C’est à une émouvante et grandiose vision de la Deuxième Symphonie de Mahler, « Résurrection », précédée d’un Prélude de Tristan und Isolde, judicieusement accolé au chef d’œuvre du compositeur bohémien, que nous a invité, en direct du festival Radio France Occitanie Montpellier, l’orchestre national du Capitole de Toulouse et son directeur musical, le génial Tarmo Peltokoski.
Ovations soutenues pour un moment d’immersion totale dans une partition unique en son genre.
Dans l’élégante feuille de salle distribuée aux spectateurs de la salle Berlioz du Corum, particulièrement bien remplie ce 10 juillet, on pouvait lire une fort intéressante observation d’Hans Von Bülow, illustre chef d’orchestre et créateur de Tristan à Munich, adressée à Gustav Mahler lors de la première écoute de la réduction pour piano de Totenfeier (« Funérailles »), pièce qui deviendra, plus tard, le premier mouvement de la Deuxième Symphonie : « En comparaison de ce que je viens d’entendre, Tristan me fait l’effet d’une symphonie de Haydn » !
Force est de constater, en ce qui nous concerne, que l’audition, en ouverture de concert, du célèbre « Prélude » de Tristan, composé vingt-trois ans avant l’écriture du premier mouvement de la composition en question, a résonné au contraire à nos oreilles comme une pièce aux couleurs orchestrales déjà pré-mahlériennes – y compris dans ses ses dissonances -, travaillant, comme on le sait, sur un art des contrastes récurrent, flottant entre ombres et lumières…
"Prélude" de Tristan, champ éternel d’introspection
Il était, en cela, passionnant d’entendre, à quelques jours d’intervalle, ce même Prélude sous des baguettes si diamétralement différentes que celle, à Barcelone, de Josep Pons – à la liberté de ton assumée – et, à Montpellier, de Tarmo Peltokoski, aux tempi plus introspectifs. Ici, les phrases des divers pupitres – les violoncelles, les contrebasses en particulier – sont rigoureusement longues, éthérées et la descente chromatique des cordes évoque déjà certains des adagietto les plus célèbres de Mahler. Bien sûr, la magie est également présente dans cette lecture, signe de la fréquentation fréquente par l’orchestre national du Capitole de la musique de « l’Enchanteur de Bayreuth » : hautbois, cor anglais, clarinette et basson constituent ainsi une petite harmonie aux accents mystérieux et oniriques dont les interrogations viendront – peut-être ? – se résoudre dans certaines de leurs interventions pour la symphonie à suivre…
Deuxième Symphonie de Gustav Mahler, des ténèbres à la lumière
Sans laisser la place aux applaudissements et succédant donc au Vorspiel wagnérien, la baguette de Tarmo Peltokoski donne immédiatement le signal du combat entre mort et résurrection que cristallise le premier mouvement Allegro maestoso de la Deuxième Symphonie : d’emblée, nous sommes plongés dans la dimension spectaculaire d’une construction où tout est étendu, immense, des ostinati et des basses jusqu’aux triolets traînants et aux impressionnantes descentes chromatiques ! Au passage, on entend aux violoncelles et aux contrebasses comme une réminiscence de l’orage grondant en ouverture de La Walkyrie… . Dans cette succession de thèmes explosifs où les percussions sont particulièrement engagées et se voient, à l’occasion, confier des ruptures rythmiques – John Williams s’en souviendra, un jour, pour son cycle de Star Wars -, on aurait tort d’oublier la noblesse d’archet des contrebasses, le soyeux des premiers violons ou la jolie poésie du cor anglais, car tous contribuent à la mise en place d’une architecture héroïque où le chef finlandais semble être comme un poisson dans l’eau.
Dans le mouvement qui suit, Andante moderato, c’est un tempo fugué – en forme initiale de danse rappelant le menuet – qui est mis en relief par la direction, se projetant tout d’abord dans des sonorités beethoveniennes puis laissant libre cours à un dialogue rigoureux, quoique laissant poindre l’inquiétude, entre violons et contrebasses. C’est dans le Scherzo du troisième mouvement que l’on aime à entendre, après la déflagration insolite des timbales, les citations à la clarinette et à la trompette d’un folklore Mitteleuropa d’où n’est jamais très éloigné un tempo de valse : ici, on est bluffé par l’aisance du chef d’orchestre à combiner un équilibre parfait entre le côté vaporeux et lyrique de cette musique et l’explosion de tutti qui, même lorsque l’on connaît la partition, surprennent et nous font tressaillir dans notre fauteuil !
C’est vers une émotion différente, mais tout aussi intense, que nous entraîne le chant de Marianne Crebassa dans le somptueux lied « Urlicht » (« Lumière originelle »), constitutif du quatrième mouvement. On avait entendu la chanteuse bitteroise dans la version scénographiée par Romeo Castellucci de la Deuxième Symphonie, en 2022, au festival d’Aix-en-Provence où, déjà, sa voix nous transportait dans un « Ailleurs » débarrassé de toutes les vanités du Monde. Dans ces quelques quatre minutes de temps suspendu, extraites du recueil Des Knaben Wunderhorn (Le cor enchanté de l’enfant), où l’on entend au loin de petits appels de carillon, Marianne Crebassa dialogue poétiquement avec le cor anglais et avec le premier violon et fait entendre, en une simple humanité regardant déjà vers le Ciel, les moirés de l’une de nos plus belles voix de mezzo-soprano.
Tout nous conduit alors vers les trente minutes d’un cinquième mouvement tout à la fois apocalyptique et apaisé où, de nouveau, il convient de louer la science des équilibres du chef. Si les trombones et les trompettes nous rassurent sur leur sens du grandiose, avouons ne pas avoir été toujours rassuré par la sonorité un peu rêche du second corniste. En coulisse, les sonneries entendues laissent notre imagination s’évader vers la musique de Berlioz pour Les Troyens… comme si la symphonie au programme devenait la synthèse idéale de toute la musique occidentale qui la précède ! C’est avec un double crescendo absolument scotchant des percussions (timbales, grosse caisse), malheureusement peu visibles dans leur totalité du fait de leur placement scénique, que Tarmo Peltokoski nous donne un énième exemple du pouvoir naturel de sa direction, incisive et positivement injonctive, sur la phalange toulousaine alors qu’il donne le départ d’un Dies irae aussi énergique que jubilatoire, mais jamais tonitruant.
On se souvenait de l’extraordinaire beauté du chœur Orfeón Donostiarra, admiré dans une inoubliable Huitième Symphonie de Mahler donnée, en 2019, à la Philharmonie de Paris avec l’orchestre Philharmonique de Munich sous la baguette de Valery Gergiev. Dès son entrée, à fleur de voix, l’illustre formation basque – née à San Sebastiàn en 1897 – admirablement préparée par son chef Jose Antonio Sainz Alfaro semble faire émerger des brumes célestes ce chant magique écrit sur les paroles du poème de Friedrich Gottlieb Klopstock : « Ressusciter, oui, tu vas ressusciter ma poussière, après un court repos ! ». Si le chef sait admirablement lancer l’orchestre vers une grande arche de respiration, Rachel Willis- Sorensen, luxueuse soprano soliste de la soirée, peine tout d’abord à trouver sa voix (du Ciel !) et ne prend pas immédiatement l’altitude nécessaire pour se joindre au Choral Résurrection. C’est le retour de la voix de Marianne Crebassa, sur des paroles signées de Mahler lui-même (« Oh crois, mon cœur, crois que rien n’est perdu pour toi ! »), qui permet à la soprano américaine de se rassurer – de notre place, on lisait clairement une émotion sincère envahir son visage – et de s’envoler enfin, d’abord avec sa consœur puis avec l’ensemble des forces chorales, vers des sommets rédempteurs.
Tandis que l’orgue de chœur vient s’ajouter à ce festin musical, il revient à l’orchestre, d’où se distingue de belles sonneries de cloche, de refermer seul l’une des œuvres les plus ambitieuses et les plus enthousiasmantes du répertoire symphonique.
Soprano : Rachel Willis- Sorensen
Mezzo-soprano : Marianne Crebassa
Chœur Orfeón Donostiarra, direction : Jose Antonio Sainz Alfaro
Orchestre national du Capitole de Toulouse, direction : Tarmo Peltokoski
Tristan und Isolde, Prélude (1865)
Musique : Richard Wagner (1813-1883)
Symphonie n°2 en ut mineur, « Résurrection » pour soprano, mezzo-soprano, chœur et orchestre, créée à Berlin, le 13 décembre 1895.
Musique : Gustav Mahler (1860-1911)
Textes : d’après le recueil « Des Knaben Wunderhorn » (« Le cor enchanté de l’enfant ») et le choral de Friedrich Gottlieb Klopstock Aufersteh’n (« Ressusciter »)
Festival Radio France Occitanie Montpellier, concert du jeudi 10 juillet 2025