov avait interprété Stankar l’année dernière au Teatro Filarmonico de Vérone et a fait preuve d’une grande assurance vocale et d’une maîtrise scénique remarquable, récoltant des applaudissements chaleureux dans le rôle du père protecteur et blessé dans son honneur (embryon de Giorgio Germont et de Rigoletto). Parmi les seconds rôles, se distingue la basse Adriano Gramigni, mais le ténor italo-écossais Carlo Raffaelli, la mezzo-soprano Carlotta Vichi et le ténor Paolo Nevi sont également satisfaisants.
En janvier, Stiffelio sera à l’affiche du Teatro Comunale de Modène (vendredi 9 et dimanche 11) et du Municipale de Reggio Emilia (vendredi 16 et dimanche 18). Il est également disponible sur Opera Streaming.
Stiffelio : Gregory Kunde
Lina : Lidia Fridman
Stankar : Vladimir Stoyanov
Raffaele : Carlo Raffaelli
Jorg : Adriano Gramigni
Federico di Frengel : Paolo Nevi
Dorotea : Carlotta Vichi
Choeur du Teatro Municipale di Piacenza (chef de chœur : Corrado Casati), Orchestre d’Émilie-Romagne Arturo Toscanini, dir. : Leonardo Sini
Mise en scène, décors et costumes : Pier Luigi Pizzi
Réalisateur collaborateur et conception lumière : Massimo Gasparon
Assistante scène : Serena Rocco
Assistante costumes : Lorena Marin
Editing video : Matteo Letizi
Nouvelle mise en scène, coproduction entre Teatro Municipale di Piacenza, Teatro Comunale Pavarotti-Freni di Modena et Fondazione I Teatri di Reggio Emilia
Stiffelio
Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave, d’après Le Pasteur, ou L’Évangile et le Foyer d’Émile Souvestre et Eugène Bourgeois (1848), créé au Teatro Grande de Trieste, le 16 novembre 1850.
Plaisance, Teatro Municipale, représentation du dimanche 21 décembre 2025.

